Aperçu de l’économie islamique
Mohammed
Baqer al-Sadr
Traduit
par :
Abbas
Ahmad al-Bostani
Première
édition : Bibliothèque Ahl-Elbeit, Paris,
mai 1983
Éditeur
Abbas
Ahmad al-Bostani
(La
Cité du Savoir)
C.P.
712 Succ. (B)
Montréal,
QC, H3B 3K3
Canada
Tél
: (1-514) 341 73 63 Fax :(1-514) 341 73 63
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Table des Matières
AVANT-PROPOS 3
L'ISLAM EST-IL UN MODE DE
VIE? 9
La Khilâfah De L'homme 15
Les buts de la khilâfah (Mandat).21
L'islam est immuable alors
que la vie est évolutive 28
1- Les
éléments constants 28
2- Les
éléments flexibles et mobiles 28
Les indications
Générales 31
1- L'Orientations de la
Législation 31
2- L'Objectif
explicité d'un Statut constant 35
3- Les Valeurs sociales
dont l'Islam a souligné l'importance 37
4- L'Orientation des
Éléments mobiles par le Prophète ou le Tuteur (Waçî) 38
5- Les Objectifs
définis au Gouverneur (wali al-amr) 43
AVANT-PROPOS
Louange à Dieu, Maître des mondes.
Bénédiction et salut au Seigneur de Sa créature - Mohammad
- et aux Dirigeants bienfaiteurs parmi les purifiés membres de sa
famille.
J'éprouve une grande fierté en m'adressant au peuple
musulman iranien qui a écrit de nouveau par la lutte missionnaire (jihad),
avec son sang et son héroïsme unique en son genre, l'histoire de
l'Islam et offert au monde une incarnation des premiers jours de l'Islam,
riches en épopées de courage et de foi.
Mon sentiment gagne en profondeur lorsque je constate que ce peuple
aborde une phase qui constitue un tournant non seulement de son histoire, mais
de la vie de l'Umma(1) islamique tout entier, moment où ce
peuple militant musulman se dresse pour dire son mot sur la République
islamique que lui propose le Guide de l'Umma,
l'imam Khomeyni, pour confirmer, en votant pour cet
Etat, sa foi en l'Islam, après avoir affirmé cette foi par les
sacrifices qu'il a consentis et par les différentes formes de
générosité et de militantisme islamique dont il a fait
preuve, et enfin pour commencer - en disant oui à la République
islamique - une nouvelle phase dans la vie des musulmans, qui les ramène
des ténèbres de l'ignorance à la lumière de
l'unicité, des différentes formes de l'exploitation de l'homme
par l'homme, à la servitude sincère envers Dieu, laquelle
constitue la base réelle de la liberté, de la justice et de
l'égalité.
En lançant le slogan de «la République
islamique», l'imam Khomeyni ne fait que
continuer l'Appel des Prophètes, prolonger le rôle de Mohammad et
de 'Alî, instaurer le régime de Dieu sur
terre, et exprimer sincèrement la conscience profonde de cette Umma qui n'avait connu la gloire
que sous l'Islam, et n'avait vécu dans l'humiliation, la faiblesse, la
misère, la privation et la dépendance des colonialistes
incrédules que lorsqu'elle s'est écartée de l'Islam et a
abandonné son grand message dans la vie.
La législation islamique n'est pas une partie d'une
alternative, mais la seule alternative. Car elle est le Jugement de Dieu, Sa
juridiction sur la Terre, et Sa législation irremplaçable:
«Lorsque Dieu et Son Prophète ont pris
une décision, il ne convient ni à un croyant, ni une croyante de
maintenir son choix sur cette affaire» (Coran, 33: 36).
Mais l'imam Komeyni a voulu que le peuple
musulman iranien confirme de nouveau son choix, sa volonté et sa
capacité d'assumer la responsabilité de ce grand
«dépôt» avec conscience et détermination. En
choisissant la République islamique comme programme de vie et cadre de
gouvernement, vous vous acquittez sans doute de l'une des plus grandes
obligations divines et vous redonnez à la réalité de la
vie, l'âme de l'expérience qu'a menée le plus grand
Prophète et pour laquelle il a consacré toute sa vie, l'âme
de la thèse pour laquelle l'Imam 'Alî a
conduit le jihâd
(la lutte missionnaire) et combattu les hérétiques, et enfin
l'âme de la révolution pour laquelle l'Imam al-Hussayn
a sacrifié jusqu'à la dernière goutte de son sang pur.
Par ce choix, louable, vous réalisez le grand objectif du
sang versé, il y a treize siècles, sur la terre de Karbala.
Il est normal que l'Occident voit dans
votre choix conscient de l'Islam comme programme de vie, un défi
flagrant aux fondements de ses pensées et à l'idéologie de
sa civilisation, comme il a trouvé que votre décision courageuse
de détrôner le Chah et de mettre fin à son régime,
un défi flagrant à ses intérêts politiques et
à ses visées...
Ceci, parce que, pour l'homme européen ou américain,
la civilisation européenne a pu, depuis bien longtemps, venir à
bout de l'Islam et obliger les Musulmans, par voies militaires ou politiques,
à lui substituer les modes de vie et les traditions de l'homme
occidental. Et alors que l'aile occidentale de la civilisation
européenne a déclaré que l'Europe ne s'était
développée que lorsqu'elle avait séparé la religion
et la vie, son aile orientale a prétendu que la religion est l'opium des
peuples et que ceux-ci doivent abdiquer la religion pour pouvoir
défendre la liberté.
Mais vous, vous êtes les mieux armés pour
réfuter ces deux mensonges, parce que vous pouvez les contredire en vous
appuyant sur la réalité de votre expérience. L'entrave
à l'évolution et au vrai développement du peuple musulman
iranien n'était autre que son écart de l'Islam et le fait de lui
avoir imposé le régime du Chah ainsi que les idées et les
valeurs jahilites(2) qu'il représentait, alors que
l'énergie qui a poussé ce peuple à se révolter et
détruire le Tyran (Taghout)
n'était autre que cette religion islamique que vous allez choisir demain
comme programme de vie et mode de construction.
L'ISLAM
EST-IL UN MODE DE VIE?
Les intellectuels occidentaux et occidentalisés
prétendent que l'Islam est une religion et non pas économie, un
dogme et non pas un programme de vie, une relation entre l'homme et son
Seigneur et ne saurait constituer la base d'une révolution sociale en
Iran.
Mais il leur a échappé que l'Islam est une
révolution dans laquelle la vie est indissociable de la foi, l'aspect
social est inséparable du contenu spirituel. C'est pourquoi cette
révolution est unique en son genre tout au long de l'histoire.
L'Unicité est l'essence de la foi islamique. C'est par elle
que l'Islam libère l'homme de toute servitude autre que celle de Dieu:
«Il n'y a de dieu que Dieu». Elle
refuse toute forme de fausse divinité à travers l'histoire.
Là, c'est la libération de l'homme de l'intérieur. Puis,
l'Islam, conséquemment à cette libération, décide
de libérer la richesse et l'univers de tout propriétaire autre
que Dieu, et là, c'est la libération de l'homme de
l'extérieur. L'Imam 'Alî relie, l'une
à l'autre, ces deux vérités, lorsqu'il a dit: «Les
Serviteurs sont les serviteurs de Dieu et les Biens sont les biens de
Dieu».
De cette manière, l'Islam a détruit toutes les
chaînes artificielles et toutes les barrières historiques qui
entravaient la progression et la marche hâtive de l'homme dans le chemin
de son Seigneur qu'il s'agisse des chaînes et des barrières
incarnées par la fausse divinité, les appréhensions et les
forces légendaires qui amoindrissent l'humanité, ou de celles,
présentées sous formes de royautés, qui consacrent la
souveraineté de tyran - individu, oligarchie ou classe - sur la terre au
détriment des peuples et qui empêchent le développement
naturel de ceux-ci et leur imposent des rapports de dépendance et de
servitude.
De là, l'Islam, pour lequel tous les prophètes ont lutté,
était une révolution sociale contre l'injustice, la tyrannie et
contre toutes formes d'exploitation et de servitude.
De là, également, les prophètes qui portaient
ce flambeau, polarisaient toujours les damnés de la terre et les masses
misérables qui étaient déchirés spirituellement par
la fausse divinité, tiraillés intellectuellement par la «jahilyya» (obscurantisme,
ignorance) et tombés en proie aux différentes formes
d'exploitation et d'injustice sociale.
Notons cependant que la révolution des prophètes s'est
distinguée qualitativement de toutes autres révolutions sociales
à travers l'histoire, car elle a libéré l'homme de
l'intérieur en même temps qu'elle a libéré l'univers
de l'extérieur. Elle a appelé la première
libération, le «jihâd
majeur», la seconde le «jihâd
mineur», celui-ci ne pouvant réaliser son grand objectif que dans
le cadre de celui-là.
Il s'en est suivi que:
1- Cette révolution n'a pas remplacé l'ancien
exploiteur par un nouvel exploiteur, ni n'a substitué une forme de
tyrannie à une autre tyrannie, car en même temps qu'elle a
libéré l'homme de l'exploitation, elle l'a libéré
de l'intérieur, des sources de l'exploitation qui sont en lui, et cela
en modifiant sa vision de l'univers et de la vie. Dieu a dit:
«Nous avons voulu combler de nos faveurs ceux
qui sont opprimés sur terre; nous avons voulu les rétablir comme
chefs de la communauté et comme héritiers».
(Coran, S28 :v5).
Remarquons bien comment les deux actions révolutionnaires
sont menées côte à côte: les opprimés deviennent
à la fois les guides et les héritiers de la terre; c'est dire
qu'en même temps qu'ils sont rétablis à la place des
exploiteurs et des profiteurs dont ils reprennent la charge des affaires, ils
sont purifiés de l'intérieur et élevés au niveau de
l'«exemple à suivre» et du «modèle de l'homme
sublime». C'est pourquoi l'opération du remplacement
révolutionnaire faite par les prophètes, ne sera pas identique
à celle du remplacement du féodal par le capitaliste, du
capitalise par le prolétaire. Autrement dit, il ne s'agit pas de changer
les positions de l'exploitation mais d'extirper définitivement
l'exploitation et toutes formes de l'injustice humaine.
Dans un autre texte, le noble Coran définit la qualité
de ces opprimés que la révolution des prophètes propose
pour le charger de la Khilâfah
sur la terre. Dieu a dit, en effet:
«L'assistance est donnée à ceux
qui, si nous leur accordons le pouvoir sur la terre, s'acquittent de la
prière, font l'aumône, ordonnent ce qui est convenable et
interdisent ce qui est blâmable. La fin de toute chose appartient
à Dieu». (Coran, 22 : 41).
2- La lutte des prophètes contre l'injustice et
l'exploitation n'a pas pris un caractère de lutte des classes, comme
c'était le cas dans beaucoup de révolutions sociales, car elle
était une révolution humaine qui avait pour but, avant tout, de
libérer l'homme de l'intérieur. L'aspect révolutionnaire
social de cette lutte n'était qu'une super-structure
de cette révolution. C'est pourquoi notre Grand Prophète avait
appelé la révolution de libération de l'intérieur:
le «jihâd
majeur», et celle de l'extérieur: le «jihâd mineur», comme
nous l'avons indiqué plus haut.
L'Islam a pu, par le processus de libération de
l'intérieur ainsi que par la réalisation des exigences du jihâd mineur, exalter chez
les âmes pieuses de différentes couches sociales des
communautés jahilites,
toutes les potentialités de «Bien» et de la
«Générosité», et y faire exploser toutes les
énergies créatrices. Il s'en est suivi que le riche s'est mis aux
côtés du pauvre sur la ligne d'affrontement avec l'injustice et la
tyrannie. L'exploiteur de la veille s'est mélangé le lendemain
à l'exploité, dans un même cadre révolutionnaire,
après avoir assimilé les hautes valeurs de jihâd majeur.
Le révolutionnaire qui suit la ligne des prophètes
n'est pas cet exploité qui croit que l'homme puise sa valeur dans
l'appropriation des moyens de production et de sa puissance sur la terre, et
qui s'efforce par conséquent d'arracher cette valeur aux mains de ses
exploiteurs et de la faire sienne, sachant que c'est son appartenance à
une classe - celle de exploiteurs ou celle des exploités - qui
détermine sa position dans la lutte sociale. Le révolutionnaire
qui suit la ligne des prophètes, c'est celui qui croit que l'homme puise
sa valeur dans ses efforts soutenus en vue de s'approcher de Dieu, et dans son
assimilation de toutes les valeurs humaines que revêtent ces efforts, et
livre un combat acharné contre l'exploitation qu'il considère
comme une dilapidation de ces valeurs et une déviation de
l'humanité de son acheminement vers Dieu et de la réalisation de
ses grands objectifs en la distrayant par l'enrichissement et la
thésaurisation. Ce qui détermine cette position au
révolutionnaire qui suit la ligne des prophètes, c'est son
degré de succès dans le jihâd
majeur et non pas sa situation sociale ni la classe sociale à laquelle
il appartient.
La
Khilâfah(3) De L'homme
Après avoir établi le principe de la
propriété divine, l'Islam a attribué à l'homme le
rôle de mandataire accrédité par Dieu(4)
pour gérer les sources de la richesse dans l'univers,
conformément à l'esprit général de ce principe:
«... donnez en aumône une portion des
biens dont Dieu vous accordera l'héritage». (Coran,
57 : 7).
«Donnez-leur quelque peu de ces biens que Dieu
vous a accordés». (Coran, 24 : 33).
Le processeur de la Khilâfah
(Mandat divin) comporte deux phases:
La Première phase: la Khilâfah
(Mandat divin) donnée à la communauté humaine
intègre en tant qu'un tout. Dieu dit à cet égard:
«Ne confiez pas aux insensés les biens
que Dieu vous a donnés pour vous permettre de subsister».
(Coran, 4 : 5).
Ce noble texte parle des biens des ineptes; il interdit à la
Communauté d'en laisser la charge à leurs propriétaires et
lui demande de les garder pour elle-même, et ce afin d'indiquer que tous
les biens de ce monde sont accordés (par Dieu) pour pourvoir aux besoins
de la vie de l'ensemble de la communauté humaine et pour permettre
à celle-ci de continuer une vie digne et de réaliser les
objectifs divins du mandat de l'homme sur la terre. Or, les ineptes
n'étant pas qualifiés pour réaliser ses objectifs, Dieu a
interdit à la Communauté de leur laisser les mains libres dans
leurs biens.
D'un autre côté, on s'aperçoit que le Coran et
la jurisprudence islamique (fiqh)
appellent «fay'»(5) toutes les richesses naturelles des
infidèles qui tombent entre les mains de la Communauté musulmane,
et les considèrent comme une propriété publique. Le mot
«fay'»
signifie le retour à l'origine, ce qui veut dire que ces richesses
appartiennent originellement à la Communauté et que Dieu en a
confié la gérance à celle-ci.
C'est pourquoi, la Communauté en tant qu'un tout, du fait de
ce Khilâfa,
est responsable devant Dieu. Cette responsabilité est définie par
ce noble verset:
«C'est Dieu qui a créé les cieux
et la terre; Il fait descendre l'eau du ciel, par elle, Il fait germer les
fruits qui vous nourrissent; Il vous a soumis les vaisseaux qui fendent la mer
par Son ordre; Il a soumis les fleuves pour votre utilité; Il a soumis
le soleil et la lune, poursuivant leur course dans leurs ornières. Il
fait servir le jour et la nuit à vos besoins. Il vous a donné
tous les biens que vous lui avez demandés. Comptez les Bienfaits de Dieu
si vous le pouvez! Mais l'homme est injuste et ingrat».
(Coran, 14 : 32-34).
Ce noble texte coranique, après avoir passé en revue
les richesses de l'univers, ses énergies et ses bienfaits confiés
par Dieu aux soins de l'homme, fait allusion à deux sortes de
déviation: l'injustice et l'ingratitude vis-à-vis du bienfait de
Dieu. L'injustice signifie la mauvaise répartition des bienfaits entre
les individus ou leur distribution d'une façon inégale entre eux;
il s'agit d'une injustice pratiquée par une partie de la
communauté sur l'autre. Quant à l'ingratitude vis-à-vis
des bienfaits, elle signifie la négligence de la Communauté
d'exploiter les énergies et les divers bienfaits de l'univers que Dieu
lui avait accordés, c'est dire l'interruption de la
créativité, laquelle constitue en même temps l'arrêt
de la marche vers l'Absolu, vers Dieu. Et c'est l'injustice de la
Communauté elle-même. Le texte définit, en même
temps, deux responsabilités à la Communauté devant Dieu,
le Dispensateur de ces biens:
1) Justice dans la répartition de la richesse: c'est dire que
la Communauté doit veiller à ce que la richesse qui lui est
confiée soit gérée conformément aux principes de
son Mandat (Khilâfah)
général et à son droit - en tant qu'un tout - sur ce que
Dieu a accordé.
2) Justice dans la protection et le développement de la
richesse: elle doit déployer toutes ses énergies pour exploiter
l'univers, reconstruire la terre et rendre les bienfaits disponibles.
La deuxième phase: c'est la Khilâfah
des individus, laquelle prend, sur le plan de la jurisprudence et du droit, la
forme de la propriété privée.
La «Khilâfah»
signifie, ici, un Mandat que la Communauté donne à l'individu.
C'est pourquoi, le verset coranique mentionné plus haut a confié
les biens des individus à la Communauté, ce qui veut dire que
toute propriété privée qui s'oppose à la Khilâfah de
la Communauté et à son droit (en tant que tout) sur la richesse,
est abolie. Et étant donné que la propriété
privée est un simple acte de délégation (istikhlâf) accordé par
la Communauté à l'individu, il est naturel que l'individu soit
responsable devant la Communauté, et qu'il gère ses biens
conformément à ses responsabilités devant Dieu et aux
exigences de sa «Khilâfah»
générale. Il est aussi naturel que le représentant
légal de la Communauté retire à l'individu sa
propriété, si celui-ci la gère mal ou que sa gestion est
de nature à porter atteinte aux intérêts d'autrui et de la
Communauté; c'est ce qu'a fait le Prophète (P), avec Samra ibn Jandab.
En effet, selon plusieurs récits, ce dernier possédait
un dattier au fond de la maison d'un «Partisan» (Ançâr)(6). Chaque fois qu'il voulait se rendre
auprès de ce dattier, il entrait dans la maison du
«Partisan» sans lui demander la permission. Le
«Partisan», excédé, lui dit un jour:
- «Samra! Tu continues à
entrer chez nous à l'improviste et à nous surprendre. Nous
n'aimerons pas être surpris de la sorte! Quand tu veux entrer chez nous,
tu devrais nous en demander la permission!»
- «Je ne demande pas la permission d'emprunter une voie qui
conduit à mon dattier», répondit-il.
Le «Partisan» porta plainte auprès du
Prophète, lequel convoqua Samra, lui fit part
de la plainte du «Partisan» et lui ordonna de demander la permission
avant d'entrer.
- «Demander la permission de prendre
mon chemin vers mon dattier!», s'étonna-t-il.
- «Abandonne ton dattier. On vous en donne un autre
ailleurs», lui dit le Prophète.
- «Non», dit Samra.
Le Prophète lui dit alors:
- «Tu es un homme nuisible. On ne doit pas nuire à un
fidèle».
Et il ordonna à ce qu'on arrache le dattier et qu'on le lui
jette devant sa porte.
Rappelons, ici, que la justice sur laquelle se sont fondées
les responsabilités de la Communauté selon le principe de la Khilâfah
générale, est la face sociale de la justice divine dont se sont
réclamés les prophètes et que le Message divin a
considérée comme deuxième «fondement» de
l'Islam, juste après celui de l'Unicité.
Cette attention particulière apportée à la
justice divine qui se distingue, en tant que fondement indépendant de la
religion, des autres attributs de Dieu telles: la Science, la Puissance,
l'Ouïe, la Vue, etc., ne s'explique que par de la révolution
sociale et son lien profond avec l'essence de la révolution que
mènent les prophètes sur le plan de la réalité. Si
l'Unicité signifie socialement que le propriétaire est Dieu
l'Unique qui ne doit être associé à aucune autre fausse divinité,
la justice signifie que cet Unique Propriétaire, étant Juste, ne
favorise pas un individu par rapport à un autre ni n'accorde un droit
à une catégorie sociale au détriment d'une autre, mais
accorde la Khilâfah
à la Communauté saine - en tant qu'un tout - pour gérer
les bienfaits et les richesses disponibles.
Les buts de la khilâfah(7) (Mandat)
En instituant le principe de la Khilâfah
et en désignant la communauté humaine comme Khalîfah(8)
sur terre, l'Islam détermine au Khilâfah
ses nobles buts: et ce faisant, il provoque une grande révolution dans
la conception et l'appréciation des grands objectifs, ce qui conduit
à son tour un grand changement des moyens et méthodes
révolutionnaires.
Pour pouvoir provoquer ce grand changement dans
l'appréciation de la vie et la définition de ses buts, l'Islam
était amené à concevoir la vie de façon
appropriée aux buts qu'il veut se fixer et à créer
l'ambiance psychologique qui permet à la société de la
saine Khilâfah
de se diriger vers ses buts et d'entreprendre leur réalisation. Mais
quel changement l'Islam veut-il introduire, au niveau de la réalisation
de ces buts?
Les sociétés jâhilites
ne regardent la vie que du côté de sa tranche
éphémère qui se termine par la mort, et ne
réalisent leur «soi» et leurs jouissance
que par l'assouvissement des instincts et voluptés humains. Pour cela, elle font de l'argent en soi et de son accumulation ainsi
que de la concurrence, le but naturel susceptible de garantir à l'homme
la possibilité de remplir autant que possible sa vie et de la terminer
quantitativement et qualitativement, c'est-à-dire de réaliser une
pérennité relative et à la mesure des possibilités
matérielles qu'offre la vie terrestre.
Cette conception de la vie et du rôle déterminant qu'y
joue l'argent est la cause de tous les efforts que déploient les
sociétés jâhilites(9) pour la croissance et l'enrichissement ainsi
que de toutes sortes de contradictions et d'exploitations; étant
donné qu'il y a trop de joueurs pour une table limitée et des
cartes peu nombreuses, le plus chanceux y est forcément celui qui
parvient à obtenir le plus grand nombre de ces cartes, même au
détriment des autres!
Pour débarrasser l'homme de cette conception et lui en
extirper les racines psychologiques, l'Islam a refusé de
considérer l'argent, son accumulation et son accroissement, comme un but
en soi. Il lui a dénié tout pouvoir d'assurer à l'homme la
pérennité et de lui accorder une existence réelle plus
large:
«Malheur au calomniateur acerbe qui amasse les
richesses et les garde pour l'avenir. Il s'imagine que ses trésors le
feront vivre éternellement. Assurément, il sera
précipité dans al-Hotama.
Qui te dira ce qui c'est qu'al-Hotama? C'est le feu de Dieu, le feu
allumé, qui dévore jusqu'aux entrailles».
(Coran, 104 : 1-5).
«Le désir d'augmenter vos richesses
vous préoccupe. Jusqu'au moment où vous descendez dans la tombe.
Mais sous peu vous saurez! Mais oui, sous peu vous saurez! Ah! Si vous aviez la
science certaine! Vous verrez l'enfer. Vous le verrez de vos propres yeux».
(Coran, 102 : 1-7)
«Annonce un châtiment douloureux
à ceux qui amassent l'or et l'argent, et ne le dépensent point
dans le chemin de Dieu. Le jour où le feu de la géhenne sera
allumé sur leurs têtes, des marques brûlant seront
imprimées avec cet or et cet argent sur leurs fronts, sur leurs flancs
et sur leurs reins; et on leur dira: voici ce que vous avez amassé».
(Coran, 9 ; 34).
L'Islam ne s'est pas contenté de désapprouver les buts
des jahilites et
leurs valeurs relatives à la vie, mais il a désigné le but
qu'on doit poursuivre. Dieu a dit:
«Béni soit Celui dans la main de qui
est l'Empire, et qui est Tout-Puissant. C'est Lui qui a créé la
mort et la vie pour voir qui de vous agira le mieux. Il est Puissant et
Miséricordieux». (Coran, 67 : 1).
Au lieu «du plus riche», et «de la richesse la
plus pérenne», Dieu a proposé «la meilleur
action» comme idéal suprême et objectif premier. Dieu a
incité la communauté humaine que les prophètes avaient
éduquée, à orienter sa compétition vers ce but et
sa concurrence vers la bonne action:
«C'est pour cela que les gens fassent la
concurrence». (Coran, 83 : 26)
Pour que ce nouveau but soit fondé sur une base
«réaliste» et solide, l'Islam a présenté une
nouvelle vision de la vie en la liant à un monde sensoriellement
invisible. Au lieu de l'argent et de la fortune, il a mis l'accent sur la
pérennité de l'action dans ce monde invisible, sur ses effets
dans les profondeurs de l'âme de l'homme travailleur et sur sa
cristallisation à la fin, de la façon dont sont organisées
les actions dans le monde de la vérité. De la sorte, il a
donné à l'homme le sentiment que sa pérennité et
son éternité se réalisent par la bonne action et non pas
par l'accumulation de la fortune ni par la thésaurisation de l'argent.
Il lui a fait changer sa conception concernant l'investissement du travail dans
le chemin de Dieu: au lieu de considérer cet investissement comme une
dissipation de son existence et une aventure dans laquelle il risquerait son
avenir et sa continuité - ou tout au moins comme un don sans
contrepartie - il le conçoit comme une garantie de sa
pérennité, comme un don qui sera compensé et comme un
commerce susceptible de se développer et de l'enrichir spirituellement,
et d'assurer son avenir:
«Tout ce que vous donnerez en aumône, Il
(Dieu) vous le rendra». (Coran, 34 : 39)
«Celui qui se présentera avec une bonne
action recevra en récompense dis fois autant».
(Coran, 5 : 160)
«Si vous faites à Dieu un prêt
généreux, Il vous paiera le double».
(Coran, 64 : 17)
«Ceux qui dépensent leurs biens dans le
chemin de Dieu sont semblables à un graine qui produit sept épis,
et chaque épi contient cent grains. Dieu accorde le double à qui
Il veut. Dieu est Présent partout et Il sait».
(Coran, 2 : 261)
C'est là, la face sociale révolutionnaire de «Ma'âd» (la
Résurrection), cinquième fondement de l'Islam. En effet, le Ma'âd joue au niveau de la
révolution sociale des prophètes un rôle essentiel en sa
qualité de fondement réaliste des objectifs et valeurs que
l'homme sain, qui suit le modèle des prophètes, adopte dans la
vie.
Sachant que le Prophète est le porteur de la
révolution et son Messager envoyé par Dieu et que l'Imamat au
sens de Tutelle est une transition à travers laquelle le ciel continue
à patronner cette révolution jusqu'à ce que l'Umma se hisse au niveau de la
maturité révolutionnaire requise, nous pouvons constater
dès lors, très clairement, que les cinq fondements qui
représentent, sur le plan doctrinal, l'essence de l'Islam et le contenu
fondamental du Message céleste, représentent en même temps
- par leurs aspects sociaux et sur le plan de la révolution sociale
conduite par les prophètes - la vision intégrale des bases de
cette révolution, et trace à la marche de l'humanité les
aspect de sa «Khilâfa
sur la Terre».
L'islam
est immuable alors que
la vie est évolutive
L'Islam est immuable alors que la vie
est évolutive
Les sceptiques se demandent souvent comment on peut traiter les
problèmes de la vie économique à la fin du XXe
siècle sur la base de l'Islam, alors que les rapports sociaux et
économique ont subi un tas de complications et de ramifications et alors
que l'homme d'aujourd'hui doit faire face à autant de problèmes
qui en résultent?
La réponse en est simple: l'Islam est capable de conduire et
d'organiser la vie dans ses cadres toujours vivants, car son économie
est représentée par un ensemble de statuts qui régissent
la richesse. Ces statuts comprennent deux catégories d'éléments:
1- Les éléments constants, relatifs à la vie
économique et qui sont mentionnés explicitement dans le Coran et
la Sunna.
2- Les éléments flexibles et mobiles qui sont
puisés - à la lumière de la nature de la phase de chaque
conjoncture - dans les indications islamiques générales qui
entrent dans le cadre des éléments constants.
Il y a donc les éléments constants des indications
auxquelles on recourt pour déterminer les éléments
flexibles mobiles susceptibles de s'approprier aux exigences de la nature d'une
conjoncture donnée.
L'Économie islamique - ou en d'autres termes,
l'économe de la société islamique - ne prend sa forme
complète que par la fusion des éléments mobiles et des
éléments constants dans une structure unique dotée d'un
esprit unique et animé par des objectifs communs.
L'opération de déduction des éléments
mobiles à partir des indications islamiques générales
nécessite ce qui suit:
1) Un programme islamique conscient des tenants et des aboutissants
des éléments constants, et une conscience approfondie de leurs
indications et significations générales.
2) Assimilation globale de la nature de la conjoncture et de ses
conditions économiques, ainsi qu'une étude exhaustive et
minutieuse des objectifs déterminés par les indications
générales et des moyens nécessaires pour leurs
réalisations.
3) Une connaissance et une assimilation juridiques islamiques des
pouvoirs du walï
al-amr (le gouverneur légal),
et l'obtention d'une formule dans le cadre des pouvoirs du
gouverneurs et dans les limites de la province (wilaya)
dont il assume le contrôle.
De là, on comprend que la planification de la vie
économique dans la Société islamique est une tâche
nécessitant la coopération des penseurs islamiques conscients qui
doivent être en même temps des faqîh
(jurisconsultes) créateurs et des savants économiques
portés au renouveau.
Quant aux lignes générales des indications qui
constituent la base de la forme intégrale de l'économie des
sociétés islamiques, elles se présentent comme suit
(section suivante):
Les
indications Générales
1- L'Orientations
de la Législation
Cette indication signifie que la législation de
l'Économie islamique, relative aux éléments constants,
comporte des statuts explicites dans le Coran et la Sunna s'orientant tous vers
un objectif commun à la réalisation duquel le législateur
semble concentrer l'attention. Cet objectif lui-même est
considéré comme une indication constante. Pour le maintenir ou
l'acheminer vers son summum, on aurait besoin d'éléments mobiles.
Ci-dessous un exemples de cette indication,
représenté par une série de statuts législatifs
constituant dans leur ensemble une orientation législative:
1) L'Islam autorise la propriété privée de la
nue-propriété (raqabat
al-mal) dans les sources de la richesse naturelle(10).
2) L'Islam a aboli le «himâ»
(c'est-à-dire le fait d'acquérir un droit dans une source
naturelle, basé sur la possession ou mainmise - sans mise en valeur).
Aucun droit privé ne peut être acquis dans les sources naturelles
sans travail.
3) Si les aspects du travail effectué dans une source
naturelle disparaissent et que celle-ci retrouve par conséquent son
état antérieur, tout autre individu peut l'exploiter de nouveau
et l'utiliser d'une façon saine.
4) Le travail effectué pour la mise en valeur d'une source
naturelle telle la terre, ne conduit pas au transfert de la
propriété du secteur public au secteur privé, mais
confirme au travailleur (l'exploitant) son droit à la priorité,
dû à son travail.
5) La mise en valeur indirecte à la façon capitaliste
qui consiste à payer aux travailleurs des salaires et à leur
fournir les moyens de travail - comme c'est le cas dans la
société capitaliste - ne donne pas au créancier de droit
sur les résultats de la mise ne valeur ni ne l'autorise à
cueillir les fruits du travail qu'il a financé.
6) La production capitaliste dans les industries d'extraction ne
confère pas au capitaliste le droit de s'approprier l'article produit.
Par exemple, lorsqu'un ou plusieurs individus paient des salaires aux
travailleurs qui extraient du pétrole et leur fournissent les moyens et
les outils nécessaires à leur travail, le pétrole extrait
dans ce cas n'est pas considéré comme propriété des
créanciers et des fournisseurs des outils; c'est ce qui explique la
raison du refus de fonder la mise en oeuvre des
industries d'extraction, fondées sur une base capitaliste.
7) La propriété des moyens de production
utilisés dans les industries de transformation ainsi que dans d'autres
opérations de production ne confère pas aux propriétaires
(de ces moyens) un droit quelconque sur l'article produit. Si des fileurs
filent leur laine en utilisant des instruments mécaniques de filage
appartenant à d'autres individus, ceux-ci n'auront pas des parts dans la
laine mais doivent percevoir des fileurs - qui possèdent la
totalité de la valeur produite - les prix du
louage de leurs instruments.
8) Si la restitution d'un capital utilisé dan une
opération d'exploitation était garantie à son
propriétaire, celui-ci n'acquiert aucune part aux
bénéfices résultant de l'opération; car
l'intérêt usuraire est prohibé en Islam, et le fait d'avoir
ajourné l'utilisation de son capital ou de s'abstenir de s'en servir
directement ne confère pas au capitaliste de droit à des gains
sans travail propre, ces gains étant réalisés en fait par
les travailleurs et devant leur revenir dans leur totalité, même
s'ils ne possèdent pas les moyens matériels de leur
réalisation. Le seul cas ou l'Islam autorise au capital monétaire
de partage le gain réalisé, c'est lorsque le capitaliste accepte
d'assumer, lui seul et sans y associer le travailleur, tous les risques et
toutes les conséquences négatives de l'opération à
laquelle il partage par son capital.
9) Le locataire n'a pas le droit d'exploiter, de façon
capitaliste, le loyer qu'il paie, pour réaliser des gains sans travail;
c'est-à-dire qu'il n'a pas le droit de louer une maison, un bateau ou
une usine à un prix donné et de les sous-louer ensuite à
un tiers à un prix supérieur sans y avoir effectué des
travaux qui justifieraient une telle augmentation. En d'autres termes, il est
interdit de louer une utilité quelconque à un prix donné
pour la sous-louer ensuite à un prix supérieur.
10) Il es interdit de faire signer à
quelqu'un une reconnaissance de dette sans lui avoir prêté
effectivement l'équivalent réel de cette dette; car la perception
effective du bien est une condition du contrat d'emprunt. De cette façon
sont abolies toutes les actions de bourse que les esprits capitalistes
européens se sont ingéniés à inventer pour
développer la finance sans aucune opération de
développement purement capitaliste et ce, en signant des obligations dix
fois supérieures aux biens réels qu'ils possèdent pour
pouvoir ainsi décupler le montant qu'ils sont à même de
consentir réellement aux usages, sachant qu'ils ne seront pas
acculés à s'acquitter de toutes leurs obligations en même
temps et que chaque emprunteur préfère traiter par ses actions
que de retirer de l'argent liquide des Caisses du capitaliste ou de la Banque. C'est
de cette façon que le capitaliste parvient à multiplier sa
fortune sans travail en abolissant du contrat d'emprunt, l'acte de paiement
direct.
Ainsi, tous ces statuts s'orientent vers l'élimination du
gain sans travail et le refus de l'exploitation capitaliste,
c'est-à-dire l'accroissement de la propriété des capitaux
par le seul capital. Cette orientation constitue une indication constante et
une base des éléments mobiles dans l'économie de la
société islamique. Le gouverneur doit suivre cette orientation en
promulguant des formules législatives conformes à ses pouvoirs et
ne comportant aucun risque de contredire l'un des éléments
constants de la législation.
2- L'Objectif
explicité d'un Statut constant
Cette indication signifie que si l'une des références de
l'Islam, le Coran ou le Sunna, promulgue un statut et en explicite l'objectif,
celui-ci doit servir de signe indicateur permettant de combler l'aspect mobile
de la forme de l'Économie islamique par des formules législative
qui garantissent sa réalisation (de cet objectif), à condition
que ces formules soient dans les limites des pouvoirs du gouvernant. Pour
promulguer les formules législatives nécessaires à la
réalisation du dit objectif, le juge légal (le gouvernant) doit
faire un effort de recherche à la lumière des circonstances de la
société et de ses conditions économiques et sociales.
L'exemple en est le texte coranique suivant:
«Ce que Dieu a octroyé à Son
Prophète comme butin pris sur les habitants des cités appartient
à Dieu et à Son Prophète, à ses proches, aux
orphelins, aux pauvres, au voyageur, afin que ce ne soit pas attribué
à ceux d'entre vous qui sont riches. Prenez ce que le Prophète
vous donne, et abstenez-vous de ce qu'il vous interdit. Craignez Dieu! Dieu est
terrible dans Son châtiment». (Coran, 59 : 6-7).
Il ressort de ce texte précieux que l'un des objectifs de la
législation islamique est la répartition équilibrée
des biens, lesquels doivent servir à satisfaire tous les besoins de la
société et être soustraits au monopole d'un nombre
limité d'individus.
Cet objectif est considéré comme une indication
constante pour ce qui concerne les éléments mobiles. C'est sur
cette base que le tuteur promulgue toutes les formules législatives
possibles pour maintenir l'équilibre social dans le domaine de la
distribution des biens, et empêcher la concentration de ceux-ci chez un
groupe limité d'individus. Aussi, l'État islamique combat-il la
concentration capitaliste dans la production et le monopole sous ses
différentes formes.
Un autre exemple à retenir: tous les textes relatifs à
la Zakât
(l'impôt légal) précisent que celle-ci n'est pas faite
seulement pour satisfaire les besoins de première nécessaire du
pauvre, mais de lui permettre de rattraper le niveau de vie moyen de tout le
monde. Ce qui signifie que l'unification ou le rapprochement des niveaux de vie
de tous les citoyens est un objectif que le juge légal doit s'appliquer
à réaliser.
3- Les Valeurs
sociales dont l'Islam a souligné l'importance
Cette indication signifie qu'il y a dans les textes islamiques du
Coran et de la Sunna certaines valeurs mises en exergue telle
l'égalité, la fraternité, la justice,
l'égalité, etc. Ces valeurs constituent un fondement dont doivent
s'inspirer des formules législatives vivantes et évolutives, susceptibles
de s'approprier au renouveau et au changement, et capables de réaliser
lesdites valeurs dans les limites des pouvoirs du juge légal et de son
devoir de combler les zone creuses.
Dieu a dit:
«O vous qui croyez! Tenez-vous fermes comme
témoins, devant Dieu, en pratiquant la justice. Que la haine envers un
peuple ne vous incite pas à commettre des injustices».
(Coran, 5 : 8).
«O vous, les hommes! Nous vous avons
créés d'un mâle et d'une femelle. Nous vous avons
constitués en peuples et en tribus pour que vous vous connaissiez entre
vous». (Coran, 49 : 13).
4- L'Orientation
des Éléments mobiles par le Prophète ou le Tuteur (Waçî)
Cette indication signifie que le Prophète et les Imams ont
deux personnalités ou fonctions : l'une, en leur qualité de hérauts
signifiant les éléments constants édictés par Dieu,
l'autre, rn leur qualité de gouverneurs et dirigeants de la
société islamique, promulguant les éléments mobiles
en s'inspirant des indications générales de l'Islam et de
l'esprit social et humain de la législation islamique sacrée.
Partant de là, le Prophète et les Imams se sont appliqués
à formuler les éléments mobiles de différentes
affaires de la vie économique et autres, ces éléments - du
fait qu'ils émanent du Messager et de ses Successeurs infaillibles(11) - portent sans doute l'esprit
général de l'économie islamique et expriment ses
aspirations relatives à la réalité de la vie. Pour cela
les pratiques du Guide infaillible dans ce domaine revêtaient un caractère
constant. Le juge légal doit donc les considérer comme une
indication islamique - dans la mesure où il peut les dissocier de leur
contexte historique - selon laquelle il définit les
éléments mobiles.
De même qu'il y a des valeurs islamiques explicites, de
même il y a dans nos références islamiques des notions
précises et des interprétations déterminées des
phénomènes sociaux ou économiques. Ces notions jettent
à leur tour de la lumière sur les éléments mobiles.
L'exemple en est la conception de la pauvreté selon l'Imam 'Alî. En effet, selon les récits, il a dit:
«Qu'un pauvre ait faim c'est qu'un riche a trop consommé».
Un autre exemple, c'est sa conception du rôle du
commerçant et du gain commercial dans la vie économique. Dans sa
lettre de recommandations adressée à Mâlik
al-Achtâr qu'il venait de nommer gouverneur de
l'Egypte, l'Imam 'Alî traite des questions des
commerçants et des articles et souligne leur rôle important dans
la vie économique: «Ils sont l'origine des profits et la source du
confort, ce sont eux qui l'apportent des pays les plus lointains et les plus
reculés sur la terre et sur la mer, dans les plaines et dans les
montagnes, et là où d'autres hommes ne s'entendraient pas pour
l'installer et n'oseraient pas le rechercher».
Cela signifie que l'Imam considérait le commerçant
comme l'artisan, en le liant aux efforts qu'il déploie pour transporter
la marchandise et la conserver; ce qui constitue une conception du commerce
foncièrement différente de celle du capitalisme.
Prenons-en d'autres exemples illustrant cette indication:
1) Selon plusieurs hadith, le Prophète avait interdit pendant
une certaine période le louage de la terre. D'après un
récit il a déclaré: «Celui qui possède une
terre, qu'il la cultive ou qu'il la fasse cultiver par son frère. Il ne
doit la louer ni contre le tiers ou le quart de sa production, ni contre des
denrées quelconques». Selon une autre version, il a dit:
«Celui qui possède une terre qu'il la cultive ou qu'il la donne
à son frère. S'il refuse, qu'il la tienne». Enfin, selon la
version de Jabir ibn Abdullah, le Prophète a dit: «Celui qui
possède une terre, qu'il la cultive. S'il ne peut pas, qu'il la donne
à son frère et ne la lui loue pas».
Bien que le contrat de louage ait été admis du point
de vue du droit civil du fiqh
islamique le Prophète, d'après ces récits, avait
utilisé ses pouvoirs en tant que tuteur, pour l'interdire, et ce afin de
sauvegarder l'équilibre social et d'empêcher la naissance d'un
grand gain sans travail, à un moment où la moitié de la
société - les Emigrés (Muhajirines)(12)
- vivaient dans le manque et le besoin.
2) Selon certains textes, le prophète avait prohibé la
conservation du surplus d'eau et l'herbes. L'Imam al-Sâdiq
a déclaré que «Le Prophète avait prononcé un
jugement pour les gens de Médine, selon lequel personne n'a le droit
d'interdire aux autres l'excédent de son eau et de ses herbes».
Cette interdiction, qui revêt un caractère de
prohibition, le Prophète l'avait instituée, en sa qualité
de tuteur, parce que la communauté de Médine avait un besoin
impérieux de développer sa richesse agricole et animale, et de
rendre disponibles les articles nécessaires à la production en
interdisant leur accaparement. C'est pourquoi l'État avait obligé
les individus de donner le surplus de leur eau et de leurs herbes aux autres.
3) Dans sa recommandation à Mâlik
al-Achtâr, l'Imam 'Alî
a mis l'accent sur l'interdiction absolue et totale du monopole. En effet,
après avoir parlé des commerçants en soulignant leur
rôle positif dans la vie économique, il a ajouté: «Tu
dois savoir, cependant, que beaucoup d'entre eux sont d'un dureté
inhumaine et d'une avarice sordide, qu'ils accaparent les profits et sont
impitoyables en affaires, ce qui peut nuire au petit peuple, et discréditer
les gouvernants. Tu dois interdire l'accaparement, car le Messager de Dieu (que
le Seigneur le bénisse, ainsi que sa Famille) l'a interdit. Que les
ventes se fassent équitablement, avec des poids justes, et à des
prix qui ne lèsent ni le vendeur ni l'acheteur».
Cette interdiction nette du monopole faite par l'Imam 'Alî montre combien l'Islam désapprouve les
bénéfices réalisées grâce à des prix
artificiels que les conditions capitalistes du monopole créent, tout en
préconisant le recours à des bénéfices propres
obtenus par la valeur réelle d'échange de la marchandise
(laquelle prend en considération l'utilité de celle-ci, le
degré de sa valeur selon les facteurs naturels et objectifs - tout en en
excluant le rôle de la rareté artificielle, provoquée par
les commerçants capitalistes monopolisateurs en manipulant l'offre et la
demande.
4) Il a été établi que l'Imam 'Alî avait imposé la Zakât (impôt
légal) sur des biens autres que ceux mentionnés dans la formule
législative constante. En effet, cette formules
avait imposé la Zakât
sur neuf sortes de biens. L'Imam 'Alî en a
ajouté d'autres tels que: les chevaux par exemple. Ce faisant, il nous
fournit un élément mobile selon lequel la Zakât ne vise pas dans la
conception de l'Islam, un bien particulier à l'exclusion de tout autre.
Il appartient donc au tuteur d'appliquer cette conception là où
il le croit nécessaire.
5- Les Objectifs
définis au Gouverneur (wali al-amr)
Cette indication signifie que la législation a fixé
dans ses textes généraux et dans ses éléments
constants, des objectifs au Tuteur, et l'a chargé de les réaliser
ou tout au moins de s'efforcer de s'en approcher autant que possible. Ces objetifs constituent la base sur laquelle on doit tracer la
politique économique et formuler les éléments mobiles de
l'Économie islamique, de telle sorte qu'ils concourent à
réaliser lesdits objectifs ou à accélérer au fond,
la marche sociale vers leur réalisation. Un exemple qui illustre de
telles démarches, c'est l'affirmation de l'Imam Mûsâ
ibn Ja'far - à lui le salut - selon laquelle
le gouverneur doit pourvoir, de son compte, aux besoins des pauvres,
jusqu'à ce qu'il les satisfasse, au cas où la Zakât s'avère
insuffisante.
L'expression «de son compte» montre que la
responsabilité dans ce domaine incombe au gouverneur selon toutes ses
possibilités, et non pas spécialement à la caisse de la Zakât parmi les autres
caisses de la trésorerie. Il y a donc un objectif fixe que le gouverneur
doit réaliser ou s'efforcer de réaliser par tous les moyens en
son pouvoir, et cet objectif, c'est d'assurer un minimum de niveau de vie
convenable à tous les membres de la communauté islamique. Cette
indication constitue une partie du fondement fixe sur lequel se dresse la
superstructure des éléments mobiles de l'Économie islamique
et ce au cas où les éléments constants ne suffisent pas
à la réalisation de l'objectif en question.
La forme intégrale de l'économie de la
Société islamique, c'est celle dans laquelle les
éléments mobiles et les éléments constants
concourent à la réalisation de la justice sociale sur la terre,
conformément à la Volonté de Dieu. Nous mettons dans ces
pages que vous lisez, le programme de cette forme intégrale de
l'économie de la Société islamique, ainsi qu'une partie
des éléments et des objectifs fixes qui constituent à leur
tour une base des éléments mobiles et une indication de leurs
orientations générales. A la lumière de ces
données, nous pouvons schématiser les lignes importantes que contient
la forme intégrale de l'économie de la Société islamique.
- Toutes les sources de la richesse naturelle appartiennent à
Dieu; l'acquisition d'un droit d'usufruit n'y est accordéeque
sur la base de l'effort et du travail. Toute production humaine de la richesse
naturelle ne confère le droit, dans celle-ci, qu'au travailleur qui l'a
produite, et que la nature et les moyens de production ne sont que des
instruments au service de l'homme.
- L'État doit s'efforcer de lier le gain au travail et
d'extirper progressivement toutes les formes de gain qui ne se fondent pas sur
ce principe. Autant qu'il diminue le rôle du capital dans les projets
productifs et commerciaux, autant il doit oeuvrer en
vue de la réduction du gain basé sur le mode purement
capitaliste, et autant il se doit d'encourager, en revanche, le rôle du
gain fondé sur la base de travail.
- L'État doit assurer, à tous les citoyens, des
niveaux de vie unifiés ou rapprochés, et ce en
leur assurant le minimum nécessaire et raisonnable d'une part, et en
interdisant et prohibant la prodigalité d'autre part. Il est de son
devoir aussi de sauvegarder l'équilibre social en veillant à ce
que les richesses ne soient enfermées dans un circuit limité.
L'État, selon la forme intégrale de l'économie
de la Société islamique, a le devoir de ramener l'argent à
son rôle naturel d'instrument d'échange, d'abolir son rôle
de moyen de croissance financière due aux intérêts
usuraires ou à l'épargne, de créer un impôt frappant
l'épargne et le gel des biens, d'éliminer, dans la mesure du
possible, les opérations parasitaires qui interviennent entre la
production de l'article et son arrivée au consommateur, et de combattre
le monopole, c'est-à-dire toute opération visant à
provoquer une pénurie artificielle d'un article dans le but d'en faire
monter le prix.
L'État doit s'orienter vers la transformation du rôle
du système bancaire: au lieu de servir de moyen de développement
capitaliste de l'argent, il doit concourir à l'enrichissement de
l'ensemble de l'Umma
en rassemblant ses biens dispersés dans un seul affluent pour faire participer
le plus grand nombre de citoyens aux opérations d'épargne et de
collecte dont les fonds ainsi réunis seront investis dans les projets
utiles de production, établis par l'État sur la base
d'association (mudhârabah)
entre l'ouvrier et le propriétaire conformément à la
jurisprudence islamique (fiqh).
L'État est tenu à donner un travail dans le secteur
public à tout citoyen, prendre en charge tous les invalides ou ceux qui
ne trouvent pas de travail, à percevoir le Zakât
pour fonder une Caisse de sécurité sociale, et à consacrer
le cinquième des revenus pétroliers ou d'autres richesses
naturelles à la sécurité sociale et la construction de
maisons d'habitation aux citoyens, selon un ordre qu'il établit
lui-même.
L'État est également tenu à dépenser les
rentes du secteur public sur l'enseignement gratuits dans toutes ses
étapes, et sur les services gratuits de la santé sous toutes
leurs formes, de telle sorte que tout citoyen puisse bénéficier
de la gratuité de l'enseignement et de la santé, et ce conformément
à un système qu'il établit lui-même.
Telle est donc la forme intégrale de l'économie de la
Société islamique. Dans le prochain épisode, nous en
parlerons d'une façon plus détaillée. Que Dieu couronne
notre tâche de succès. «O Croyants! Répondez à
l'Appel de Dieu et du Prophète quand il vous appelle à ce qui
vous fait vivre, et sachez que Dieu se glisse entre l'homme et son coeur, et que vous serez un jour rassemblés devant
Lui».
«Souvenez-vous! Lorsque sur la terre vous
étiez peu nombreux et faibles, craignant que les hommes ne s'emparent de
vous, Dieu vous a procuré un refuge; Il vous a assistés de Son
secours; Il vous a accordé d'excellentes nourritures, peut-être
servez-vous reconnaissants». (Coran, 8 : 26)
1. La nation
musulmane
2. Jâhiliyyah: terme
instauré par l'Islam pour désigner l'époque pré-islamique. Dérivé de la racine
«J.H.L.»: ignorer, le terme jâhiliyyah
connote une réalité où l'ignorance fait règle. Par
extension, ce terme signifie aussi tout ce qui n'est pas islamique
3. Khilâfah : Lieutenance, mandat divin
donné àl'homme.
4. Voir «Khilâfat
de l'Homme...», même auteur
5. Fay: butin, biens,
tributs qui échoient aux Musulmans vainqueurs des infidèles.
6. Partisan médinois du Prophète
7. Khilâfah: c'est le fait
que Dieu a mandaté l'homme pour Le représenter sur terre.
8. Khalîfah: l'homme en
tant que représentant de Dieu sur terre.
9. Matérialistes; non islamique
10. La totalité de la source d'une richesse
naturelle.
11. Les Imams d'Ahl-al-Bayt
12. Les compagnons du
prophètes qui ont fui la Mecque pour Médine.
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