L'Art Romanesque dans
Les Récits du Coran
(Essai d'études stylistiques des récits coraniques)
Dr Mahmûd Al-BOSTANI
Édité et traduit par
Abbas Ahmad Al-BOSTANI
Publication de la Cité du Savoir
Titre original (arabe):
"Dirâsât fanniyyah Fî Qiçaç al-Qor'ân"
Éditeur:
Abbas Ahmad Al-Bostani
Cité du Savoir
C. P. 712, Succ. (B)
Montréal, Québec, H3B 3K3
Canada
Site Web : www.bostani.com
E-mail : abbas@bostani.com
Première édition: Juillet 2000
Copyrights: Tous droits réservés à l'éditeur
ISBN: 2-9804196-6-4
Table des Matières
Sourate (40): Le Croyant (Al-Mo'min)
Le Récit du Croyant des Gens de Pharaon 5
A- La Sourate 5
B- Le Récit 17
Sourate (55): Le Miséricordieux (Al-Rahmân)
Le Récit des Quatre Paradis
A- La Sourate 60
B-Le Récit 66
Sourate (56): L'Echéant (Al-Wâqi'ah)
I- Le Récit des Premiers Arrivés
II- Le Récit des Gens de la Droite 97
A- La Sourate 97
B- Les Récits 103
I- Le Récit des Premiers Arrivés 103
II- Le Récit des "Gens de la Droite" 122
Sourate (68): Al-Qalam
Le Récit des Gens du Verger 129
A- La Sourate 129
B- Le Récit 132
Sourate (71): Noé
Le Récit de Noé 148
A- La Sourate 148
B- Récit 152
Sourate (72): Al-Djinn
Le Récit de l'Islam des Djinns 169
A- La Sourate 169
Les circonstances de la Révélation 172
B- Le Récit 174
Sourate (76): L'Homme
Le Récit des Pieux 191
A- La Sourate 191
B- Le Récit 195
Sourate (105): L'Éléphant
Sourate (106): Les Quraych
Le Récit des Gens de l'Éléphant 227
A- Les Sourates 227
Sourate l'Eléphant 227
Sourate les Quraych 227
B-Le récit 229
Sourate (40): Le Croyant (Al-Mo'min)
Le Récit du Croyant des Gens de Pharaon
A- La Sourate
Au Nom d'Allah, le Clément, le Miséricordieux
1 Ha. Mîm.
2 La Révélation du Livre vient de Dieu, le Tout-Puissant,
celui qui sait;
3 celui qui pardonne le péché;
celui qui accueille le repentir;
celui qui est redoutable dans son châtiment;
celui qui est plein de longanimité.
Il n'y a de Dieu que Lui!
Vers Lui sera le retour.
4 Seuls, les incrédules discutent les Signes de Dieu.
Que leur agitation dans ce pays ne te trouble pas!
5 Avant eux, le peuple de Noé et les factieux ensuite, ont
crié au mensonge.
Les membres de chaque communauté avaient conçu le
dessein de s'emparer de leurs prophètes respectifs.
Ils ont usé d'arguments faux pour rejeter la Vérité.
Je les ai donc saisis. Quel fut alors Mon châtiment!
6 Voilà comment se réalise la Parole de ton Seigneur
contre
les incrédules: ils seront les hôtes du Feu.
7 Ceux qui portent le Trône et ceux qui se tiennent autour
célèbrent les louanges de leur Seigneur.
Ils croient en Lui, ils implorent Son pardon pour les croyants:
«Notre Seigneur! Tu embrasses toute chose en Ta Miséricorde
et en Ta Science: pardonne à ceux qui reviennent repentants vers
Toi; à ceux qui suivent Ton chemin! Épargne-leur le châtiment
de la Fournaise!
8 Notre Seigneur! Introduis-les dans ces Jardins d'Éden
que Tu leur as promis, ainsi qu'à ceux de leurs pères, de
leurs épouses et de leurs descendants qui sont justes.
Tu es le Tout-Puissant, le Sage!
9 Celui que Tu préserves aujourd'hui des mauvaises actions
bénéficie de Ta Miséricorde: Voilà le bonheur
sans limites!»
10 On criera aux incrédules:
«La haine de Dieu envers vous est plus grande que votre haine
envers vous-mêmes, quand vous restiez incrédules alors que
vous étiez appelés à la foi».
11 Ils diront:
«Notre Seigneur! Tu nous as fait mourir deux fois et deux
fois Tu nous as fait revivre. Nous reconnaissons nos péchés;
existe-t-il un chemin pour sortir d'ici?».
12 Il en est ainsi, parce que vous êtes restés incrédules
lorsque Dieu, l'Unique, était invoqué; mais si des associés
Lui sont donnés, vous croyez en eux.
-Le Jugement appartient à Dieu, le Très-Haut, le Très-Grand!-
13 C'est Lui qui vous montre Ses Signes et qui fait descendre du
ciel de quoi pourvoir à vos besoins. Seul se souvient de Lui celui
qui revient repentant vers Lui.
14 Invoquez Dieu en Lui rendant un culte pur en dépit des
incrédules.
15 IL est celui qui est élevé aux degrés les
plus hauts. Le Trône Lui appartient. L'Esprit qui provient de Son
Commandement, IL le lance sur qui IL veut parmi Ses serviteurs avec la
mission d'avertir les hommes du Jour de la Rencontre,
16 du Jour où ils comparaîtront.
- Rien de ce qui les concerne ne sera caché pour Dieu -
«À qui donc la Royauté appartiendra-t-elle en
ce Jour ? - À Dieu, l'Unique, le Dominateur
17 Tout homme, ce Jour-là, sera rétribué pour
ce qu'il aura accompli.
Nulle injustice ne subsistera ce Jour-là:
Dieu est prompt dans Ses comptes.
18 Avertis-les du Jour qui approche:
Les coeurs seront angoissés jusqu'à serrer les gorges;
les injustes ne trouveront aucun ami zélé, aucun intercesseur
susceptible d'être écouté.
19 Dieu connaît la perfidie des regards et ce qui est caché
dans les coeurs.
20 Dieu juge en toute Justice, tandis que ceux qu'ils invoquent
en dehors de Lui, ne jugent rien.
- Dieu est celui qui entend et qui voit parfaitement -
21 Ne parcourent-ils pas la terre? Ne voient-ils pas quelle a été
la fin de ceux qui vécurent avant eux?
Ceux-ci étaient plus redoutables qu'eux par la force, et
par les traces qu'ils ont laissées sur la terre.
Dieu, cependant, les a saisis à cause de leurs péchés,
et ils n'ont pas trouvé de protecteur contre Dieu.
22 Il en est ainsi, parce qu'ils sont restés incrédules,
lorsque leurs prophètes leur ont apporté des preuves décisives.
Dieu les a donc saisis: IL est Fort et Redoutable dans Son châtiment!
23 Nous avons envoyé Moïse avec Nos Signes
et un pouvoir incontestable
24 à Pharaon, à Haman et à Coré.
Ils disent: «C'est un sorcier, un imposteur».
25 Mais quand il leur apporta la Vérité
émanant de Nous, ils dirent: «Tuez les fils de ceux qui croient
comme lui, et laissez vivre leurs filles».
- La ruse des incrédules ne fait que les égarer -
26 Pharaon dit: «Laissez-moi tuer Moïse! Qu'il
invoque donc son Seigneur! Je crains qu'il n'altère votre religion
et qu'il ne sème la corruption sur la terre».
27 Moïse dit: «Je cherche la protection de
mon Seigneur et votre Seigneur contre tout orgueilleux qui ne croit pas
au Jour du Jugement».
28 Un homme croyant, qui appartenait au peuple de Pharaon
et qui cachait sa foi, dit: «Tuerez-vous un homme parce qu'il a dit:
"Mon Seigneur est Dieu!" alors qu'il vous a apporté des preuves
évidentes de la part de votre Seigneur? S'il est menteur, son mensonge
retombera sur lui; s'il dit la vérité, ce dont il vous menace
vous atteindra.
- Dieu ne dirige pas celui qui est pervers et menteur -
29 Ô mon peuple! La royauté vous appartient
aujourd'hui et vous triomphez sur la terre; mais qui donc nous délivrera
de la rigueur de Dieu quand elle nous atteindra?»
Pharaon dit: «Je ne vous montre que ce que j'ai vu moi-même.
Je ne vous dirige que sur le chemin de la rectitude».
30 Celui qui était croyant dit: «Ô
mon peuple! Oui, je crains pour vous un jour semblable à celui des
factieux;
31 un sort semblable à celui du peuple de Noé,
des 'Ad, des Thamoud et de ceux qui vécurent après eux.
- Dieu ne tolère pas l'injustice envers ses serviteurs! -
32 Ô mon peuple! Oui, je crains pour vous le Jour
où les hommes s'interpelleront les uns les autres;
33 le Jour où vous vous détournerez. Vous
ne trouverez, alors, aucun défenseur contre Dieu. Personne ne dirige
celui que Dieu égare».
34 Joseph leur avait autrefois apporté des preuves
décisives; vous n'avez pas cessé d'en douter; mais, lorsqu'il
eut disparu, vous avez dit: «Dieu n'enverra plus jamais de prophète
après lui».
- Dieu égare celui qui est pervers et celui qui doute -
35 Ceux qui discutent au sujet des Signes de Dieu sans
en avoir reçu mandat, provoquent la grande haine de Dieu et des
croyants.
- Dieu met un sceau sur le coeur de tout tyran orgueilleux -
36 Pharaon dit: «Ô Haman! Construis-moi une
tour pour que j'atteigne les cordes,
37 les cordes célestes et je monterai vers le Dieu
de Moïse. Je pense que celui-ci est menteur!».
Ainsi, la mauvaise action de Pharaon a été revêtue,
à ses propres yeux, d'apparences trompeuses. Il fut écarté
du chemin droit; mais la ruse de Pharaon a été anéantie.
38 Celui qui était croyant dit: «Ô
mon peuple! Suivez-moi! Je vous dirigerai sur le chemin de la rectitude.
39 Ô mon peuple! La vie de ce monde n'est qu'une
jouissance éphémère. La vie future est la demeure
de la stabilité.
40 Celui qui commet une mauvaise action ne sera rétribué
que par un mal équivalent. Quiconque, homme ou femme, fait le bien
en étant croyant ... Voilà ceux qui entreront au Paradis
où ils recevront de tout à profusion.
41 Ô mon peuple! Pourquoi vous appellerais-je au
salut, alors que vous m'appelez au Feu ?
42 Vous m'appelez à l'incrédulité
envers Dieu, au polythéisme dont je n'ai aucune connaissance, mais
moi, je vous appelle auprès du Tout-Puissant, auprès de celui
qui ne cesse de pardonner.
43 Celui auprès duquel vous m'appelez ne peut,
sans aucun doute, être invoqué ni en ce monde, ni dans la
vie future.
Oui, notre retour sera vers Dieu et les pervers deviendront les
hôtes du Feu.
44 Vous vous souviendrez de ce que je vous dis: je confie
mon sort à Dieu. Dieu voit parfaitement ses serviteurs».
45 Dieu préserva ce croyant de leurs méchantes
ruses, et les gens de Pharaon, IL les enveloppa du châtiment le plus
dur:
46 le Feu.
Ils y seront exposés, matin et soir, et l'on dira, le Jour
où se dressera l'Heure: «Introduisez les gens de Pharaon au
sein du châtiment le plus dur».
47 Lorsqu'ils se disputeront dans le Feu, les faibles
diront aux orgueilleux: «Nous vous avons suivis; pouvez-vous, maintenant,
nous préserver d'une partie de ce Feu?»
48 Les orgueilleux diront: «Nous y sommes plongés».
- Dieu juge Ses serviteurs -
49 Ceux qui seront dans le Feu diront aux gardiens de
la Géhenne: «Priez votre Seigneur de diminuer d'un jour notre
châtiment».
50 Les gardiens diront: «Vos Prophètes ne
vous ont-ils pas apporté des preuves décisives?»
Ils répondront: «Oui, ils sont venus!»
Les gardiens diront: «Invoquez Dieu!» mais la prière
des incrédules n'est qu'aberration!
51 Nous secourrons nos prophètes et ceux qui auront cru
durant leur vie en ce monde, comme le Jour où les témoins
se dresseront:
52 le Jour où les excuses présentées par les
injustes leur seront inutiles. Ils seront alors maudits. La pire des demeures
leur est destinée.
53 Nous avons donné la Direction à Moise; Nous avons
donné en héritage aux fils d'Israël le Livre
54 comme une Direction et un Rappel adressés aux hommes
doués d'intelligence.
55 Sois constant! La promesse de Dieu est vraie. Demande pardon
pour ton péché. Célèbre, soir et matin, les
louanges de ton Seigneur!
56 Ceux qui discutent au sujet des Signes de Dieu sans en avoir
reçu mandat, n'ont que de l'orgueil dans leurs coeurs; ils n'atteindront
pas leur but.
Cherche la Protection de Dieu; IL est celui qui entend et qui voit
tout.
57 La Création des cieux et de la terre est quelque chose
de plus grand que la création des hommes: mais la plupart d'entre
eux ne savent pas.
58 L'aveugle et celui qui voit clair ne sont pas égaux.
Ceux qui croient et qui accomplissent des oeuvres bonnes ne peuvent
être comparés à celui qui fait le mal.
- Petit est le nombre de ceux qui réfléchissent -
59 Oui, sans aucun doute, l'Heure approche; mais la plupart des
hommes sont incrédules.
60 Votre Seigneur a dit:
«Invoquez-moi et Je vous exaucerai. Ceux qui, par orgueil,
refusent de m'adorer entreront bientôt, humiliés, dans la
Géhenne».
61 C'est Dieu qui a disposé pour vous la nuit afin que vous
vous reposiez, et le jour, pour vous permettre de voir clair.
Dieu est le Maître de la grâce envers les hommes; mais
la plupart d'entre eux ne sont pas reconnaissants.
62 Tel est Dieu, votre Seigneur, le Créateur de toute chose.
Il n'y a de Dieu que Lui.
- Comme vous êtes stupides! -
63 C'est ainsi que se détournent ceux qui nient les Signes
de Dieu.
64 Dieu est celui qui a établi pour vous la terre comme
une demeure stable et le firmament comme un édifice.
IL vous a modelés selon une forme harmonieuse.
IL vous a accordé d'excellentes nourritures.
Tel est Dieu, votre Seigneur!
Béni soit Dieu, le Seigneur des mondes!
65 IL est le Vivant!
Il n'y a de Dieu que Lui.
Invoquez-Le en Lui rendant un culte pur.
Louange à Dieu, le Seigneur des mondes.
66 Dis: «Lorsque les preuves décisives me sont venues
de la part de mon Seigneur, il m'a été interdit d'adorer
ceux que vous invoquez en dehors de Dieu; et il m'a été ordonné
de me soumettre au Seigneur des mondes».
67 C'est Lui qui vous a créés de terre, puis d'une
goutte de sperme, puis d'un caillot de sang.
IL vous a fait ensuite surgir petit enfant pour que vous atteigniez
plus tard votre maturité, pour que vous deveniez des vieillards
- certains d'entre vous meurent plus tôt - et pour que vous parveniez
à un terme fixé.
- Peut-être comprendrez-vous? -
68 C'est Lui qui donne la vie et qui fait mourir. Lorsqu'IL décrète
une chose, IL lui dit: «Sois!» et elle est.
69 Ne vois-tu pas ceux qui discutent les Signes de Dieu? Ils se
sont écartés de Lui.
70 Ceux qui ont traité de mensonge le Livre et les messages
de nos prophètes sauront bientôt,
71 lorsque, carcan au cou, ils seront traînés avec
des chaînes
72 dans l'eau bouillante, et précipités ensuite dans
le Feu.
73 On leur dira: «Où sont donc ceux que vous avez
associés à Dieu?»
74 Ils répondront: «Ils se sont écartés
de nous, ou, plutôt, nous n'invoquions auparavant que le néant».
- Voilà comment Dieu égare les incrédules!
-
75 Il en est ainsi pour vous, parce que vous vous réjouissiez
sans raison sur la terre, et parce que vous étiez orgueilleux.
76 Franchissez les portes de la Géhenne pour y demeurer
immortels. Combien est détestable le séjour des orgueilleux!
77 Sois constant! Oui, la promesse de Dieu est vraie.
Soit que Nous te montrions une partie de ce dont Nous les menaçons,
soit que Nous te fassions mourir auparavant, ils seront ramenés
vers Nous.
78 Nous avons envoyé des prophètes avant toi.
Il en est parmi eux dont Nous t'avons raconté l'histoire,
et d'autres, dont Nous ne t'avons pas raconté l'histoire.
Nul prophète n'est venu avec un Signe sans la permission
de Dieu.
Quand l'Ordre de Dieu vient, tout est décrété
selon la Vérité. Ceux qui profèrent des mensonges
sont alors perdus.
79 Dieu est celui qui a créé pour vous les animaux,
afin que certains d'entre eux vous servent de montures, et d'autres de
nourriture.
80 Afin, aussi, que vous y trouviez des produits utiles, et que,
grâce à eux, vous puissiez satisfaire les désirs de
vos coeurs.
Ils vous servent, ainsi que les bateaux, de moyens de transport.
81 Dieu vous montre Ses Signes. Quels sont donc les Signes de Dieu
que vous nierez?
82 Ne parcourent-ils pas la terre? N'ont-ils pas considéré
quelle a été la fin de ceux qui vécurent avant eux?
Ceux-ci étaient cependant plus nombreux et plus redoutables
qu'eux, par la force et par les traces qu'ils ont laissées sur la
terre. Mais ce qu'ils avaient acquis ne leur a servi à rien.
83 Quand leurs prophètes leur apportaient des preuves décisives,
ils se réjouissaient de la science qu'ils détenaient; mais
ils furent enveloppés par ce dont ils se moquaient.
84 Lorsqu'ils virent ensuite Notre violence, ils dirent: «Nous
croyons en Dieu, l'Unique. Nous ne croyons pas à ceux que nous Lui
avons associés».
85 Mais leur foi ne leur a servi à rien, après qu'ils
eurent constaté Notre rigueur. C'est là, depuis longtemps,
la façon d'agir de Dieu envers Ses serviteurs.
- Les incrédules ont alors tout perdu -
* * *
Cette Sourate de 85 versets est souvent nommée Sourate Ghâfir
(L'Indulgent), attribut divin par lequel débute le troisième
verset. Elle fait partie des sept Sourates(1)
dites les Hawâmîm, parce qu'elles commencent
par les initiales H (Hâ') M (Mîm)(2).
Les interprétations de ces initiales sont nombreuses et divergentes.
Certains commentateurs du Coran (comme al-Qaradhî) avancent que
ces initiales (H. M.) signifient: «Je jure par
Hilmihi
(Son Indulgence) et Molkihi (Son Royaume) qu'IL ne soumettra pas
à la Torture quiconque se protège par Lui et dit sincèrement
et du fond du coeur: ach-hadu anlâ ilâha illallâh
(j'atteste qu'il n'y a de Dieu qu'Allah)».
D'autres (tel 'Atâ' al-Khorâsânî) affirment
qu'elles constituent l'ouvrant des Noms d'Allah: «Halîm
(Clément), Hamîd (Digne de louanges), Hakîm
(Sage ),
Hayy (Toujours Vivant), Hannân (Très-Compatissant),
Malik (Roi), Majîd (Glorieux), Mobdi' (Prévenant), Mo'îd
(Celui qui ressuscitera Ses créatures)».
D'autres encore, tel al-Kalabî, interprètent ces initiales
comme désignant l'expression: «Allah a décrété
ce qui est (qadhâ mâ howa kâ'inun)».
La Sourate traite de l'orgueil des mécréants et de leur
argumentation fallacieuse en vue de récuser la Vérité
à laquelle ils sont appelés. Aussi reproduit-elle à
plusieurs reprises leurs raisonnements capiteux (versets 35, 56, 69) et
s'applique-t-elle à montrer la futilité de cet orgueil déplacé
et de cette attitude polémique négative, en leur rappelant
la punition sévère qu'Allah a administrée aux nations
passées qui avaient démenti la Vérité, et en
leur exposant le sort horrible qui les attend, à leur tour, dans
l'Au-delà.
Et en réfutant les faux arguments des incroyants par les preuves
solides de l'Unicité d'Allah, la Sourate demande au Prophète
et à ses adeptes de s'armer de patience devant leurs contradicteurs
et leur promet une victoire évidente.
Sur le plan stylistique les orientalistes distinguent, selon Jaques
Berque, dans cette Sourate «deux séquences (versets 1-56 et
57-85), la seconde étant d'allure et d'assonance différentes
de la première. Les aphorismes qui s'en détachent reprennent
pourtant les idées de la première partie, non qu'on ne puisse
reconnaître en celle-ci deux morceaux d'une vingtaine de versets
chacun». A noter aussi la fréquence de la forme internée
dans cette Sourate, et des aphorismes où «chaque argument
d'évidence est suivi d'un constat désabusé»
(versets 57, 58, 59, 61)(3).
Les mérites de la récitation de cette sourate:
La Tradition souligne les mérites de la récitation des
Hawâmîm,
en
général, et la Sourate du Croyant en particulier. En effet,
selon Abû Burayrah al-Aslamî, le Prophète (P) dit: «Quiconque
aimerait jouir des Jardins du Paradis, qu'il récite les Hawâmîm
pendant la prière de la nuit».
Et d'après le témoignage d'Anas Ibn Mâlik, le Messager
d'Allah (P) déclara: «Les Hawâmîm constituent
la belle façade du Coran».
Pour sa part, Obay Ibn Ka'ab a témoigné que le Prophète
(P) dit: «Tous les Prophètes, tous les amis et tous les croyants,
sans exception, prieront et imploreront le Pardon divin pour quiconque
récite la Sourate Hâ'Mîm, le Croyant».
Quant à l'Imâm al-Sâdiq (p), cité par Abû
Baçîr, il dit à ce propos: «Les Hawâmîm
sont les bouquets odorants du Coran. Remerciez Allah et louez-Le donc en
les apprenant par coeur en les récitant. Que le croyant récite
les Hawâmîm, et un parfum plus agréable
que celui du musc et de l'ambre s'exhale de sa bouche. Allah couvrira de
Sa Miséricorde celui qui les lit et récite, ainsi que ses
voisins, ses amis, ses connaissances, son entourage et ses proches; et
le Jour de la Résurrection, le Trône, la Chaise et les Anges
rapprochés d'Allah imploreront le Pardon pour lui».(4)
* * *
B- Le Récit
La Sourate de "Croyant" renferme une série de récits qui
gravitent autour des Âle Pharaon. Ces récits ou contes divers
sont liés par un même fil qui les unit de telle sorte qu'on
peut les considérer comme un seul récit sur la vie linéaire
de ce peuple (les Âle Pharaon) depuis l'arrivée de Moïse
(P) parmi eux, en passant par leur périssement, jusqu'à leur
demeure finale le Jour dernier, le Barzakh, puis l'Enfer.
La construction ou la structure architecturale de ce récit repose
sur la description de vies ou de milieux divers: le milieu de la vie terrestre,
d'abord, le milieu du Barzakh ou du tombeau ensuite, et le milieu infernal
enfin. Tous ces milieux mettent en scène la conduite des Âle
Pharaon, sous une forme romanesque réjouissante dans laquelle sont
enchevêtrés ces divers milieux à travers un enchaînement
objectif du temps où se mêlent futur, présent et passé.
Ceci concerne le milieu du récit.
Quant aux personnages ou héros, le récit pullule de personnages
secondaires tels Moïse (P), Pharaon, Hâmân, Qâroun.
En outre les Âle Pharaon eux-mêmes représentent un personnage
collectif principal dans le récit. D'un autre côté,
le récit évoque le personnage de Joseph (Yousuf) aussi, dans
un contexte particulier, comme nous allons le remarquer.
Mais le rôle principal qui domine le récit c'est celui
du héros, le Croyant d'Âle Pharaon, comme le titre du récit
le laisse deviner.
L'importance du rôle de ce héros tient à l'importance
de la méthode d'action missionnaire du Croyant d'Âle (du peuple)
Pharaon, que le récit nous présente. Cette méthode
d'action, ainsi que celle de la confrontation directe choisie par un autre
héros, Moïse, constituent deux modes d'action dictés
aux héros mujâhid par la nature du climat politique.
A travers les champs de bataille dans lesquels les deux héros sont
engagés, l'un est amené à choisir un combat secret,
l'autre une action ouverte et publique.
Quant aux autres ingrédients du récit, constitués
de péripéties et de situations diverses, ils sont agencés
à leur tour selon un ordre architectural plaisant dont nous parlerons
en détails, ainsi que de tous les autres éléments
romanesques, plus loin.
* * *
Le récit commence par le personnage de Moïse (P) lors de
sa confrontation franche avec Pharaon, Hâmân et Qâroun:
«Nous avons envoyé Moïse avec nos Signes et un
pouvoir incontestable à Pharaon, à Hâmân et à
Qâroun (Coré).
»Ils dirent: "C'est un sorcier, un imposteur".
»Mais quand il leur apporta la Vérité émanant
de Nous, ils dirent: "Tuez les fils de ceux qui croient comme lui, et laissez
vivre leurs filles".
»La ruse des incrédules ne fait que les égarer».(5)
Telle est la première parole du récit: le Ciel envoie
Moïse à Pharaon, Hâmân et Qâroun.
Il s'agit de savoir maintenant quels sont les rôles joués
par chacun de ces trois personnages?
En ce qui concerne Pharaon, il est le chef des tyrans et sa position
dans les péripéties se passe par conséquent de commentaire.
Quant à Hâmân, il est son ministre, et il occupe une
position risible, comme nous allons le constater. Pour ce qui concerne
Qâroun, le trésorier de Pharaon, il n'occupe pas une position
dans ce récit, mais d'autres textes coraniques l'ont dépeint
ailleurs, dans un autre récit que nous avons déjà
abordé.
Est-ce que cela signifie (du point de vue purement romanesque) que le
récit ne cherche pas à déterminer les rôles
ou les fonctions que ces trois personnages y jouent, mais vise à
mettre en scène les idoles qui occupent une position sociale dans
le milieu où se meuvent les Âle Pharaon dans leur relation
avec Moïse, et ce abstraction faite du mouvement effectif déterminé
pour telle ou telle autre idole?
La réponse est très probablement positive, étant
donné que les grandes idoles ont leur influence sociale dans le
cadre de la place qu'elles occupent dans l'esprit de la populace, et que
Satan a réussi à ensorceler celle-ci, malgré les preuves
et les arguments irréfutables que Moïse a fournis à
cette populace dont fait partie Qâroun qui représente l'une
des figures de proue alliées aux Âle Pharaon autour desquels
se déroulent les péripéties du récit.
* * *
La réaction de ces idoles au message que leur avait présenté
Moïse consistait à le traiter de sorcier et de menteur.
Toutefois, le récit a enjambé la chaîne chronologique
pour anticiper sur des péripéties futures, avant de retourner
de nouveau au présent pour suivre le déroulement des événements
selon leur ordre chronologique normal.
Le laps de temps futur que le récit a anticipé concerne
les réactions suscitées par Moïse chez la populace en
question, et exprimées comme suit:
«Tuez les fils de ceux qui croient comme lui, et laissez vivre
leurs filles».(6)
De ce dialogue on peut inférer - suivant le procédé
romanesque emprunté par le récit - que le message de Moïse
invitant les gens à Allah a fait ses effets, puisque beaucoup y
ont cru, ce qui a poussé Pharaon et sa clique à réclamer
l'assassinat des croyants et la violation de leurs femmes, comme le font
les tyrans de notre époque contemporaine.
Toutefois, le récit a commenté cette réaction par
ces propos: «La ruse des incrédules ne fait que les égarer»(7),
ce qui signifie, du point de vue romanesque, que les péripéties
suivantes révéleront que les tyrans seront voués à
la défaite.
De là, le récit retourne vers l'enchaînement chronologique
des péripéties, après avoir abordé une période
future où il montre que le public - nombreux ou peu nombreux - a
répondu positivement à l'Appel du Ciel et que la fin catastrophique
des tyrans s'est bel et bien précisée.
Donc le récit revient de nouveau pour décrire les réactions
engendrées par l'Appel à Allah, suivant l'ordre chronologique
des péripéties qui ont commencé par cette réaction
du tyran Pharaon:
«Pharaon dit: "Laissez-moi tuer Moïse! Qu'il invoque donc
son Seigneur! Je crains qu'il n'altère votre religion et qu'il ne
sème la corruption sur la terre"».(8)
Cette logique ridicule est l'un des outils de propagande auxquels recourent
les tyrans à toutes époques et partout. Nous entendons par
«cette logique ridicule», ce qu'on appelle dans la terminologie
de la psychologie collective, la «projection» des traits de
caractères négatifs qui sont propres aux corrupteurs sur
les réformateurs. Ainsi, le corrompu, le vilain, l'avide, le mesquin
etc. a tendance à projeter sur autrui le défaut qu'il porte
afin d'une part que toute valeur morale saine s'écroule (au cas
où les autres sont conscients de la mesquinerie d'un tel procédé
de propagande), et que, d'autre part toutes les vérités soient
altérées ou déformées, et ce pour pouvoir préserver
son pouvoir (au cas où les autres sont inconscients de la vraie
situation).
Pharaon, lequel est le chef des corrupteurs sur la terre, à son
époque, accuse (comme le font les tyrans de l'époque contemporaine)
Moïse de corruption et affecte sa crainte de voir altérer la
religion du peuple. Il s'est imaginé que ce stratagème psychologique
suffirait à tromper la lie du peuple et à susciter une réaction
douloureuse chez les gens conscients qui répugnent vraiment à
l'altération des vérités.
Mais ce qui lui a échappé, c'est que le Ciel est à
l'affût de toute ruse à laquelle font appel les corrupteurs
sur terre et que la fin des tyrans serait toujours impitoyable, et semblable
à celle de Pharaon et des siens, péris noyés et complètement
anéantis.
Donc, Pharaon, le tyran de son époque, a suggéré
l'assassinat de Moïse afin de préserver son trône qu'il
a essayé de renforcer en trompant les ignorants et en nuisant aux
gens instruits par le recours à la désinformation: «Je
crains qu'il n'altère votre religion et qu'il ne sème la
corruption sur la terre».(9)
Toutefois, il semble que sa proposition de tuer Moïse se soit heurtée
à l'opposition de certains de ses conseillers, comme nous le dévoilera
le récit plus tard, selon un procédé romanesque indirect.
Mais avant de disparaître de la scène des péripéties
de ce récit, Moïse nous a fourni à ce propos, un élément
important pour la suite des événements (que le texte romanesque
révélera) lorsqu'il a commenté les réactions
suscitées par son appel à Allah, dans les termes suivants:
«Je cherche la protection de mon Seigneur et votre Seigneur
contre tout orgueilleux qui ne croit pas au Jour du Jugement».(10)
Là se termine le rôle de Moïse - ou disons plutôt
sa position fonctionnelle - dans le récit pour céder la place
à un nouveau héros, lequel exerce d'innombrables sortes d'activités
qui occupent une grande partie de la surface du récit, ou qui influent
considérablement sur son mouvement.
Ce nouveau héros commence à assumer l'opposition à
partir du moment où Pharaon s'est mis à penser à l'assassinat
de Moïse; et depuis qu'il est apparu sur la scène des événements,
l'opposition à Pharaon a revêtu une forme flagrante et ouverte,
et d'autant plus importante que ledit héros n'était autre
que le trésorier ou le cousin (maternel) de Pharaon, et que l'importance
de son engagement dans l'opposition n'était pas sans conséquence
sur la décision ou le projet de l'assassinat de Moïse.
* * *
Comme nous l'avons dit, Moïse, avant de disparaître du théâtre
des événements, a déclaré: «Je cherche
la protection de mon Seigneur et de votre Seigneur contre tout orgueilleux
qui ne croit pas au Jour du Jugement».(11)
Et comme nous l'avons noté également, cette déclaration
projettera une lumière sur le futur des événements
et notamment sur la personnalité du Pharaon, marquée par
l'orgueil et le refus de se rendre à l'évidence, comme nous
le montreront ses agissements ridicules à ce propos.
Il est indubitable que lorsque Moïse a commencé à
se mouvoir vers Pharaon et son peuple, son mouvement a été
accompagné de plus d'une situation sur lesquelles le récit
se tut. Mais le nouveau héros (le Croyant d'Âle Pharaon, dont
nous aborderons les détails de la personnalité sous peu)
dévoile un aspect des mouvements de Moïse (P). Cette façon
de tisser le récit révèle certaines caractéristiques
techniques que celui-ci a adoptées dans la construction des péripéties
et des personnages.
En effet, le récit s'est contenté d'aborder du personnage
de Moïse, le fait qu'il s'était présenté aux
Âle Pharaon avec «des Signes et un Pouvoir incontestable»(12)
et qu'il avait cherché refuge auprès d'Allah contre tout
orgueilleux qui ne croit pas au Jour du Jugement.
Quant aux détails de la situation dans laquelle il a appelé
les gens à Allah, le récit les a passés sous silence,
laissant d'une part, au lecteur le soin d'en déduire quelques-uns,
estimant d'autre part que certains détails ne répondraient
à aucune nécessité romanesque, chargeant enfin le
nouveau héros (le Croyant d'Âle Pharaon) de nous faire découvrir
à travers la présentation de sa personnalité, certains
autres détails relatifs au personnage de Moïse et à
la situation dans laquelle il a agi auprès des Âle Pharaon.
Un lecteur attentif ou averti ne peut qu'admirer ce procédé
de présentation des personnages et des événements
très intéressant et plaisant sur le plan de la technique
romanesque.
Ceci dit, Moïse ayant disparu totalement de la scène romanesque,
laissant la place à un nouveau héros qui va compléter
le rôle qu'il a commencé dans le déroulement du récit.
Quels sont donc les traits caractéristiques de ce nouveau héros?
* * *
Le récit débute la présentation du nouveau héros
comme suit:
«Un homme croyant, qui appartient au peuple de Pharaon et qui
cachait sa foi, dit: ...».(13)
Ce qu'a dit le héros, nous le saurons plus tard. Mais il convient
tout d'abord de mettre en exergue les traits caractéristiques de
ce héros dont nous avons dit qu'il était au début
opposé à l'assassinat de Moïse (P) et qu'il complétera
les tâches que le Ciel avait confiées à Moïse.
Le récit nous a dévoilé trois traits de ce personnage:
"homme croyant", "appartenant au peuple de Pharaon", "il cachait sa foi".
Là il faut méditer profondément sur l'importance
romanesque de la présentation de ces trois traits de la personnalité
du nouveau héros. Car cette présentation est riche en significations
que nous devons suivre dans le domaine du «Combat sur le Chemin d'Allah»
et adopter dans toute action politique, sociale ou individuelle que le
Ciel nous demande d'entreprendre dans une situation particulière
de terreur, où les tyrans ne laissent à la personnalité
musulmane aucune latitude d'agir ouvertement, ou dans des circonstances
ponctuelles où l'action secrète s'avère plus efficace
que l'action ouverte, comme nous allons en avoir l'illustration dans la
conduite de notre héros ici.
En effet, le simple fait que notre héros appartienne au peuple
de Pharaon atteste que les membres des groupes, des peuples ou des bandes
corrupteurs sur la terre ne sont pas forcément tous, réfractaires
au bien et dépouillés de tout bon fond, étant donné
que l'éducation sociale spécifique à chacun et la
différence entre un individu et un autre déterminent et réforment
les comportements individuels, ou même effacent le caractère
héréditaire aberrant dans des cas particuliers, et à
fortiori les influences du milieu dévié. La femme de Pharaon
lui-même était croyante. Pourquoi pas son cousin maternel,
par exemple!
L'observation de cette vérité, pourrait nous aider à
mettre à profit des individus qui appartiennent à des peuples,
des familles, des milieux ou des régimes déviés, à
les arracher (secrètement ou ouvertement, selon les circonstances)
à la déviation et à les sortir des ténèbres
à la lumière, et ceci est d'autant plus important pour la
bonne cause que de tels individus, du fait de la position qu'ils occupent
auprès du régime, du milieu ou du groupe corrompu, pourraient
s'avérer plus efficaces que d'autres.
En tout état de cause ce trait social souligné par le
récit, c'est-à-dire le fait de l'appartenance du héros
au peuple de Pharaon influera beaucoup sur le déroulement des péripéties,
comme nous allons le constater.
Quant au second trait, le fait qu'il soit "Croyant". Le récit
l'a entouré de silence. Même les textes exégétiques
ne nous apprennent pas grand-chose sur ce trait, se bornant à nous
informer que ce Croyant avait caché sa foi pendant des années
ou des siècles, sans nous renseigner plus sur le comment et le pourquoi.
Même sur le troisième trait, la dissimulation de la foi,
ces textes restent peu loquaces, se contentant d'aborder son aspect général
et sa durée.
Il est clair, du point de vue purement romanesque, que le récit
se soucie moins de la détermination des préliminaires de
la foi ou de sa durée, que du soulignement de son caractère
de «secret», à cause de l'importance de ce caractère
pour la préservation de la vie du personnage, d'une part, pour l'accomplissement
de sa tâche d'adoration (même dans un cadre individuel) de
l'autre, et pour les possibilités de l'action sociale que le travail
secret actuel pourra permettre: rétablir un droit, effacer un faux,
ramener d'autres individus des ténèbres vers les lumière,
ou enfin attendre une occasion propice pour agir ouvertement dans une situation
décisive, comme le fera effectivement «le Croyant du peuple
de Pharaon» qui interviendra à un moment d'extrême gravité,
où les tyrans s'apprêteront à assassiner une personnalité
élue par le Ciel (Moïse).
Le rôle ou la position fonctionnelle du nouveau héros,
«le Croyant du peuple de Pharaon», débute avec la situation
suivante:
«Un homme croyant, qui appartenait au peuple de Pharaon et
qui cachait sa foi, dit:
»Tuerez-vous un homme parce qu'il a dit: "Mon Seigneur est
Dieu", alors qu'il vous a apporté des preuves évidentes.
» S'il est menteur, son mensonge retombera sur lui, s'il dit
la vérité, ce dont il vous menace vous atteindra. - Dieu
ne dirige pas celui qui est pervers et menteur -
»Ô mon peuple! La royauté vous appartient aujourd'hui
et vous triomphez sur la terre, mais qui donc nous délivrera de
la rigueur de Dieu quand elle nous atteindra?».(14)
Cette séquence ou ce monologue nous permet de relever plusieurs
traits de la technique romanesque utilisée dans le récit.
Ainsi, on peut deviner (de ce monologue) que lorsque Pharaon a dit:
«Laissez-moi
tuer Moïse», il avait vraiment l'intention de le tuer et
qu'il était en train de consulter les autres à ce propos
ou à obtenir un soutien pour son projet. La preuve en est l'intervention
du Croyant des Âle Pharaon pour donner vraisemblablement son opinion
à ce sujet, ayant peut-être promis au peuple le salut au cas
où il croirait en Allah, ou la torture terrestre au cas où
il refuserait d'entendre raison.
Ceci, on peut le déduire de l'allusion faite par le héros
à l'adresse de son peuple de la possibilité pour eux d'obtenir
une partie de ce que Moïse leur promet au cas où il dit la
vérité, d'une part, et de subir la rigueur ou la torture
d'Allah (comme en avait brandi la menace, Moïse): «qui donc
nous délivrera de la rigueur de Dieu quand elle nous atteindra».
Ces positions prises par Moïse, le récit ne nous les a pas
relatées lorsqu'il a abordé sa (de Moïse) confrontation
avec le peuple. C'est le nouveau héros, le Croyant du peuple de
Pharaon qui nous les révèle.
Ceci est un des traits de la présentation artistique du récit.
Mais en dehors de ce trait artistique, il importe de découvrir
l'importance du rôle ou de la position fonctionnelle du nouveau héros
relativement à sa façon d'intervenir, à son intervention
intelligente pour sauver la situation, à l'incidence de cette intervention
sur Pharaon lui-même et puis sur les événements en
général, sans parler des situations équivoques diverses
qui l'ont accompagné.
* * *
Le lecteur est porté à croire que Pharaon était bien
déterminé à tuer Moïse. L'apparence du texte
romanesque l'induit à concevoir une telle pensée. Toutefois,
les textes de tafsîr, qui projettent un peu de lumière
sur la situation, laissent entendre qu'il hésitait à mettre
en exécution sa décision, et tentent de justifier cette hésitation,
ou cette consultation ou l'ajournement du projet.
Ces textes exégétiques indiquent schématiquement
que le fait que Pharaon, sachant que l'assassinat des Prophètes
et de leurs enfants ne peut être commis que par des fils de prostituées,
s'est abstenu d'être l'auteur de ce crime. De même quelques
textes d'exégèse nous rapportent une partie d'opinions semblables
des conseillers de Pharaon, lesquels lui ont suggéré de reporter
l'exécution de Moïse et de son frère Hâroun à
une date ultérieure, invoquant le même argument : seule la
progéniture des débauchées oseraient assassiner les
grandes personnalités.
Cela signifie, au moins, que Pharaon tenait à sa réputation,
craignait qu'elle ne fût entachée, et voulait éviter
que sa naissance ou son lignage fasse l'objet de clins d'oeil et de chuchotements
allusifs au cas où il commettrait l'assassinat d'un Prophète.
En tout état de cause, les ambiguïtés de la situation
relative au projet de l'assassinat, nous montrent que Pharaon n'a pas mis
à exécution sa décision immédiatement et que
celle-ci a fait l'objet de tergiversations, d'atermoiements, de consultations
et d'examens, dont l'une des conséquences était l'intervention
du nouveau héros, le Croyant du peuple de Pharaon, intervention
dont nous nous devons d'expliquer les détails maintenant.
Si le crime d'assassinat d'un serviteur d'Allah ne peut être perpétré
que par les fils de débauchées, l'intervention en vue d'empêcher
un tel crime révèle l'existence d'un trait de caractère
tout à fait opposé chez l'auteur d'une telle intervention,
à savoir la pureté et la bonne naissance. De même si
l'assassinat d'un Prophète décèle la mauvaise naissance
de l'assassin, le fait de rester les bras croisés devant le projet
d'un tel assassinat (alors qu'on peut l'empêcher) indique la présence
d'un trait semblable au trait pervers qui caractérise les assassins.
De là, notre héros (étant donné sa pureté
et la bonté de son fond) qui avait dissimulé sa foi pendant
une longue durée, a estimé que se taire sur un assassinat,
constitue une contribution ou une participation au crime. Aussi intervint-il
directement pour empêcher la perpétration de ce crime. Telle
est l'explication et la cause psychologique et artistique de l'intervention
de notre héros.
Mais ce nouveau héros, qui fait preuve d'une grande maturité,
de sagesse, d'intelligence sociale et de pertinence, n'est pas intervenu
d'une façon passionnelle ou naïve, mais avec intelligence et
par une attitude fondée sur des arguments irréfutables qui
ne laissent aux adversaires aucun prétexte et les désarment
complètement, et ce peu importe quel sort lui sera réservé
à la suite de cette intervention, sort à propos duquel les
textes de tafsîr ne sont pas très tranchants, laissant entendre
seulement que ledit héros a été sauvé avec
Moïse en traversant la mer, ou qu'il a échappé à
une tentative d'assassinat qu'on avait préparée contre lui.
En tout état de cause, son argument présenté au
peuple a tenu compte de l'intérêt de celui-ci, de ses désirs
et de ses sentiments, puisqu'il dit: «la royauté vous appartient
aujourd'hui et vous triomphez sur la terre».(15)
En d'autres termes, il les a confirmés dans leur pouvoir dont
ils jouissaient, et les a mis en garde contre le risque de le perdre au
cas où la menace - brandie par Moïse - du châtiment se
concrétisera. De même, il les a confirmés dans ce à
quoi ils aspiraient et que Moïse leur a promis au cas où ils
croiraient en Allah: «s'il dit la vérité, ce dont
il vous promet vous parviendra».(16)
Bref, son intervention a été empreinte de marques de maturité,
de sagesse et surtout elle a joué sur leurs fibres sensibles.
La question qui se pose à présent est quelle a été
la réaction de Pharaon à cette intervention ou à ce
conseil? Puis, quelles sont les données (est la portée) de
cette intervention dans le cadre de l'action en vue des principes divins?
* * *
La réaction de Pharaon au conseil du "Croyant" ressort de la
séquence suivante :
«Pharaon dit: "Je ne vous montre que ce que j'ai vu moi-même.
Je ne vous dirige que sur le chemin de la certitude».(17)
Cela signifie que Pharaon reste sur sa position antérieure et
dans le cadre du langage trompeur, fait de mensonges et de discours faussement
moralisateurs.
Le récit se contente de présenter cette partie de la réaction
de Pharaon sans entrer dans les détails de ses décisions
pratiques à ce sujet, lesquelles traduisent pourtant mieux sa réaction
réelle.
Puis le récit entreprend l'exposé de nouvelles positions
du héros, comme nous allons le voir plus loin.
Mais là le lecteur peut s'interroger, sur un plan purement romanesque:
Pourquoi le récit s'est-il abstenu de déterminer l'action
que Pharaon entreprendra contre Moïse? S'est-il apprêté
à le tuer? A-t-il ajourné son exécution?
Pourquoi le récit a-t-il enjambé ces détails pour
poursuivre son exposé sur les positions du héros? Quelle
est la raison artistique de ce procédé romanesque?
* * *
Il est à remarquer que le récit du «Croyant du peuple
de Pharaon» est conçu selon une ossature romanesque spécifique,
fondée sur la "théâtralisation" du récit, en
ce qui concerne le dialogue de chacun de ses deux héros: le Croyant
et Pharaon. Ainsi, le Croyant s'adresse trois fois ou plus à son
peuple, et son dialogue est entrecoupé, plus d'une fois par le dialogue
de Pharaon avec son peuple.
"Le Croyant", parlant à son peuple, dit: «ne tuez pas
Moïse!». Puis, il se tait. Et là Pharaon, à
ce moment précis s'interpose, pour dire que la sagesse est de tuer
Moïse.
Jusque là le dialogue semble se dérouler entre le Croyant
et Pharaon, mais par peuple interposé, ou tout en faisant semblant,
chacun à son tour, de s'adresser au peuple et non à l'autre.
C'est donc un dialogue indirect.
Puis, le Croyant revient à la charge, s'adresse à son
peuple et lui rappelle l'anéantissement des peuples des siècles
passés, avant de se taire, comme pour céder la place à
Pharaon, lequel s'adresse à son ministre Hâmân et lui
dit: «construis-moi une tour pour que je puisse voir le Dieu de
Moïse», et ensuite il se tait. Là le Croyant revient
et dit à nouveau à son peuple: «suivez-moi, je vous
conduirais vers la Voie de la rectitude», etc.
Ce dialogue divisé en parties, aurait pu être déroulé
d'un seul trait, et c'est d'autant plus faisable, que le Croyant et Pharaon
ne se parlent pas directement pour que leur dialogue requière des
questions et des réponses et prenne la forme d'un dialogue multilatéral,
mais parlent chacun à son tour, à leur peuple, au point que
la parole de chacun semble n'avoir aucun rapport avec celle de l'autre.
Par exemple, alors que le Croyant du peuple de Pharaon parlait de l'anéantissement
des peuples des siècles passés: le peuple de Noé,
le peuple de 'Âd, le peuple de Thamûd, le récit rompt
la chaîne de son exposé pour donner la parole à Pharaon.
Mais qu'a dit Pharaon à ce moment-là? Il a demandé
à son ministre Hâmân de lui construire une tour pour
qu'il voie le Dieu de Moïse. Or, il n'y a aucun rapport apparent entre
les propos du croyant et la déclaration de Pharaon. Le premier parle
des expériences et sorts des peuples passés, et Pharaon de
la construction d'une tour !
Puis, le Croyant a repris la parole, mais pour dire quelque chose qui
n'a rien à voir, là non plus, avec ce que Pharaon venait
de déclarer, puisque le Croyant dit à l'adresse de son peuple:
«Suivez-moi! Je vous dirigerai sur le Chemin de la rectitude».
Donc les interruptions des dialogues de la sorte, sans qu'il y ait entre
les deux personnages, Pharaon et le Croyant, une discussion qui l'exigerait,
doivent répondre à un motif artistique important. Autrement,
pourquoi, ce récit à la différence de tous les autres
récits coraniques est-il le seul à adopter ce type de dialogue
entrecoupé en séquences, sans qu'il y ait un rapport manifeste
entre les dialogues interrompus tantôt par le Croyant tantôt
par Pharaon, alors que l'un et l'autre ne se parlent pas.
* * *
A notre avis, nous avons affaire ici à un récit "théâtralisé",
s'il est permis de s'exprimer ainsi.
Car il est familier (dans le domaine de la littérature romanesque)
que certains romans ou récits, sont conçus pour être
lus seulement, et d'autres sont écrits pour être joués
sur scène. Certes, le roman et le théâtre se veulent
deux genres bien distincts, mais il arrive que dans certains récits
les situations sont totalement ou partiellement théâtrales,
tout en conservant leur genre ou leur caractère romanesque. Or dans
le texte dont nous traitons ici, bien qu'il soit romanesque et non théâtral,
certaines parties en sont conçues avec une dimension théâtrale
exigée par la situation romanesque.
On peut imaginer cette situation de la façon suivante:
Supposons qu'il y ait une salle de conférence ou de réunion
dans laquelle sont présents Pharaon, Hâmân et tous les
ministres du premier nommé, ainsi que les hauts fonctionnaires,
et peut-être une foule du public.
Assiste à cette réunion également le Croyant du
peuple de Pharaon en tant que haut fonctionnaire. Pharaon ouvre la séance
en proposant l'élimination physique de Moïse.
Là, le Croyant du peuple de Pharaon intervient, exprimant son
opinion et demandant à l'assemblée de ne pas le tuer.
Mais Pharaon l'interrompt, ou commente son opinion et affirme que l'assassinat
de Moïse est la voie de la rectitude.
Là, le Croyant du peuple de Pharaon intervient de nouveau, s'adresse
à l'assistance, leur rappelle les événements des siècles
passés et comment les peuples de 'Âd, de Thamûd et de
Noé y avaient péris, en raison de leur persistance dans la
mécréance.
Puis le Croyant cesse de parler, et Pharaon reprend la parole, s'adresse
aux auditeurs - comme s'il cherchait à discréditer la personnalité
du Croyant, à réfuter ses opinions ou à le ridiculiser
en parlant de tout autre chose - et dit à son ministre Hâmân:
«construis-moi une tour pour monter au ciel et voir le Dieu de
Moïse».
Mais le Croyant (conscient des propos ridicules et insignifiants de
Pharaon), reprend encore la parole et dit à l'assemblée:
«Ô mon peuple! Suivez-moi! Je vous dirigerai sur le Chemin
de la rectitude», et continue à discourir sincèrement
et sérieusement, à l'opposé de Pharaon qui leur a
rebattu les oreilles d'insanités, de sottises et de sarcasmes.
Sur ce, la réunion se termine avec cette dernière intervention
du Croyant.
Et puis, le récit s'engage dans un autre tournant.
* * *
En tout état de cause, le récit, selon notre opinion artistique
particulière, était en train de rapporter le déroulement
de la réunion à laquelle avaient assisté Pharaon,
Hâmân, le Croyant, et tous ceux qui étaient concernés
par cette affaire.
Voilà pourquoi l'élément "dialogue" était
coupé en séquences, et Pharaon, en raison de sa personnalité
corruptrice, déchirée et perverse avait empêché
que ce dialogue prenne la forme de "question-réponse" ou de discussion
soutenue et cohérente, il a même essayé de banaliser
cette affaire en répondant par des sarcasmes, comme nous le montre
le récit en détails.
Et c'est là donc l'explication de la formulation du dialogue
"à bâton rompu" de telle manière qu'on croirait à
l'absence de rapport entre ses répliques ou entre les interlocuteurs...
Il est clair que l'élaboration du dialogue de cette façon
que la nature de la réunion ou de l'assemblée tenue par Pharaon,
a dictée, reste très vital, très réjouissant,
reflétant le mouvement de la réalité dans tout ce
qu'elle comporte de simplicité et de complexité à
la fois. Il nous transmet tous les faits de la réunion ou de l'assemblée,
avec toutes ses contradictions qu'incarne Pharaon, et tout son sérieux
que personnifie le Croyant du peuple de Pharaon.
Mais il le transmet - non pas directement, à travers une scène
et un public d'assistants, mais indirectement - sous une forme romanesque
et non théâtrale - par un procédé de dialogue
spécifique, différent des autres procédés de
dialogue qu'on rencontre familièrement dans les autres récits
coraniques, et ce afin de nous amener, nous les lecteurs ou les auditeurs
de Coran, à déceler, nous-mêmes, la présence
d'un nouveau mouvement dans le récit, qui traduit l'existence d'une
réunion privée ou publique, dictée par des circonstances
particulières et marquée par des traits spécifiques,
réunion dont nous détaillerons les résultats plus
loin.
* * *
Avant d'aborder ces résultats, récapitulons pour mieux
suivre le dialogue théâtral dont la majeure partie est constituée
du discours du héros, le Croyant du peuple de Pharaon, entrecoupée
par des commentaires ponctuels de Pharaon lui-même.
Après avoir constaté que Pharaon reste insensible à
ses conseils, le Croyant a poursuivi son discours à l'adresse du
peuple, en lui rappelant les sorts peu enviables réservés
aux peuples passés et le sort abominable qui lui serait réservé
dans l'autre monde, s'il persiste dans son polythéisme.
«Ô mon peuple! Oui, je crains pour vous un jour semblable
à celui des factieux ;
» un sort semblable à celui du peuple de Noé,
de 'Âd, des Thamûd et de ceux qui vécurent après
eux - Dieu ne tolère pas l'injustice envers ses serviteurs! -
«Ô mon peuple! Oui, je crains pour vous le Jour où
les hommes s'interpelleront les uns les autres;
»le Jour où vous vous détournerez. Vous ne trouverez,
alors aucun défenseur contre Dieu. Personne ne dirige celui que
Dieu égare».(18)
Et là le héros (le Croyant) va mettre l'accent sur la
personnalité d'un Prophète en particulier, Joseph (Yousuf)
(P), rappelant à son peuple l'attitude sceptique des Coptes envers
le message de ce Prophète:
«Joseph leur avait autrefois apporté des preuves décisives;
vous n'avez pas cessé d'en douter; mais lorsqu'il eut disparu, vous
avez dit:
»"Dieu n'enverra plus jamais de prophète après
lui".
» - Dieu égare celui qui est pervers et celui qui doute
-
«Ceux qui discutent au sujet des Signes de Dieu sans en avoir
reçu mandat, provoquent la grande haine de Dieu et des croyants.
» - Dieu met un sceau sur le coeur de tout tyran orgueilleux
- ».(19)
Ceci dit, on peut se demander ici: quelle est la nécessité
romanesque de cette évocation de la personnalité de Joseph
à l'exclusion de tout autre Prophète?
* * *
La question est relative aux Coptes et au peuple de Moïse. Joseph
avait lui aussi (comme l'affirment certains textes exégétiques)
attiré l'attention de son peuple sur les difficultés qu'il
rencontrerait dans l'avenir.
Cela signifie que l'évocation par le Croyant du peuple de Pharaon
de la personnalité de Joseph implique un élément artistique
et psychologique clair, relatif à la situation nouvelle (celle du
peuple de Pharaon). Car en effet, la prédication de Joseph s'était
réalisée, puisque les hommes ont été tués,
les enfants égorgés et les femmes enceintes éventrées,
de la façon qu'on sait à propos du traitement que les Coptes
avaient réservé aux israélites.
Nous devons attirer l'attention sur le fait que lorsque le récit
coranique rappelle à un peuple donné le sort qui a été
assigné à un autre peuple, il vise à mettre ce dernier
en garde d'une part, et à lui promettre un sort similaire, au cas
où il refuserait de tirer la leçon de l'exemple des peuples
passés, d'autre part.
Ainsi, nous remarquons dans l'un des récits coraniques relatifs
à Moïse (P) que l'accent est mis sur les bienfaits prodigués
par le Ciel aux Israélites, et en premier lieu, sur leur délivrance
des griffes des Coptes. Mais les Israélites se sont montrés
ingrats à l'endroit de ces bienfaits, et ont perdu la tête
au point que leurs crimes ont surpassé ceux de leurs bourreaux et
persécuteurs. Aussi le Ciel a-t-il dépeint dans le récit
précité (relatif à Moïse) des sorts noirs proportionnels
aux crimes qu'ils (les Israélites) avaient commis, ce qui veut dire
que le rappel des bienfaits, fait à ces derniers est associé
(sur le plan romanesque) au sort qui leur est réservé en
fin de compte, en récompense de leur ingratitude envers les bienfaits
dont ils avaient bénéficié.
Ici dans le récit du Croyant du peuple de Pharaon, le rappel
du passé prend une direction différente dont le but n'est
pas déterminé par le même souci de dessiner un sort
particulier à un tel ou tel autre peuple, mais plutôt pour
adresser seulement une mise en garde générale, afin d'amener
les gens à croire en Dieu.
Effectivement, le Message du Ciel a frayé son chemin parmi de
grands nombres de gens, sujet qui ne nous intéresse pas actuellement,
étant donné que le récit vise autre chose.
En tout état de cause, lorsque, à travers le Croyant,
le récit fait le rappel de la personnalité de Joseph à
l'exclusion de toute autre personnalité historique, il cherche par
ce procédé romanesque et psychologique à introduire
la prédiction de Joseph d'une part, et l'incroyance des Israélites
- après sa mort - aux messages des Prophètes, d'autre part:
«mais lorsque Joseph eut disparu, vous avez dit: "Dieu n'enverra
plus jamais de prophète après lui»(20),
et à établir, enfin, un lien entre tout ce qui précède
avec l'état d'incroyance que vivait le peuple de Pharaon, quand
Moïse a présenté son message.
* * *
Pendant que le héros, le Croyant poursuivait, lors de la réunion
sa mise en garde, Pharaon qui y était présent demandait à
son ministre Hâmân de lui construire une tour pour qu'il voie
ce qui se passe dans le Ciel (Pharaon dit: «Ô Hâmân,
construis-moi une tour pour que j'atteigne les cordes célestes et
je monterai vers le Dieu de Moïse»(21)).
Mais le héros, fait l'ignorance totale de ce propos ridicule
de Pharaon qui montre davantage son insolence, et va continuer imperturbablement
son discours qui porte implicitement entre les lignes une réponse
indirecte au Tyran (Pharaon).
Remarquons que sur le plan romanesque, si le Croyant a conclu la dernière
séquence de son discours par: «Dieu met un sceau sur le
coeur de tout tyran orgueilleux»(22)
- et si l'on considère cette phrase comme un commentaire du Ciel
et non du Croyant - c'est parce que la dernière proposition sarcastique
de Pharaon, apparaît comme l'application concrète de cette
Parole d'Allah: «Dieu met un sceau sur le coeur de tout tyran
orgueilleux», laquelle signifie qu'il n'y a plus aucun espoir
de ramener la personne égarée de la sorte sur le Chemin de
la guidance.
Donc, comme nous l'avons dit, le Croyant n'a prêté aucune
attention à cette sottise (la construction d'une tour), et poursuivi
son discours:
«Le Croyant dit: "Ô mon peuple! Suivez-moi! Je vous dirigerai
sur le Chemin de la rectitude.
»Ô mon peuple! La vie de ce monde n'est qu'une jouissance
éphémère. La vie future est la demeure de la stabilité».(23)
Il ne faut pas perdre de vue que dans la réunion Pharaon avait
déjà adressé la parole au peuple, en prétendant
qu'il le guiderait sur la voie de la rectitude:
«Je ne vous montre que ce que j'ai vu moi-même. Je ne
vous dirige que sur le chemin de la rectitude».(24)
Mais le récit répond à cette prétention
en faisant dire au Croyant que la rectitude réside dans la soumission
aux principes du Ciel.
Suivons encore le héros qui continue son discours à l'attention
de son peuple:
«Ô mon peuple! Pourquoi vous appellerais-je au salut,
alors que vous m'appelez au Feu?
»Vous m'appelez à l'incrédulité envers
Dieu, au polythéisme dont je n'ai aucune connaissance, mais moi,
je vous appelle auprès du Tout-Puissant, auprès de Celui
qui ne cesse de pardonner.
»Celui auprès duquel vous m'appelez ne peut, sans aucun
doute, être invoqué ni en ce monde, ni dans la vie future.
Oui, notre retour sera vers Dieu et les pervers deviendront les hôtes
du Feu.
»Vous vous souviendrez de ce que je vous dis: je confie mon
sort à Dieu. Dieu voit parfaitement Ses serviteurs».(25)
Par ces séquences, se termine le discours du héros, le
Croyant du peuple de Pharaon, et le récit s'engage dans un autre
tournant.
De là, il convient d'attirer l'attention sur l'importance de
ces propos par lesquels le héros achève son discours. Leur
importance réside en ceci qu'ils révèlent des traits
spécifiques de l'art ou de la technique romanesque utilisés
dans ce récit et dont la suite sera reflétée sur le
mouvement des péripéties, le sort du héros et sur
les fins que connaîtra son peuple, comme nous les détaillerons
dans les pages suivantes.
* * *
La valeur des mots par lesquels le héros a clos son discours,
considérée sur le plan de la structure organique du récit
et l'adhésion de ses lignes architecturales, tient au fait qu'ils
amènent le lecteur ou l'auditeur à se creuser la tête
pour prédire ou deviner les fins ou les cheminements des péripéties.
Si certains de ces propos du héros laissent entrevoir la suite des
événements, d'autres restent entourés de mystère.
Les uns suscitent chez le lecteur la crainte et l'appréhension relativement
au sort du héros, d'autres éveillent en lui des sentiments
de pitié et d'affliction pour les sorts réservés au
peuple qui n'a pas voulu entendre raison.
En tout état de cause l'élément d'intéressement
(ou de suspense) à la suite des événements, pourrait
ne pas paraître à un lecteur non averti, mais pour un connaisseur
ou un lecteur assidu de roman, cet élément de suspense est
présent dans son esprit, puisqu'il ressent que chaque mot prononcé
par le héros et chaque geste qu'il esquisse porte un sens ou une
signification, surtout lorsqu'on sait que ce héros n'était
pas un personnage ordinaire, mais un des tout premiers pionniers des Croyants,
quelqu'un qui a cru en Dieu très tôt, au point que certains
textes d'exégèse le considèrent comme au nombre des
quatre personnages de l'histoire, à incarner ceux qu'Allah a désignés
sous le vocable: «...les premiers arrivés(26),
qui seront bien les premiers»(27),
c'est-à-dire à la tête des "premiers" à avoir
la Foi, dans des circonstances où personne d'autre n'avait cette
chance. Or une personnalité d'une telle piété, qu'Allah
à entourée de Ses soins particuliers ne saurait prononcer
une mise en garde ou lancer un avertissement sans que cet avertissement
ou cette mise en garde n'influe sur le mouvement du récit et le
futur des péripéties.
Cette mise au point faite, examinons les significations que comportent
les propos du héros à la clôture de la séance
ou de la réunion tenue en vue de débattre du projet de l'assassinat
de Moïse (P).
* * *
Le Croyant du peuple de Pharaon dit: «Ô mon peuple! Pourquoi
vous appellerais-je au salut, alors que vous m'appelez au Feu!».(28)
C'est la première des séquences dont nous attendons, sur
le plan romanesque, qu'elle ait des incidences sur les sorts réservés
au peuple de Pharaon, puisqu'elle fait allusion au Feu.
Le héros dit aussi: «Vous vous souviendrez de ce que
je vous dis».(29)
Et là c'est la deuxième séquence qui promet une
suite, puisqu'elle est chargée d'une menace sérieuse qui
n'a rien de rodomontade.
Et le héros d'ajouter: «Je confie mon sort à
Dieu».(30)
Cet énoncé laisse supposer que les tyrans vont pourchasser
ce héros, mais le lecteur a en même temps tendance à
se rassurer, en pensant que le Ciel n'abandonnera pas le héros à
son sort et qu'IL l'entourera de Ses soins.
Donc lorsqu'on médite sur ces trois énoncés:
1- «Pourquoi vous appellerais-je au salut, alors que vous m'appelez
au Feu?»;
2- «Vous vous souviendrez de ce que je vous dis»
;
3- «Je confie mon sort à Dieu»,
On se demande quelle suite le récit va-t-il y donner et on reste
dans l'attente.
Effectivement, l'attente ne sera pas longue. Le récit annonce
promptement et d'une façon brusque, le sort subi par le peuple de
Pharaon et la délivrance du héros de la malveillance de ce
peuple, et ce tout de suite et directement après que le Croyant
eut terminé son discours:
«Dieu préservera ce Croyant de leurs méchantes
ruses, et les gens de Pharaon, IL les enveloppera du châtiment le
plus dur».(31)
Par ces mots le récit a tout tranché, achevant le rôle
du héros et du peuple de Pharaon dans ce bas-monde.
Ensuite le récit abordera directement le sort réservé
au peuple de Pharaon dans le milieu de Barzakh, puis dans le milieu
de l'Enfer, comme nous en parlerons en détails ultérieurement.
Mais avant d'aborder cette phase, il est nécessaire de nous attarder
encore sur la corrélation organique entre les mots du héros
et les sorts réservés à Pharaon et à son peuple,
et de tirer quelques leçons idéologiques qui nous serviraient
dans notre conduite terrestre.
* * *
Nous avons vu concernant le sort du héros que la réplique
du Ciel à l'énoncé de celui-ci «je confie
mon sort à Dieu» fut: «Dieu préserva ce
Croyant de leurs méchantes ruses».
Dans cette séquence, outre le trait romanesque qui consiste en
l'établissement d'un lien entre le discours du héros à
l'adresse de son peuple, et le commentaire du récit sur ce discours,
il y a un message idéologique qu'il est important de retenir, car
il est chargé d'enseignements.
En effet on doit remarquer que ce héros a dissimulé sa
foi durant de longues années (pour des raisons relevant du principe
de la taqiyyah (la dissimulation légale de la foi) qui requiert
une telle dissimulation tantôt par souci de préserver la pratique
religieuse, tantôt pour mieux servir sa foi, au moment propice, tantôt
pour préparer une révolution pour les raisons précitées
et par la nécessité qu'impose la nature de l'action clandestine
des mouvements de libération. Et subitement, il nous surprend en
manifestant sa colère au moment approprié, et selon une méthode
psychologique intelligente: d'abord en se présentant sur un registre
de neutralité.
«Tuerez-vous un homme parce qu'il a dit: "Mon Seigneur est
Dieu?"».(32)
Puis en se montrant solidaire avec son peuple et soucieux de son intérêt:
«la royauté vous appartient aujourd'hui, et vous triomphez
sur la terre; mais qui donc nous délivrera de la rigueur de Dieu
quand elle nous atteindra?»(33),
et avant tout cela il a calmé le jeu ou tempéré l'enjeu
en déclarant: «S'il est menteur, son mensonge retombera
sur lui; s'il dit la vérité, ce dont il vous menace vous
atteindra...».(34)
Par cette méthode le héros a modéré l'importance
du problème d'une part, l'a lié à l'intérêt
du peuple de l'autre (au cas où Moïse aurait dit la vérité)
- ce qui sert à rassurer les gens quant à ses bons sentiments
envers eux, avant de monter progressivement le ton en leur rappelant d'abord
le sort réservé aux peuples passés et comment ils
avaient mis en doute le message de Joseph (P), et en affichant enfin sa
véritable position lorsqu'il a utilisé le même ton
franc sur lequel Moïse (P) s'était adressé à
eux, c'est-à-dire le langage de la confrontation directe avec les
tyrans, mais formulé selon un style affectif propre à tous
les messages du Ciel, et doublé du langage de la menace, mais une
menace plutôt paternelle que vindicative, car elle vise à
amener les gens à la Foi avec tout ce qu'elle apporte de bienfaits
dans ce bas-monde et dans l'Au-delà, au peuple.
En tout état de cause, le héros a commencé par
la taqiyyah (dissimulation de la Foi) pour avancer progressivement
vers la "neutralité" et arriver enfin à "la confrontation
franche", et d'autant plus directe qu'il était amené à
envisager le pire pour lui-même: son arrestation ou son assassinat.
Et là il s'est écrié: «je confie mon sort
à Dieu».(35)
Moralité, il est important, d'une part, de savoir dissimuler
parfois notre foi, pour pouvoir par la suite exploiter notre position,
le moment venu, d'une façon intelligente, et non passionnelle ni
naïve qui ne tient pas compte des circonstances ambiantes, et d'autre
part de nous confier et de nous fier à Allah lorsque nous nous engageons
dans la confrontation directe.
* * *
Le récit a conclu le sort du héros et ceux de ses ennemis
d'une façon brève et sans détails.
Concernant le sort du premier, le héros, le récit s'est
contenté de faire allusion à la préservation de sa
vie terrestre: «Dieu préserva ce croyant de leurs méchantes
ruses».(36)
Notons tout d'abord que ce qui importe pour le récit c'est d'établir
un lieu de cause à effet entre le fait que le héros se soit
confié à Allah et le fait qu'Allah l'ait sauvé des
menées méchantes de ses ennemis. Et s'il a tissé un
silence autour de la façon dont fut sauvé le héros,
c'est parce qu'il s'intéresse uniquement au salut lui-même
du personnage et non à son comment. Telle est donc la justification
romanesque de l'absence de détails relatifs au sort du Croyant des
gens de Pharaon.
En effet, ce que vise le récit, c'est d'attirer notre attention
sur la soustraction du héros aux mauvais desseins des gens de Pharaon
à son égard, dès lors qu'il s'était confié
à Allah.
"La confiance en Allah", voilà le message que cette séquence
du récit nous transmet, après nous avoir communiqué
le message de la taqiyyah et le message de "la confrontation directe
avec les ennemis" dans le domaine du jihâd.
"Se confier à Allah" signifie que le combattant dans les champs
de bataille ou dans le domaine du combat intérieur (le grand jihâd
contre le moi), ou encore dans tout acte envers d'Allah, est assuré
de la protection du Créateur lorsqu'il se trouve dans les difficultés
- si extrêmes soient-elles, à condition que cette confiance
soit sincère, profonde et éprouvée dans tous les actes
d'adoration en général. Et c'est ce que nous avons observé
dans les actes ou la conduite du Croyant: il a dissimulé sa foi
pour la cause d'Allah; il est intervenu dans le projet de l'assassinat
de Moïse, pour la cause d'Allah ; il a conseillé son peuple,
puis l'a menacé - au risque de s'exposer à la mort - pour
la cause d'Allah.
Il avait confié son sort à Allah, et Allah ne l'a pas
déçu: IL l'a préservé des méchantes
ruses des gens de Pharaon et IL a administré à ceux-ci le
châtiment le plus dur.
* * *
Passons maintenant au sort des gens de Pharaon.
Le récit, là encore, fait l'économie des détails
du sort réservé à ces tyrans, se bornant à
annoncer: «et les gens de Pharaon, Dieu les enveloppa du châtiment
le plus dur»,(37) réalisant
ainsi une symétrie ou un équilibre entre le sort du héros
sauvé par le Ciel sans plus de détails sur ce sauvetage et
la vengeance du Ciel des ennemis, sans plus de détails sur cette
vengeance.
On ne peut donc qu'apprécier cet art romanesque qui se signale
clairement à travers cet équilibre géométrique
entre le sort respectif des deux parties du conflit: la Vérité
et le Faux.
Mais il est à noter que le récit n'est pas encore sorti
du cadre du sort terrestre des gens de Pharaon. Car nous avons déjà
dit, au début de notre exposé, que le milieu dans lequel
évolue le récit est composé de trois milieux: le milieu
de la vie terrestre, le milieu de Barzakh (tombeau), et le milieu
de la vie de l'Au-delà. Il reste donc encore deux milieux qui attendent
les gens de Pharaon: le Barzakh ou la tombe, et le milieu infernal dans
la Vie future.
Mais avant d'aborder ces deux milieux, il est important d'établir
un lien de causalité, sur le plan de l'art romanesque, entre lesdits
milieux et les derniers mots par lesquels le Croyant a achevé son
discours à l'adresse de son peuple...
Comme on s'en souvient, à peine ce Croyant a-t-il dit: «Je
confie mon sort à Allah»(38),
le récit a annoncé au début de la séquence
suivante: «Dieu préserva ce croyant de leurs méchantes
ruses».(39)
Mais le héros avait dit aussi: «Ô mon peuple!
Pourquoi vous appellerais-je au salut, alors que vous m'appelez au feu»(40)
et «vous vous souviendrez de ce que je vous dis».(41)
Ces deux dernières paroles du Croyant dénotent une signification
romanesque de la première importance dans la mesure où elles
se refléteront sur les sorts des gens de Pharaon dans ce monde et
dans la Vie future en particulier, c'est-à-dire dans le milieu de
Barzakh
(tombe) et le milieu de l'Enfer.
En d'autres termes, ou en terminologie de la critique romanesque, les
deux phrases par lesquelles le héros a clos son discours, "développent"
le mouvement des péripéties et les font évoluer organiquement,
de sorte qu'elles laissent un effet "causal" sur la variation des péripéties
suivantes et sur leur attachement à tel sort ou tel autre.
En effet, l' "Enfer" dont le héros a menacé les gens de
Pharaon et le salut auquel il les a invités se sont concrétisés
par le "salut" (la vie sauve) effectif du héros et la "punition"
effective de ses interlocuteurs (les gens de Pharaon).
En outre les péripéties du récit réalisent
les prédictions du héros: «Vous vous souviendrez
de ce que je vous dis», et font rappeler les gens de Pharaon,
mais quand ce sera trop tard.
* * *
Présentons maintenant le milieu eschatologique, dans ses deux
volets, en l'occurrence le milieu de Barzakh et le milieu du Jour
dernier, et examinons leur rapport aux paroles du héros: «les
pervers deviendront les hôtes du Feu»(42)
et «vous vous souviendrez de ce que je vous dis».
Il est indubitable que les tyrans se souviendront de ce que le héros
leur a dit de même qu'il ne fait pas de doute qu'ils deviendront
comme l'a promis les héros, les hôtes du Feu subconséquemment
à leur persévérance dans la tyrannie.
Le voilà donc le milieu de Barzakh qui arrachent les coeurs des
tyrans sans relâche: «Le Feu, ils (y) seront exposés
matin et soir».(43)
Et voilà le milieu du Jour dernier où ils doivent entrer
dans le Feu auquel ils ont été exposés matin et soir,
dans la tombe: «l'on dira, le Jour où se dressera l'Heure:
"Introduisez les gens de Pharaon au sein du châtiment le plus dur"».(44)
Le lecteur peut s'interroger ici sur la justification (romanesque) de
la présentation du milieu de Barzakh d'abord, et de celui du Feu
(et notamment cette séquence: «introduisez les gens de
Pharaon au sein du châtiment le plus dur») par la suite?
Nous verrons dans la dernière partie du récit une place
spéciale pour les gens de Pharaon dans le milieu du Feu, dans laquelle
sont exposées les discussions de ces derniers entre eux, et les
blâmes que les uns adressent aux autres, ainsi que le reflet d'autres
péripéties du récit sur la relation organique établie
entre la conduite des gens de Pharaon dans la vie terrestre et son incidence
sur leur position dans l'Au-delà, ainsi que sur leur façon
d'agir avec le héros (le Croyant des gens de Pharaon).
Avant de traiter de la signification romanesque de la présentation
de Barzakh, puis du milieu de l'Enfer lui-même à travers les
discussions que les gens de Pharaon y engagent, il est nécessaire
de noter que le héros (le Croyant) disparaîtra complètement
de la scène, exactement comme l'a fait avant lui, Moïse, et
que cette dernière partie du récit sera réservée
exclusivement aux gens de Pharaon (dans le milieu eschatologique de l'après
vie terrestre).
Quant à la raison technique de la disparition du héros
des théâtres des événements, la question ne
pose pas dans la mesure où nous avons déjà expliqué
que le rôle du héros s'est achevé avec l'achèvement
de sa mission de confronter les tyrans dans la vie terrestre.
En ce qui concerne son rôle dans la vie de l'Au-delà, il
s'inscrit dans un autre registre et se limite à la réflexion
de l'écho de ses paroles, ses prédictions et ses conseils
sur les sorts réservés aux gens de Pharaon aussi bien dans
la tombe qu'en Enfer.
* * *
Le Croyant des gens de Pharaon a allongé son discours à
l'attention de son peuple, et cet allongement a, sans aucun doute, sa justification.
Ses interlocuteurs, Pharaon en tête, ont réagi à
ce discours par le sarcasme, par une attitude encore plus orgueilleuse
et par plus d'entêtement.
De là, proportionnellement à l'allongement du discours,
on peut prévoir que la punition, dont le héros a menacé
son peuple sera allongée aussi pour qu'il y ait équilibre
(sur le plan de l'art romanesque) entre l'espace (ou la durée) consacré
à l'exposé des conseils et des menaces du Croyant et la durée
ou l'espace qu'occupe la description de la punition subconséquente
au refus des gens de Pharaon d'écouter ses conseils, après
avoir ignoré les conseils de Moïse, avant lui également.
Ainsi le récit a consacré à la description de l'environnement
de Barzakh où sombrent les gens de Pharaon une place qui correspond
à leurs attitudes et leurs menées criminelles: ils ont tué
les hommes, laissé vivre les femmes en veuves et orphelines, égorgé
les enfants, outre qu'ils se sont entêtés dans leur orgueil
malgré les conseils sincères et désintéressés
prodigués non seulement par un étranger comme Moïse,
mais aussi par un jeune issu de leurs rangs, faisant partie de la clique
au pouvoir, ou mieux un proche parent de Pharaon, un cousin selon certains
textes d'exégèse.
Malgré tout cela, les gens de Pharaon ont persisté dans
la mauvaise voie, attirés viscéralement par l'amour du pouvoir.
L'insolence et la vanité de Pharaon ont été portées
à leur apogée lorsqu'il a demandé à son ministre
impuissant Hâmân de lui construire une tour qui lui permettrait
de voir le Ciel, se moquant ainsi de Dieu! Quel horrible sort peut-on prévoir
dès lors à un tel tyran, à sa clique gouvernante et
à son peuple dominateur!
Même la lie du peuple, les faibles de son peuple étaient
éblouis par son faux pouvoir, et l'ont suivi et ont suivi sa clique,
aspirant à de petits gains, préférant la vie d'ici-bas
à celle de l'Au-delà, choisissant la tranquillité
plutôt que le combat sur le Chemin d'Allah, bien que ce Chemin leur
ait été bien montré par ceux, parmi eux, qui ont répondu
à l'Appel de la Vérité, ont cru et ont épousé
la cause d'Allah malgré toutes les épreuves qu'ils ont subies
à cet égard.
Donc l'amour du pouvoir et la préférence de la tranquillité,
malgré l'évidence de la Vérité et la profusion
de conseils prodigués, déboucheront forcément sur
un sort dont l'horreur est proportionnelle à la jouissance terrestre
tant recherchée, et qui s'est évaporée en quelques
secondes, emportée par la noyade qui les a livrés au fond
de la mer.
Mais la mer n'a pas tardé à les livrer à son tour
à la chaleur du Feu. Les eaux froides les ont remis aux flammes
brûlantes.
Les voilà donc, après avoir été emportés
par la mer, «exposés matin et soir au Feu», et
tout ceci avant le Jour dernier où ce qui les attendra sera de tout
autre ampleur.
* * *
Dans le milieu du Jour du Compte les gens de Pharaon commencent à
se souvenir du héros et de ce qu'il leur a dit:
«Vous vous
souviendrez... ». Ne leur a-t-il pas montré clairement
la voie du salut? Ne leur a-t-il pas dit que «les pervers deviendront
les hôtes du Feu»?
Ils se mettent à se blâmer mutuellement. Chacun rejette
sur l'autre la responsabilité de son égarement. Ils se souviennent
tous des prédictions du héros. Mais à quoi bon. Ici
il n'ont aucune alternative. L'Enfer et rien que l'Enfer; alors qu'ils
avaient le choix le jour où le héros s'est adressé
à eux en leur indiquant les deux voies opposées qui se dessinent
devant eux: la voie du Paradis et la voie de l'Enfer.
* * *
Le récit s'achève sur cet exposé sur les gens de
Pharaon dans le milieu d'Enfer:
«Lorsqu'ils se disputent dans le Feu, les faibles diront aux
orgueilleux: "Nous vous avons suivis ; pouvez-vous, maintenant, nous préserver
d'une partie de ce Feu?".
»Les orgueilleux diront: "Nous y sommes tous plongés"
- Dieu juge Ses serviteurs - ».(45)
Tel est le dialogue qui se noue entre les deux classes des gens de Pharaon:
les faibles et les orgueilleux.
Il est un autre dialogue qui s'engage entre les gens de Pharaon et les
gardiens de la Géhenne:
«Ceux qui seront dans le Feu diront aux gardiens de la Géhenne:
"Priez votre Seigneur de diminuer d'un jour notre châtiment".
»Les gardiens diront: "Vos Prophètes ne vous ont-ils
pas apporté des preuves décisives? Ils répondront:
"Oui, ils sont venus!". Les gardiens diront: "Invoquez Dieu!", mais la
prière des incrédules n'est qu'aberration!»(46)
Cette présentation qui conclut le récit tranche tout.
Elle est un développement organique et une évolution artistique
d'un exposé riche en péripéties et en situations dans
lesquelles le héros, le Croyant des gens de Pharaon, a occupé
la place centrale, par son argumentation adressée aux gens de Pharaon
et par la réplique de Pharaon à cette argumentation.
Moralité, le public qui avait assisté à la réunion
tenue par Pharaon et sa clique, ou qui a reçu l'écho de l'intervention
du héros, de son discours et de ses conseils sincères, ce
public avec son tyran Pharaon et tous les autres orgueilleux, tiennent
une réunion semblable dans la Géhenne, mais uniquement pour
se blâmer les uns les autres, et non pour choisir la voie à
suivre, comme ils en avaient la possibilité lors de la première
réunion, celle de la vie terrestre.
Voilà les faibles, ceux qui se sont contentés de suivre,
qui avaient léché les pieds de leurs chefs, qui se sont comportés
en stipendiés pour satisfaire les désirs malsains de leurs
maîtres, qui se sont préféré la tranquillité
et la jouissance éphémère, les voilà qui blâment
leurs maîtres:
«Nous vous avons suivis; pouvez-vous, maintenant, nous préserver
d'une partie de ce Feu?»(47)
Et leurs chefs de répondre, sur un ton qui, exaspère leur
sentiment de douleur, d'amertume et de regret: «Nous y sommes
tous plongés. Dieu juge Ses serviteurs».
Combien ces stipendiés se sentent-ils bafoués, écrasés
et frustrés lorsqu'ils entendent leurs commanditaires se dégager
de toute responsabilité? Tout ceci concerne le dialogue des gens
de Pharaon entre eux.
Quant à leur attitude envers les gardiens de la Géhenne,
elle est pire encore. Lorsqu'ils ont demandé à ces derniers
de prier Allah pour qu'IL diminue, même d'un seul jour, leur châtiment,
ceux-ci leur ont rappelé (comme l'avait fait le héros) les
Prophètes qui étaient venus vers eux avec des preuves évidentes
à l'appui. Et ces gardiens d'ajouter: «Priez Dieu vous-mêmes!».
Ils l'ont dit en se moquant des gens de Pharaon, de la même façon
dont Pharaon s'était moqué du héros, dans la réunion
terrestre, lorsqu'il avait demandé à son ministre Hâmân,
sur un ton moqueur, de lui construire une tour lui permettant d'avoir une
vue sur le Ciel afin de voir le Dieu du Croyant des gens de Pharaon.
La réplique artistique à la moquerie de Pharaon est donc
cette réponse sarcastique lancée par les gardiens de la Géhenne
à la figure des tyrans et de leurs agents stipendiés, qui
avaient préféré la jouissance éphémère
de la vie terrestre et qui avaient raillé les croyants.
Sourate
(55): Le Miséricordieux (Al-Rahmân)
Le Récit des
Quatre Paradis
A- La Sourate
46 Il y aura deux Jardins destinés à celui
qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur.
47 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux, vous nierez?
48 Deux Jardins pleins de floraison
49 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux, vous nierez?
50 Où coulent deux sources.
51 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux, vous nierez?
52 Où il y aura toutes les espèces de fruits.
53 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
54 Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de brocart
et les fruits des deux Jardins seront à leur portée.
55 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
56 Là, ils rencontreront celles dont les regards sont chastes
et que ni homme ni djinn n'ont jamais touchées avant eux.
57 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
58 Elles seront semblables au rubis et au corail.
59 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
60 La récompense du bien est-elle autre chose que le bien?
61 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
62 Il y aura deux autres Jardins en deçà de ces
deux-là.
63 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
64 Deux Jardins ombragés
65 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
66 Dans lesquels jaillissent deux sources.
67 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
68 Ces deux Jardins contiennent des fruits, des palmiers, des
grenadiers.
69 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
70 Il ya aura là des vierges bonnes et belles.
71 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
72 Des Houris qui vivent retirées sous leurs tentes.
73 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
74 Que ni homme ni djinn, n'a jamais touchées avant eux.
75 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
76 Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de
baux tapis.
77 Quel est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux vous nierez?
78 Béni soit le Nom de ton Seigneur plein de Majesté
et de Munificence.
* * *
Le récit des "Quatre Paradis" occupe les versets 46-78 de la
sourate "le Miséricordieux" (al-Rahmân). Mais
avant d'aborder le récit qui nous intéresse, il convient
de dire quelques mots à propos de cette Sourate qui se détache
des autres chapitres du Coran par beaucoup de ses aspects, et que le Noble
Prophète a qualifiée de 'Arûs al-Qor'ân
(l'épousée du Coran), c'est-à-dire la plus belle,
la plus gracieuse etc... étant donné que les plus beaux jours
de la vie d'une femme ce sont les jours de noces où elle met en
évidence toute sa beauté et toute sa grâce et qu'elle
se voit chérie, choyée et entourée de tous les soins.
En fait la Sourate "le Miséricordieux" se signale à l'esprit
du lecteur aussi bien par sa forme (la force du style, l'intensité
des images, la beauté de la description etc...) que par son contenu
(ses thèmes et ses messages).
Le célèbre orientaliste et traducteur du Coran, le Professeur
Jacques Berque a dit à propos de ce chef-d'oeuvre: «Cette
sourate, en forme de psaume à répons, dirait-on, ou du moins
à refrain, serait par sa grâce, 'arûs al-Qur'ân
(la Fiancée du Coran). Tout entière elle commente l'attribut
divin Rahmân (...). Ce qui est sûr, c'est que
toute la sourate, comme Mu'allaqa de Labîd, se place, pour des raisons
rhétoriques ou didactiques, sous le signe duel. On ne peut rester
insensible à son grandiose souffle lyrique».(48)
La Sourate "Le Miséricordieux" expose en général
les différents Bienfaits, matériels, moraux et spirituels
qu'Allah a accordés à Ses serviteurs. C'est pourquoi on pourrait
l'appeler la "Sourate de la Miséricorde" ou la "Sourate du Bienfait",
et c'est la raison pour laquelle elle débute par le Nom béni
du "Miséricordieux" qui forme à lui seul un verset, le premier.
On ne manquera pas de remarquer qu'un verset en duel (tous deux, vous..)
revient en refrain plus ou moins régulier, trente et une fois: «Quel
est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez»
pour souligner à l'attention aussi bien des humains que des djinns
l'évidence et le caractère irréfragable des manifestations
de la Miséricorde d'Allah à travers Ses innombrables Bienfaits.
Cependant, on peut diviser les contenus de la Sourate en cinq parties:
- La première partie (qui couvre les premiers versets) met en
évidence les grands Bienfaits divins relatifs à la création
de l'homme, à son éducation et à son instruction,
à sa nourriture spirituelle et corporelle.
- La deuxième partie explique la question de la création
des hommes et des djinns.
- La troisième partie énumère les Signes et les
Preuves divins sur la terre et dans le ciel.
- La quatrième partie décrit d'une façon précise
et détaillée les Bienfaits et les privilèges (matériels
et moraux) réservés dans le Paradis aux serviteurs pieux.
- La cinquième partie le destin des pécheurs et des criminels
et le châtiment sévère qui les attendra est brièvement
abordé.
La raison de cette brièveté dans la présentation
du destin des pécheurs, qui contraste singulièrement avec
la description très détaillée de la récompense
décernée aux croyants pieux tient au fait, justement, que
cette Sourate est consacrée à la Miséricorde d'Allah
qui touche généralement tout le monde, y compris les pécheurs,
surtout lorsqu'ils se montrent repentants.
Il est dit que la récitation de cette sourate appelle beaucoup
de bénédictions et apporte de nombreuses récompenses
spirituelles.
En effet, selon Obay Ibn Ka'b, le Prophète a dit: «Allah
compatira à la faiblesse de quiconque récite la Sourate al-Rahmân;
celui qui la récite aura montré sa gratitude envers les Bienfaits
qu'Allah lui a accordés».
Et d'après un hadith attribué à l'Imâm Ja'far
al-Sâdiq (p): «Ne manquez pas de réciter la Sourate
Al-Rahmân (....) laquelle se présentera à son Seigneur,
le Jour de la Résurrection, sous forme humaine, impeccablement présentable
et dont exhale le meilleur parfum, et se placera le plus proche possible
d'Allah. Allah lui demandera alors: "Qui te récitait avec assiduité
et s'appliquait à ta récitation avec persévérance
dans le bas-monde?". Elle répondra: "Untel, Untel et Untel...".
Ceux-ci seront alors blanchis (de tous péchés) et Allah leur
dira: "Intercédez en faveur de quiconque vous désirez". Là
ils intercéderont en faveur de tous ceux qu'ils voudront, jusqu'à
ce qu'il ne reste plus personne en faveur duquel ils désireront
intercéder. Allah leur dira alors: "Entrez au Paradis et installez-vous
là où il vous plaira».(49)
Selon l'Imâm al-Sâdiq également: «On doit réciter
la Sourate al-Rahmân le vendredi, et dire "Je ne nie aucun de Tes
Bienfaits, O Seigneur!", chaque fois qu'on récite le verset "Quel
est donc celui des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez"».(50)
Toujours, selon l'Imâm: «Quiconque récite la Sourate
al-Rahmân, la nuit, et dit "Je ne nie aucun de Tes Bienfaits, O Seigneur!"
après chaque récitation du verset "Quel est donc celui
des Bienfaits de votre Seigneur que, tous deux, vous nierez", Allah
le fera escorter d'un Ange protecteur jusqu'au matin, et s'il fait la même
chose (la même récitation) à son réveil, le
matin, Allah le fera escorter d'un Ange protecteur jusqu'au soir».(51)
* * *
B-Le Récit
Dans cette Sourate, "Le Miséricordieux" il y a une narration
qui décrit deux par deux, quatre Paradis dans le milieu de l'Au-delà,
c'est-à-dire qu'il y a deux Paradis pour un héros et deux
autres pour un second héros, et que chaque couple de Paradis est
décrit - quant aux détails du milieu - d'une façon
distincte de l'autre, distinction certainement significative, sur laquelle
il est important de nous attarder.
Lisons tout d'abord l'introduction faite par le récit, des deux
premiers Paradis:
«Il y aura deux Jardins destinés à celui qui
redoutait le lieu où se dressera son Seigneur.
»Quel est donc celui des bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux, vous nierez?
»Deux Jardins pleins de floraison».(52)
Lisons ensuite l'introduction faite par le récit des deux autres
Paradis:
«Il y aura deux autres Jardins en deçà de ces
deux-là.
»Quel est donc celui des bienfaits de votre Seigneur que, tous
deux, vous nierez?
»Deux Jardins ombragés».(53)
Cela suppose qu'il y a deux Jardins dont l'environnement est identique
en tout: plantes, eau, tapis ou Houris etc., et deux autres Jardins qui
sont également identiques mais qui diffèrent des deux premiers.
Une question se pose alors: les quatre Jardins ou plutôt les deux
doubles Jardins sont-ils destinés à un même type de
croyants considérés selon leur degré de piété?
Ou bien les deux couples de Jardins ou les deux doubles Jardins représentent-ils
deux niveaux ou deux positions préférentiels dans la hiérarchie
des valeurs islamique, comme nous allons le remarquer dans la Sourate (56):
"L'Échéant" (al-Wâqi'ah) par exemple, où la
position réservée aux "Premiers" est supérieure à
celle destinée pour les "gens de la droite?"
L'importance de cette question réside en ceci qu'elle expliquerait
l'importance du devoir ou de l'action de l'homme sur la terre, devoir ou
action qui traduit le degré de sa piété (dans ce monde)
et détermine la position qu'il occupera, en conséquence,
dans le Paradis.
Référons-nous donc au récit pour tenter d'obtenir
des éléments de réponse à cette interrogation.
* * *
Selon certains textes de tafsîr (exégèse),
les deux couples de Jardins sont destinés aux mêmes types
de croyants qui peuvent s'y déplacer à leur guise, mais ce
qui les distingue, c'est que les deux premiers constituent une sorte de
siège particulier pour le croyant, alors que les deux autres qui
se situent tout près de ce siège particulier restent à
sa disposition et il peut en jouir quand il le veut.
Mais cette interprétation n'est pas plausible pour deux raisons:
1- Parce qu'elle est contraire au sens obvie du texte littéraire;
2- Parce qu'elle est contredite par d'autres exégèses
plus crédibles.
En effet sur le plan de la structure romanesque du récit, nous
- lecteurs ou auditeurs - ne pouvons pas concevoir qu'un récit puisse
construire son ossature sur deux doubles Jardins différents l'un
de l'autre, sans que cette différence se reflète sur les
héros pour lesquels ces Jardins constituent les environnements et
les lieux de jouissance. Donc logiquement il doit y avoir forcément
deux types différents de héros qui occuperont respectivement
les deux doubles Jardins distincts, chacun selon son rang.
Le critique littéraire ou quiconque possède un goût
romanesque en général et connaît les procédés
d'esquisse d'un "milieu" et d'un "héros" ou "personnage", et les
rapports organiques entre les deux, peut, même sans avoir connaissance
des textes de tafsir, déduire que les deux premiers Jardins
sont destinés à une catégorie de personnes différente
d'une autre catégorie, laquelle devrait être inférieure.
Autrement, il n'y aurait pas de justification technique à cette
division des Jardins sur le plan de l'ossature romanesque générale.
Mais ce qui est encore plus déterminant à cet égard,
c'est que les textes de tafsîr dignes de foi, attribués
aux Ahl-ul-Bayt vont dans ce sens: ce qui incite à mieux apprécier
la valeur de la technique romanesque qui caractérise les récits
du Noble Coran, puisqu'elle permet au lecteur de découvrir lui-même
le message que le récit renferme, comme nous allons le voir plus
clairement au fur et à mesure que nous développons notre
étude de ce récit.
Ce qui nous intéresse à présent, c'est d'aborder,
en premier lieu, les détails relatifs aux deux premiers Jardins,
et par conséquent aux héros qui en jouissent, et de montrer
le lien entre tout ceci avec la tâche d'adoration dont l'homme doit
s'acquitter sur la terre, car le sort (réservé aux héros)
que le récit dépeint ici dépend de la conduite que
le croyant aura choisie sur la terre lorsqu'il s'y trouve tiraillé
par le conflit intérieur entre le désir et la raison.
* * *
La description du milieu de l'Au-delà débute dans ce récit
de la façon suivante:
«Il y aura deux Jardins destinés à celui qui
redoutait le lieu où se dressera son Seigneur».
Ce début romanesque revêt une importance esthétique
réjouissante relativement à l'ossature du récit et
son incidence sur ses messages idéologiques qui cherchent à
distinguer deux catégories de personnes qui occuperont subséquemment
deux positions différentes dans le milieu paradisiaque.
Le récit dit qu'il y a deux Jardins destinés à
celui qui redoutait son Seigneur. Mais qui est "celui qui redoutait son
Seigneur?" Comment le déterminer?
La crainte d'Allah ou la crainte révérencielle en général
signifie qu'une personne observe les commandements et les interdictions
de telle sorte qu'elle mérite une récompense proportionnelle
au degré de son observance des ordres d'Allah.
Cette observance des principes divins peut être qualifiée
de très élevée, d'un degré tellement supérieur
qu'elle dépasse tous les degrés qu'il puisse y avoir entre
l'observance et la non-observance, entre l'obéissance et la désobéissance,
entre la détermination (à observer un principe divin) et
l'hésitation, entre la sincérité dans l'observance
et l'observance dont se dégage une odeur d'égoïsme.
Les textes de tafsîr projettent une lumière claire sur
ce sujet, surtout lorsqu'ils émanent des Imâms d'Ahl-ul-Bayt(54).
En effet, l'Imâm al-Bâqer dit à ce propos:
«Un homme est très attiré par la satisfaction d'un
des désirs de ce monde. Mais la satisfaction de ce désir
s'avère constituer une désobéissance à Allah.
Cet homme se rappelle alors "le lieu où se dressera son Seigneur"...
Il abandonne donc son désir par crainte d'Allah. Et c'est lui qui
aura été désigné par ce verset(55)
coranique, et les deux Jardins évoqués dans ledit verset
sont aux croyants pieux et aux premiers d'entre eux à avoir obéi
à Allah».
L'Imâm Ja'far al-Sâdiq, commentant ce même verset
dit à son tour:
«Celui qui est conscient qu'Allah le voit, entend ce qu'il dit
et sait ce qu'il fait de bien et de mal, et qui, de ce fait s'abstient
de mauvaises actions, c'est lui qui "aura redouté le lieu où
se dressera son Seigneur"».
Ces deux hadîths de tafsîr expliquent on ne peut plus franchement
et clairement que les deux Jardins décrits par le récit reviendront
aux personnes qui se seront abstenues de tout péché par crainte
d'Allah.
Donc c'est l'observance totale des principes divins, sans que cette
observance soit entachée d'un acte de désobéissance,
qui conduit un croyant à occuper, au Paradis, une position que d'autres,
qui auraient commis, d'une façon ou d'une autre, un péché,
ne pourront obtenir.
Ceci est le message idéologique de ce début romanesque:
«Il y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait
le lieu où se dressera son Seigneur».
Passons ensuite à la signification technique ou romanesque (de
ce début), et à son lien avec les parties suivantes du récit,
lesquelles apporteront un éclairage complet sur cet aspect.
* * *
Nous avons expliqué que le début romanesque qui évoque
deux Jardins, indique que ceux-ci incarnent une position on ne peut plus
sublime, étant donné qu'ils sont destinés à
des croyants que la crainte révérencielle empêche de
commettre un péché, si minime soit-il, ce qui leur fait mériter
une récompense supérieure à celle destinée
à des gens dont la conduite obéissante est teintée
de péché ou marquée d'hésitation.
Mais d'un point de vue purement romanesque, ce début annonce
clairement que le couple de Jardins en question est destiné aux
"premiers des croyants" et aux croyants pieux, et non aux croyants en général,
pour lesquels un autre couple de Jardins, inférieurs aux deux premiers,
sont réservés.
Nous pouvons saisir cette différence entre les deux doubles Jardins
à travers le lien que le récit nous laisse établir
entre son début et sa fin.
Ainsi, alors que le début du récit annonce: «Il
y aura deux Jardins destinés à celui qui redoutait le lieu
où se dressera son Seigneur», la fin conclut: «La
récompense du bien est-elle autre chose que le bien?».(56)
Or, il est évident que le mot "bien" (ihsân) ne
couvre sa signification linguistique (en arabe) que s'il est accompagné
ou synonyme d'absence totale de péché, position qui qualifie
les premiers à avoir la "Foi" ou les croyants marqués par
la crainte révérencielle, ou la piété (taqwâ),
comme l'expliquent les textes de tafsîr que nous avons consultés.
En tout état de cause, la structure architecturale du récit
(le début et la fin) montre ce lien entre la "crainte d'Allah" et
le "bien", ce qui concorde avec les textes de tafsîr relatifs à
ce sujet.
Maintenant, lorsque nous laissons de côté le début
et la fin du récit pour nous diriger vers ce qu'on appelle en langage
de littérature romanesque le "milieu", à savoir l'espace
dans lequel se développent les péripéties - s'il s'agit
d'un roman d'action - ou la description, s'il s'agit d'un roman descriptif,
comme c'est le cas dont nous traitons ici, il nous faut nous arrêter
longuement sur les dimensions de ce "milieu" et sur ses héros (personnages)
dont les traits nous ont été dévoilés, à
travers le début et la fin du récit, et qui ont eu le privilège
d'accéder à ces deux Jardins sublimes.
* * *
Le récit dit à propos de ce milieu ou de ces deux Jardins:
1- qu'ils sont «pleins de floraison»(57);
2- «où coulent deux sources»(58);
3- «où il y aura deux espèces de tout fruit»(59);
4- «Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de
brocart et les fruits des deux Jardins seront à la portée»(60);
5- «Ils y trouveront celles (les Houris) aux regards chastes,
qu'avant eux aucun homme ou jinn n'aura déflorées».(61)
«Elles seront semblables au rubis et au corail».(62)
Telles sont les dimensions ou les ingrédients de ces deux Jardins
sublimes qui représentent les hautes positions du Paradis par rapport
aux autres.
Mais pour connaître la nature de la différence entre la
première et la seconde classe de croyants, si l'on peut s'exprimer
ainsi, nous devons lire les ingrédients de deux Jardins inférieurs
aussi:
«Il y aura deux autres Jardins en deçà de ces
deux-là».(63)
Que cachent-t-ils?:
1- «Deux Jardins ombragés»(64);
2- «Dans lesquels jaillissent deux sources»(65);
3- «Ils contiennent des fruits, des palmiers, des grenadiers»(66);
4- «Il y aura là des vierges bonnes et belles»(67);
5- «Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur
de beaux tapis».(68)
De prime abord, on croirait que les ingrédients des deux couples
de Jardins sont identiques ou semblables, mais lorsqu'on les examine de
plus près, on découvre vite qu'il y a une différence
entre eux, différence qui renforce la thèse selon laquelle
chaque couple de Jardins est destiné à une catégorie
différente de croyants, et non celle selon laquelle les deux premiers
Jardins servent de siège particulier, et les deux autres comme un
lieu public.
En effet, il y a cinq éléments communs dans les quatre
Jardins ou les deux couples de Jardins:
1- Les plantes ou les arbres;
2- L'eau ou les sources;
3- Les fruits;
4- Les lits, etc.
5- Les Houris.
Mais si chacun de ces cinq éléments semble identique dans
certains de ses aspects dans les deux couples de Jardins, il en diffère
de l'un à l'autre, dans d'autres aspects.
Essayons maintenant d'examiner minutieusement chacun de ces cinq éléments,
tout en notant qu'ils sont apparus dans le même ordre dans les deux
descriptions (sauf pour les houris et les lits): 1- la plante, 2- l'eau,
3- les fruits.
Concernant les lits et les Houris, ils paraissent respectivement en
quatrième et cinquième position dans la description des deux
Jardins supérieurs, et inversement dans les descriptions des deux
Jardins inférieurs.
Or, il ne fait pas de doute que la description de chacun des cinq éléments
suivant un ordre précis revêt une importance architecturale
dans l'ossature du récit: les arbres, l'eau, les fruits.
De même, concernant les deux Jardins destinés aux croyants
de la première catégorie, le fait de faire figurer la description
des lits (4e dans l'ordre) avant la description des Houris (5e dans l'ordre),
est significatif sur le plan architectural (de l'ossature du récit).
La question qui se pose maintenant est: pourquoi la description des
lits figure dans la quatrième position, avant la description des
Houris lorsqu'il s'agit des croyants de la première catégorie,
alors que cet ordre est inversé dans le cas de la seconde catégorie?
Cette interrogation, tout comme l'interrogation relative à la
différence entre les deux catégories de croyants, est d'une
grande importance dans la mesure où elle se rapporte à notre
conduite dans la vie terrestre et à la conséquence de cette
conduite (selon nos préoccupations spirituelles et matérielles)
sur la récompense dans l'Au-delà, récompense qui nous
prépare un environnement qui concorde avec la nature de nos préoccupations
spirituelles et matérielles dans l'Au-delà aussi.
* * *
Nous avons dit que les quatre Jardins, les deux Jardins supérieurs
et les deux Jardins inférieurs renferment cinq éléments
ou cinq ingrédients environnementaux: les plantes, l'eau, les fruits,
les lits, les Houris.
Il nous faut maintenant comparer chacun de ces cinq éléments
dans les deux couples de Jardins afin de bien saisir ce qui différencie
le double Jardin supérieur du double Jardin inférieur.
Commençant par les plantes ou les arbres.
Le récit dit à cet égard en ce qui concerne le
double Jardin supérieur: «deux Jardins pleins de floraison»(69),
ou «aux branches fraîches»(70)
(selon une autre traduction), et en ce qui concerne le double Jardin inférieur:
«Deux Jardins ombragés»(71)
(ou «de verdures assombries»(72)
ou «Ils sont d'un vert sombre»(73)
ou «assombris à force de verdure»(74),
selon d'autres traductions).
Sur le plan de la dimension esthétique de chaque deux Jardins,
ceux supérieurs ont des branches, et ceux inférieurs sont
d'un vert sombre ou aux plantes touffues.
Normalement la vue de branches suspendues tout comme la vue d'arbres
assombris par la couleur ou la densité, constituent toutes deux
un paysage agréable, réjouissant et merveilleux en général.
Mais la différence entre la vue de branches et la vue d'arbres
assombris par la couleur vert foncé ou par leur densité est
évidente en ce qui concerne le degré de la jouissance esthétique
que chacune des deux vues offre au spectateur ou à l'observateur.
Nous pouvons percevoir cette différence à travers nos
expériences dans l'observation des paysages de la nature: la vue
d'une densité d'arbres ou d'arbres vert fourré n'est-elle
pas moins réjouissante que la vue de branches suspendues d'une façon
remarquable et harmonieuse, surtout lorsque la branche porte des fruits
ou des bourgeons.
En outre lorsque le branchage est bien fourni et étendu de sorte
qu'il couvre une large surface, cela remplace l'élément esthétique
qui caractérise les deux Jardins inférieurs, à savoir
la densité ou la quantité des arbres. En d'autres termes,
les deux Jardins supérieurs portent les mêmes caractéristiques
et quelque chose de plus que les deux Jardins inférieurs. Ceci n'est
qu'un des aspects de la différence qui distingue les deux couples
de Jardins.
* * *
Le deuxième élément commun aux quatre Jardins est
l'eau.
A propos des deux Jardins supérieurs le récit dit à
ce sujet:
«Où coulent deux sources».(75)
Et pour ce qui concerne les deux Jardins inférieurs:
«Dans lesquels jaillissent deux sources».(76)
Dans le premier cas les deux sources coulent, dans le second cas, elles
jaillissent.
De prime abord l'eau ou la source jaillissante paraîtrait plus
réjouissante que la source coulante, notamment pour nos yeux qui
sont généralement plus excités par la vue du jet d'eau.
Mais une observation plus minutieuse nous conduirait à avoir
une réaction contraire à notre réaction ordinaire
à cet égard: notre attirance vers les sources jaillissantes
est passagère, par comparaison à notre attirance vers l'écoulement
de l'eau ou des sources.
En effet, l'écoulement de l'eau présente une variété
de vues ou de paysages - suivant les divers tournants et ramifications
qu'elle emprunte à partir des quatre ou six côtés (ou
plus) de la source - qui chasse la monotonie qu'engendre un seul et même
mouvement de l'eau qui jaillit d'une source.
Certes l'eau jaillissante pourrait avoir les mêmes tournants et
ramifications que l'eau de sources coulantes, mais le paysage qu'elle offre
demeure moins réjouissant du fait de la nature même de son
mouvement qui reste superficiel par rapport à la forme de la surface
de la terre, et non pas uni à elle, comme c'est le cas de l'eau
des sources coulantes qui prend la forme de cette surface.
En outre la facilité de l'utilisation des eaux des sources coulantes
(boire, lavage, moyen de transport) est plus grande que celle des eaux
des sources jaillissantes. En un mot: l'aspect utilitaire est nettement
plus perceptible dans le cas de l'eau coulante que dans celui de l'eau
jaillissante.
Ainsi, les eaux qui coulent demeurent plus réjouissantes et plus
utiles que les sources jaillissantes, ce qui constitue une faveur supplémentaire
réservée aux héros ou personnages des Jardins supérieurs
par rapport à ce qui est accordé aux personnages des Jardins
inférieurs.
* * *
Le troisième des cinq éléments que renferme l'environnement
des quatre Jardins est le fruit.
En ce qui concerne les fruits des Jardins supérieurs le récit
annonce:
«Ils contiennent deux espèces de chaque fruit»(77),
et ceux des deux Jardins inférieurs:
«Ils contiennent des fruits, des dattiers, des grenadiers».(78)
Là encore, à première vue, on croirait que les
deux Jardins inférieurs renferment en plus des fruits en général,
les dattiers et les grenadiers, alors que dans les deux Jardins supérieurs
il y a deux espèces de tout fruit. Mais lorsque nous réfléchissons
un peu plus sur le texte, nous remarquerons que les deux descriptions nous
permettent de constater que les croyants qui ont pour demeure les deux
Jardins supérieurs, sont en fait favorisés là aussi.
Certes, les dattes et la grenade - selon l'exégèse qui
renvoie le texte coranique à son contexte historique - constituent
les meilleurs des fruits. Et lorsque le récit nous dit que les deux
Jardins inférieurs comprennent des fruits, des dattiers et des grenadiers,
il entend par là que dans ces deux Jardins il y a tous les fruits,
y compris les meilleurs d'entre eux, en l'occurrence: les dattes et les
grenades.
Mais lorsque nous nous référons aux deux Jardins supérieurs,
nous nous rendrons compte qu'ils renferment tout ce que les deux Jardins
inférieurs renferme, et davantage, puisque'il y a non seulement
toutes les sortes des fruits (comme dans les deux Jardins inférieurs),
mais en plus, il y en a deux espèces de chacun (de ces fruits).
Ainsi, les raisins par exemple, se trouvent aussi bien dans les deux Jardins
inférieurs que dans les deux Jardins supérieurs, mais dans
ces derniers, il existe deux espèces de ce fruit: le raisin frais
et le raisin sec par exemple, et chacun d'eux, est appétissant et
a une propriété particulière, alors que dans les deux
Jardins inférieurs il n'y en a qu'une espèce.
Donc, il y une grande différence dans le degré de jouissance
et de satisfaction des besoins selon qu'il est accordé aux personnages
de la première ou de la seconde catégorie des croyants qui
accéderont au Paradis: ceux de la première catégorie
auront droit à deux espèces de chaque fruit.
Une fois encore, notons que l'existence de cette différence évoque
dans notre esprit la différence - dans la conduite terrestre de
l'homme - entre un croyant qui ne commet aucun péché lorsqu'il
se trouve comme tout un chacun, impliqué dans le conflit intérieur
entre le désir et la raison, et un autre croyant qui tombe en proie
à l'hésitation entre les deux parties en conflit, ou qui
rate parfois l'occasion de montrer son obéissance, en ne sachant
pas la saisir à temps, ou encore qui ignore les domaines de l'obéissance
- y compris l'acquittement d'un acte recommandé, ce qui aura une
incidence sur le degré de la récompense qui lui sera décernée
le Jour dernier.
* * *
Il nous reste maintenant à examiner les deux derniers éléments
(les lits et les Houris) que le récit cite dans un ordre différent
selon qu'il s'agit des deux Jardins supérieurs ou des deux Jardins
inférieurs, pour voir dans quelle mesure la description de ces deux
éléments permet de percevoir la différence de traitement
réservé aux héros respectifs des deux paires de Jardins.
Concernant les lits préparés pour les héros des
deux Jardins supérieurs, le récit raconte:
«Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de brocart
et les fruits des deux Jardins seront à leur portée».(79)
Et pour ce qui concerne ceux des deux Jardins inférieurs, il
dit:
«Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de
beaux tapis».(80)
Les héros des Jardins supérieurs et ceux des Jardins inférieurs
jouissent tous deux du privilège de pouvoir s'accouder lorsqu'ils
s'assoient. Mais la différence entre les deux catégories
de héros ou de croyants, c'est que ceux du couple de Jardins supérieurs,
c'est-à-dire ceux qui «redoutaient tellement le lieu où
se dressera leur Seigneur» dans la vie terrestre qu'ils s'étaient
abstenus du moindre péché, leur privilège est marqué
par d'autant plus de soins et de jouissance que le revers de leurs lits
ou tapis était de brocart, de soie à dessins. Quant à
l'endroit des tapis ou des lits, le récit se tait, pour des motifs
artistiques, laissant au lecteur le loisir de l'imaginer.
En outre, il y une autre marque artistique qui caractérise cette
image de lits à revers de brocart sur lesquels sont accoudés
les héros: elle suggère au lecteur combien ces derniers vivent
dans un climat de douceur, de velouté, de bien-être, de luxe,
de réjouissance et de satisfaction en reposant leurs dos sur un
bloc de brocart qui fait le revers du lit et non son endroit. Que dire
alors de l'endroit? Le récit n'a pas besoin de le décrire
(du point de vue romanesque) dans la mesure où la mise en évidence
de la haute qualité du revers conduirait le lecteur à imaginer
que l'endroit serait d'une qualité ou d'une douceur du moins égale
sinon supérieure, étant donné qu'il a déjà
découvert que ce qui distingue les héros des deux Jardins
supérieurs, c'est le plus haut degré de luxe dont ils jouissent.
* * *
Lorsque nous abordons les personnages de la seconde catégorie
et des deux Jardins inférieurs nous remarquons que l'accoudement
se fait «sur des coussins verts et sur de beaux tapis»(81)
(ou selon d'autres traductions: «sur des tapis verts, et des splendeurs
de fable»(82), «sur
des sièges verts et merveilleux, jolis»(83),
ou «sur des coussins verts et des tapis épais et jolis»(84)).
Ce qui est traduit par coussin ici en arabe (rafraf) lequel peut
être un coussin, un tissu, les jardins particuliers du Paradis, ou
toute autre chose que le récit qualifie de vert, cette couleur étant
de toute évidence plaisante pour les yeux du spectateur ou de l'observateur.
Quant au mot traduit ici par tapis (en arabe 'abqarî) il
peut désigner lui aussi tapis ou toute autre chose que le récit
qualifie de "beau" pour mieux réjouir le spectateur.
Détail important sur le plan de l'art romanesque, dans ces descriptions
faites relativement au milieu des personnages de la seconde catégorie,
l'aspect de luxe ou de réjouissance qui prédomine regarde
l'envers ou l'extérieur des choses décrites et se rapporte
au sens de la vue. Ainsi, les "coussins" sont verts et les tapis, sont
d'aspect beau. Donc nous avons affaire à de belles formes et aux
couleurs vertes, et non à la matière ou à la substance
de ces tapis, coussins ou tissus: lin, brocart, etc.
Cette différence entre l'accoudoir des personnages des Jardins
supérieurs et celui des personnages de la catégorie inférieure,
doit faire l'objet d'un développement exhaustif, afin que nous puissions
mieux saisir les aspects de la beauté artistique du récit
et leurs reflets sur les indices qui font ressortir la différence
entre ce qui est accordé à des personnages de la catégorie
supérieure et à des personnages d'une position inférieure.
Remarquons encore, au risque de nous répéter, ce grand
aspect artistique du récit qui s'est ingénié à
mettre en exergue la matière ou le côté intérieur
des lits (le revers) sur lesquels s'accoudent les personnages de la catégorie
supérieure, et la forme extérieure des lits sur lesquels
s'accoudent les personnages de la catégorie inférieure.
Or une grande différence sépare ces deux figures ou images:
l'image de l'aspect intérieur et l'image de l'aspect extérieur.
Lorsque l'aspect intérieur se traduit par "brocart" (pour les personnages
des deux Jardins supérieurs), l'aspect extérieur se dévoile
de lui-même, vu que celui-là (l'aspect intérieur) est
plus important que celui-ci (l'aspect extérieur) d'une part, et
que l'intérieur est révélateur de l'extérieur,
d'autre part. Et lorsque c'est le contraire qui se produit et que seul
l'endroit (l'extérieur) est mis en évidence, comme c'est
le cas des accoudoirs des personnages des deux Jardins inférieurs,
le revers ou l'intérieur ne se révèle pas de lui-même.
* * *
Mais la différence entre les deux paires de paradis ne se limite
pas aux indices que nous avons soulignés jusqu'ici. Il y a un autre
repère nettement plus perceptible que le récit a placé
dans l'environnement des deux Jardins supérieurs permettant ainsi
de le distinguer du milieu des personnages des deux Jardins inférieurs.
Relisons donc chacune des deux descriptions. A propos des héros
des deux Jardins supérieurs, le récit a relaté:
«Ils seront accoudés sur des tapis aux revers de brocart
et les fruits des deux Jardins seront à leur portée».(85)
Et à propos des personnages des deux Jardins inférieurs:
«Ils seront accoudés sur des coussins verts et sur de
beaux tapis».(86)
Ici, on remarque dans le milieu des personnages des Jardins supérieurs
un détail de taille qu'on ne retrouve pas dans l'environnement des
personnages des Jardins inférieurs.
Ce détail ou ce plus est: «et les fruits
des deux Jardins seront à leur portée».
Or, dans le cas des personnages des Jardins inférieurs, ce privilège
d'avoir à la portée de la main les fruits du Paradis, lorsqu'ils
sont assis et accoudés sur leurs lits ou coussins, n'existe pas.
La question qui se pose alors est pourquoi le fruit revient encore pour
constituer un privilège pour les personnages des deux Jardins supérieurs?
Et pourquoi le récit a-t-il entouré de silence cet élément
(le fruit) pour ce qui concerne les personnages des deux Jardins inférieurs?
La réponse à ces deux questions requiert un examen approfondi
d'une série de procédés artistiques auxquels a recouru
le récit et que nous abordons tout de suite.
* * *
Nous avons remarqué que les croyants promis aux deux Jardins
supérieurs jouissent de privilèges dont sont privés
ceux de la catégorie inférieure, en ce qui concerne l'accoudement
sur les lits du Paradis. En outre nous avons vu apparaître un nouveau
privilège accordé aux premiers, à savoir la proximité
des fruits qui leur sont destinés et qui se trouvent à la
portée de leurs mains lorsqu'ils sont tranquillement et paisiblement
accoudés sur leurs lits ou coussins.
Certes, il est possible que les personnages de la seconde catégorie
jouissent du même privilège d'avoir à la portée
de la main les fruits qui leurs sont destinés, surtout si l'on suppose
que le récit ayant noté ce privilège chez les personnages
de la première catégorie, fait l'économie de la mentionner
à nouveau, lors de la description du milieu des personnages de la
seconde catégorie, laissant au lecteur le soin de déduire
une telle possibilité. Cette hypothèse est d'autant plus
plausible que les récits coraniques recourent toujours à
l'économie d'expression et évitent la répétition
chaque fois que le lecteur est susceptible de deviner lui-même ce
que le récit omet de répéter ou mentionner.
Cependant et malgré la plausibilité de cette hypothèse,
nous pressentons que ce privilège demeure le domaine réservé
des personnages de la première catégorie, sachant surtout
que le récit s'applique à mettre en avant une distinction
entre deux degrés de la piété, ce qui rend absurde
l'idée que le récit, tout en cherchant à attirer l'attention
des lecteurs sur un privilège qu'il attache à la première
catégorie de pieux, en omettant de la mentionner dans la description
du milieu des personnages de la seconde catégorie, procède
en sorte que ces lecteurs déduisent eux-mêmes que ces derniers
jouissent eux aussi de ce privilège.
Une telle déduction aurait été possible dans le
cas contraire où l'élément supprimé, l'est
dans la description des personnages de la première catégorie
et non dans celle des personnages de la seconde catégorie, étant
donné que par définition les premiers, la catégorie
des privilégiés jouissent de plus de privilèges que
la seconde catégorie et qu'ils ne devraient pas par conséquent
être privés de privilèges accordés à
cette dernière.
Et c'est ce que nous avons vu effectivement dans la description, faite
par le récit, des lits de la première catégorie, dont
les endroits ou les aspects extérieurs (forme et couleur) n'ont
pas été décrits ou mentionnés, alors que, concernant
la seconde catégorie, au contraire, l'accent a été
mis sur la peinture des aspects extérieurs: «Ils seront
accoudés sur des coussins verts et sur de beaux tapis».(87)
Dans un tel cas le récit a omis la description extérieure
(la couleur verte et la beauté des lits), laissant au lecteur le
soin de le déduire, pour une raison simple: si la seconde catégorie
jouit de la belle couleur des lits, la première catégorie
doit a fortiori en jouir.
En bref le privilège accordé par le Ciel aux héros
des deux Jardins supérieurs, le privilège d'avoir les fruits
à leur portée, représente sans aucun doute un élément
qui sert à départager les deux catégories de pieux.
* * *
Là, une question de la première importance, relative à
la technique romanesque, ne manque pas d'être soulevée: le
récit coranique se caractérise par sa précision totale,
sa sélectivité et sa concision dans la narration des événements
et dans la description. Lorsqu'il présente un élément
romanesque, il ne le fait pas une seconde fois, comme on l'a vu à
propos des fruits.
Ainsi, le récit a parlé d'abord de l'élément
(plante ou arbre) et établi à travers lui une comparaison
entre la différence de degré chez les croyants, puis il a
abordé l'élément (eau) et fait à travers lui
une comparaison dans le même sens, ensuite il a présenté
l'élément (fruits) pour montrer à travers lui la différence
de traitement réservé aux différentes catégories
de croyants. Et puisque la distinction entre les différentes catégories
de croyants à travers les éléments "fruits" a été
faite une première fois dans les versets 52: «où
il y aura deux espèces de tous fruits», et 68: «ces
deux Jardins contiennent des fruits, des dattiers, des grenadiers»,
pourquoi le récit n'a-t-il pas inséré ici même
l'autre privilège attaché aux fruits, à savoir: «et
les fruits des deux Jardins seront à leur portée»
(verset 54), qu'il évoquera lorsqu'il décrira l'élément
(lit), lequel constitue pourtant un élément indépendant
auquel le récit a réservé une place à part?
La réponse à cette question fait ressortir clairement
la valeur artistique du récit coranique, et redouble notre intérêt
et notre admiration pour cet art grandiose.
Lorsque le récit décrit les lits et les coussins réservés
aux croyants respectifs des Jardins supérieurs et des Jardins inférieurs,
il vise à faire la distinction entre les privilèges accordés
aux premiers et aux seconds, à travers le haut degré de luxe
ou de bien-être attaché aux privilèges des personnages
des deux Jardins supérieurs. Et puisque ce luxe a atteint un si
haut degré pour ceux-ci que même les revers de leurs lits
sont de brocart avec tout ce que cela implique de douceur, velouté,
et d'absence de toute rudesse, cela signifie que le Ciel veut leur assurer
une ambiance de repos total et leur éviter tout effort ou mouvement
corporel qui perturberait ce repos absolu et constituerait un élément
discordant avec cette ambiance de douceur et de tranquillité totale.
Aussi a-t-il ajouté au confort et au luxe de leurs lits ou coussins,
la possibilité de cueillir de leurs mains ou même de leurs
bouches les fruits suspendus juste au-dessus de leurs têtes, et de
les manger, tout en restant allongés, étendus ou accoudés
sur leurs lits, sans se donner la peine de se lever pour les chercher,
ou sans être dérangés dans leur quiétude par
d'éventuels serviteurs qui viendraient les leur apporter. N'est-ce-pas
le plus haut degré absolu de luxe et de bien-être?
* * *
Les Houris, c'est le cinquième et dernier des éléments
communs de l'environnement des deux couples de Jardins paradisiaques.
Concernant cet élément, le privilège ou le détail
distinctif dont jouissent les personnages des deux Jardins supérieurs
est évident et saute aux yeux, dès qu'on fait une lecture
comparative de la description faite à cet égard dans les
deux couples de Jardins.
A propos des deux Jardins supérieurs, il est dit:
«Là, ils rencontreront celles (les Houris) dont les
regards sont chastes et que ni homme ni djinn n'a jamais touchées
avant eux».(88)
«Elles seront semblables au rubis et au corail»(89)
Et des deux de Jardins inférieurs:
«Il y aura là des vierges bonnes et belles».(90)
«Des Houris qui vivent retirées sous leurs tentes».(91)
«Que ni homme ni djinn, n'a jamais touchées avant eux».(92)
Ce privilège attaché aux Houris des deux Jardins supérieurs
est, comme on ne manque pas de le remarquer, que ces Houris «seront
semblables au rubis et au corail»(93),
détail dont sont dépouillées les Houris des deux Jardins
inférieurs.
Mais en dehors de ce privilège ou de ce détail distinctif
(propre aux personnages des deux Jardins supérieurs) qui ne fait
que confirmer les autres privilèges attachés aux quatre autres
éléments que nous avons examinés, ce qui nous intéresse
ici relativement à l'élément Houris, c'est l'aspect
moral de celles-ci, que le récit met en évidence, et l'opportunité
pour nous, les lecteurs, de tirer la leçon de cet aspect moral dans
notre vie terrestre.
En effet lorsqu'on relit la partie du récit relative à
cet élément, on se rend compte que trois traits caractérisent
la morale ou les moeurs des Houris: un trait apparaît lors de la
description relative aux deux Jardins supérieurs et deux dans le
contexte des deux Jardins inférieurs.
Le premier trait c'est: «celles dont les regards sont chastes»(94)
et les deux autres traits: «des vierges bonnes et belles»(95)
et «des Houris qui vivent retirées sous leurs tentes».(96)
Ces trois traits ou qualités chez les Houris, à savoir
«les regards chastes», «bonnes»,
«retirées sous leurs tentes» sont de toute évidence
des qualités morales dont nous devons nous armer à notre
tour, lorsque nous traitons de la conduite humaine sur la terre et sa conséquence
sur la récompense décernée dans l'Au-delà,
comme le suggère le récit en établissant d'une façon
artistique la corrélation entre notre comportement sur la terre
et ce que nous aurons dans la vie future, et ce afin de mieux nous servir
de notre vie présente dont la seule raison d'être est l'adoration
d'Allah ou la Lieutenance d'Allah sur la Terre, et son incidence sur la
vie éternelle dont la raison d'être est également l'adoration.
Le récit des Quatre Jardins qui met l'accent sur l'aspect moral
des Houris en les décrivant comme étant «aux regards
chastes», «bonnes» et «retirées
sous leurs tentes», nous conduit à attirer l'attention
sur le fait que ce qui différencie l'environnement de la vie future
de celui de la vie terrestre, c'est que dans la première (la vie
future) l'élément "conflit" disparaît de la structure
humaine, dans ce sens que la satisfaction des besoins vitaux ou psychologiques
n'est plus précédée d'un conflit entre le bien et
le mal, le désir et la raison, mais s'opère suivant une propension
unilatérale qui tend à satisfaire les deux sortes des besoins
d'une manière purement rationnelle et purement orientée vers
le bien.
Dans l'environnement du Paradis, les relations sociales par exemple
sont marquées par une entente totale et non précédée
de processus de report ou de refoulement du sentiment de haine, de fierté
ou de domination, comme cela existe dans la vie terrestre chez les personnes
très pieuses qui refoulent ou écartent leurs tendances à
la haine, à l'orgueil ou à la domination pour laisser la
place à leurs propensions à l'amour, à l'humilité
et à l'ascétisme.
Le processus de refoulement auquel recourent les gens pieux dans la
vie terrestre disparaît dans la vie future où la propension
au mal n'existe pas, et l'inexistence de cette propension fait disparaître
avec elle la raison d'être du processus de refoulement.
Ceci vaut également pour la satisfaction des besoins vitaux tels
que le manger, le sexe, etc... Là aussi la satisfaction de ces besoins
se fait en l'absence de toute tendance au mal.
Mais on pourrait objecter que si telle est la vérité (absence
de tendance au mal au Paradis) pourquoi le récit coranique met-il
l'accent sur «leurs regards chastes», «leur
bonté», «leur retrait sous les tentes»,
qui devraient constituer les caractères normaux et communs de tous
les habitants du Paradis, où ne prévalent que les tendances
au bien et où disparaissent toutes les propensions au mal?
En fait si le récit introduit ces détails, c'est certes
pour décrire une réalité de l'environnement paradisiaque
d'une part, mais c'est surtout - et c'est là qu'apparaît la
valeur du rôle de l'art dans la transmission de messages - pour attirer
notre attention sur notre conduite terrestre dans ce domaine, et sur la
façon dont doit se comporter la femme vis-à-vis de l'homme.
* * *
La première qualité que le récit a soulignée
lorsqu'il a abordé le cinquième élément de
l'environnement des deux Jardins supérieurs était: «les
Houris dont les regards sont chastes».
De même la première qualité mentionnée dans
la description des Houris des deux Jardins inférieurs était
«bonnes», suivie de «retirées sous leurs
tentes», avant d'énumérer les autres traits relatifs
à l'aspect vital de la personnalité.
Or, il ne fait pas de doute, du point de vue purement artistique, que
le fait d'introduire en premier lieu une qualité avant les autres
qualités, signifie que le récit cherche à mettre en
évidence ladite qualité -en raison de son importance- plus
que sur toute autre.
Et lorsque le récit débute la description des deux Jardins
supérieurs et des deux Jardins inférieurs par l'introduction
de qualités telles que «aux regards chastes»,
«bonnes», «retirées sous leurs tentes»,
il veut attirer notre attention sur la nécessité de nous
doter de ces même qualités dans notre vie terrestre.
Ces vérités nous pouvons les appréhender lorsque
nous examinons de plus près les qualités ou les traits moraux
précités. Par exemple, «aux regards chastes»
signifie que ces femmes limitent leurs regards à leurs maris seulement.
Et «retirées sous leurs tentes», signifie qu'elles
se renferment chez elles, évitant ainsi de s'exposer aux regards
des hommes.
Or, ce sont ces mêmes traits sur lesquels la Législation
islamique insiste pour ce qui concerne les femmes dans la vie terrestre,
puisque le Noble Coran et les Traditions d'Ahl-ul-Bayt (Le Prophète
et sa Famille) commandent à la femme d'éviter de voir un
non-mahram(97)
et d'être vue par lui, et de parler avec lui sauf dans le cas d'un
besoin absolu ou de force majeure, et de limiter (réserver) ses
rencontres, ses regards et paroles, à son mari.
* * *
L'appréhension de ces vérités se cristallise plus
concrètement lorsque nous découvrons la nature de la structure
humaine dans la vie future, et nous nous rappelons ce que nous avons déjà
signalé, à savoir que l'élément "mal" et "le
conflit" intérieur qui lui est concomitant disparaissent dans la
vie de l'Au-delà.
Si l'accent est mis sur le "voile" ou la "discrétion physique"
de la femme, sur "sa vie retirée dans la maison", sur "la limitation
de son regard à son mari" même dans la vie future où
la tendance au mal et le processus conflictuel entre le
bien et le mal sont totalement absents, que dire alors de la vie
terrestre où l'être humain est en permanence attiré
par sa tendance au mal avec tous les conflits intérieurs qui s'ensuivent?
Redisons-le une fois de plus: le récit vise, par un procédé
romanesque indirect, à attirer notre attention sur la nécessité
pour la femme de corriger son attitude dans la vie terrestre, de limiter
ses regards à son mari, et ses mouvements au cadre qui lui est déterminé.
Peut-être le testament que la Maîtresse des femmes des mondes,
Fatimah al-Zahrâ' (p) a laissé à la femme et voulant
que celle-ci ne voie personne et ne soit vue par personne de
non-mahram
demeure un critère très clair de sa bonne conduite.
* * *
Conclusion: nous avons pu, à travers l'étude de ce récit
déterminer les différents procédés artistiques
réjouissants qu'il a suivis pour nous faire connaître les
vérités relatives à l'environnement des quatre Jardins,
et découvrir la nature de la structure architecturale ou de l'ossature
artistique générale à travers lequel il nous a permis
de percevoir les points distinctifs entre les deux Jardins supérieurs
et les deux Jardins inférieurs.
Cependant nous nous devons de rappeler au lecteur, une fois de plus,
les messages ou les significations idéologiques du récit,
étant donné que la valeur artistique n'a d'autre raison d'être
que l'approfondissement et l'éclaircissement des messages moraux
ou idéologiques que le récit porte et véhicule.
Ne faut-il pas tirer la leçon de tels récits coraniques
futuristes qui nous dessinent les différents aspects des deux couples
de Jardins et les points distinctifs qui les départagent, pour façonner
nos comportements, dans la vie terrestre selon le modèle qu'ils
nous présentent, étant donné que la corrélation
entre la vie terrestre et la vie future est tellement indissociable que
notre futur reste totalement tributaire de nos actes de piété
pour l'accomplissement desquels nous avons été créés?
Autrement nous risquerions de manquer d'exploiter, comme il se doit, chaque
instant de notre existence éphémère et pourtant si
précieuse, en vue de la construction de notre demeure éternelle.
Sourate (56): L'Echéant (Al-Wâqi'ah)
I- Le Récit des Premiers Arrivés
II- Le Récit des Gens de la Droite
A- La Sourate
1 Lorsque celle qui est inéluctable surviendra,
2 nul ne traitera sa venue de mensonge.
3 Elle abaissera et elle exaltera!
4 Lorsque la terre sera violemment secouée,
5 lorsque les montagnes seront mises en marche
6 et qu'elles seront une poussière disséminée,
7 vous formerez trois groupes:
8 Les compagnons de la droite!
- Quels sont donc les compagnons de la droite? -
9 Les compagnons de la gauche!
- Quels sont donc les compagnons de la gauche? -
10 Et les premiers arrivés qui seront bien les premiers,
11 voilà ceux qui seront les plus proches de Dieu,
12 dans les Jardins du délice:
13 il y en aura une multitude parmi les premiers
14 et un petit nombre parmi les derniers arrivés;
15 placés côte à côte sur des lits de
repos,
16 ils seront accoudés, se faisant vis-à-vis.
17 Des éphèbes immortels circuleront autour d'eux
18 portant des cratères, des aiguières
et des coupes remplies d'un breuvage limpide
19 dont ils ne seront ni excédés, ni enivrés;
20 les fruits de leur choix
21 et la chair des oiseaux qu'ils désireront.
22 Il y aura là des Houris aux grands yeux,
23 semblables à des perles cachées,
24 en récompense de leurs oeuvres.
25 Ils n'entendront là ni parole futile, ni incitation
au péché,
26 mais une seule parole: «Paix! ... Paix! ...»
27 Les compagnons de la droite!
- Quels sont donc les compagnons de la droite! -
28 Ils se tiendront au milieu de jujubiers sans épines
29 et d'acacias bien alignés.
30 Ils jouiront de spacieux ombrages,
31 d'une eau courante,
32 de fruits abondants
33 non cueillis à l'avance, ni interdits.
34 Ils se reposeront sur des lits élevés.
35 C'est Nous, en vérité, qui avons créé
les Houris
d'une façon parfaite.
36 Nous les avons faites vierges,
37 aimantes et d'égale jeunesse
38 pour les compagnons de la droite.
39 Il y aura une multitude d'élus parmi les premiers arrivés
40 et une multitude parmi les derniers.
41 Les compagnons de la gauche!
- Quels sont donc les compagnons de la gauche! -
42 Ils seront exposés à un souffle brûlant,
dans une eau bouillante,
43 sous une ombre de fumée chaude,
44 ni fraîche, ni bienfaisante.
45 Ils vivaient auparavant dans le luxe;
46 ils persistaient dans le grand péché;
47 ils disaient: «Lorsque nous serons morts, que nous serons
poussière et ossements, serons-nous vraiment ressuscités?
48 Est-ce que nos premiers ancêtres...?»
49 Dis: «En vérité, les premiers et les derniers
50 seront réunis à un moment fixé d'un Jour
connu».
51 Oui, vraiment, ô vous, les égarés, les
négateurs!
52 Vous mangerez les fruits de l'arbre Zaqqoum;
53 vous vous en remplirez le ventre;
54 vous boirez ensuite de l'eau bouillante;
55 vous boirez comme des chameaux altérés.
56 - Tel sera leur partage, le Jour du Jugement -
(...)
La Sourate "L'Echéant", comme son titre l'indique parle, tout
au long de ses 96 versets, du Jour de la Résurrection et de ses
caractéristiques. Cependant on peut diviser ce sujet principal en
huit thèmes secondaires:
1- Les prémices de l'avènement du Jour de la Résurrection
et les événements terribles qui les accompagnent.
2- La répartition des gens, ce Jour-là, en trois groupes:
Les Gens de la droite, Les Gens de la gauche, Les Premiers arrivés.
3- Description détaillée des "Premiers arrivés"
et surtout des récompenses qui les attendent dans l'au-delà.
4- Description détaillée des "Gens de la droite" et des
différents bienfaits qu'Allah leur accorde.
5- Description des châtiments horribles que "Les Gens de la gauche"
subissent dans l'Enfer.
6- L'énumération des arguments de la véracité
de la Résurrection et des preuves de l'existence du Créateur
Unique: la création de l'homme à partir d'un sperme insignifiant,
l'apparition de la vie dans les plantes, la descente de la pluie, la création
du feu etc...
7- La description de l'agonie et du transfert de ce monde vers l'au-delà,
ce qui constitue un prélude au Jour de la Résurrection.
8- Vue générale sur la récompense accordée
aux croyants et la punition dont sont passibles les mécréants.
Mais selon une autre division thématique et structurale de cette
sourate, celle-ci comporte une sorte d'exorde ou de prologue qui couvre
les versets 1-11, un finale ou épilogue (versets 88-96), une première
partie à trois séquences: versets 12-26 dont le thème
est les "Premiers arrivés", versets 27-40 qui décrivent "Les
Gens de la droite", versets 41-56 qui mettent en scène "Les Gens
de la gauche".
A cette première partie qu'on peut qualifier de description eschatologique,
succède une seconde, plus courte (versets 57-74), qui présente
selon l'expression de l'orientaliste Jacques Berque(98),
un raisonnement naturaliste ou plus simplement l'argumentation de l'existence
du Créateur.
Les versets 75-82 répondent aux polythéistes qui mettent
en doute la nature divine du Coran en affirmant que ce grandiose Livre
d'Allah est une évidence qui ne requiert aucune démonstration,
et les versets 83-87 décrivent l'état d'agonie d'un mourant
qui s'apprête à effectuer son voyage vers l'au-delà.
* * *
Quelques mots à propos des effets bénéfiques ou
des vertus attachées à la récitation de cette sourate.
Selon un hadith attribué au Noble Prophète (P): «Quiconque
récite Sourate al-Wâqiah ne sera pas inscrit au nombre des
inconscients» étant donné que les versets de cette
sourate ont la propriété d'éveiller et de mouvoir
de telle sorte qu'ils ne permettent pas au lecteur de se cantonner dans
un état d'inconscience.
Et selon un autre hadith le Prophète (P) dit: «Les Sourates
Houd (11), al-Waqi'ah (56), al-Mursalât (77) et al-Naba' (78) m'ont
fait vieillir à cause de la mention qui y est faite (surtout
dans sourate al-Waqi'ah) des nouvelles terrifiantes de ce qui se passera
le Jour du Rassemblement, lors de la Résurrection, et des châtiments
terribles infligés aux polythéistes ou du sort horrible qui
avait été réservé aux peuples précédents».(99)
Selon l'Imâm al-Sâdiq: «Quiconque récite Sourate
al-Waqi'ah chaque veille du vendredi (la nuit de jeudi à vendredi)
Allah l'aimera et le fera aimer de tout le monde. Il ne connaîtra
jamais dans sa vie ni misère ni pauvreté ni dénuement
ni aucune grave maladie de ce monde. Et il sera parmi les compagnons de
l'Imâm Ali (dans l'au-delà)».(100)
Enfin d'après un autre récit hagiographique, un jour 'Othmân
Ibn Affân a rendu visite à 'Abdullâh Ibn Mas'ûd,
lors de sa maladie qui l'emporta. Il lui demanda alors:
- De quoi souffres-tu?
- De mes péchés, répondit 'Abdullâh.
- Qu'est-ce que tu désires?, demanda encore 'Othmân.
- La Miséricorde de mon Seigneur
- Ne veux-tu pas que je fasse venir un médecin pour toi?
- C'est le médecin qui m'a rendu malade.
- Ne veux-tu pas que j'ordonne qu'on t'apporte une allocation?
- Tu ne m'as pas accordé une allocation lorsque j'en avais besoin.
Tu veux maintenant m'en accorder une alors qu'elle ne me sert plus à
rien!
- Garde-la pour tes filles, insista 'Othmân.
- Elles n'en auront pas besoin, elles non plus, car je leur ai ordonné
de réciter Sourate al-Waqi'ah, ayant entendu le Messager d'Allah
(P) dire: «Quiconque récite Sourate al-Waqi'ah chaque nuit
ne connaîtra jamais le dénuement».(101)
C'est d'ailleurs pour cette raison que cette Sourate a été
dénommée, selon un hadith, la Sourate de la Richesse (Sourate
al-Ghinâ).
* * *
B- Les Récits
I- Le Récit des Premiers Arrivés
Sourate l'Echéant comprend trois "scènes" ou "paysages"
qu'on peut appeler des récits de milieu, c'est-à-dire des
récits où prédomine la description du milieu par opposition
au récit où prédomine un "personnage", ou celui où
prédomine la péripétie ou l'événement.
Ainsi, les récits qui mettent en scène la vie des Saints
par exemple, l'élément prépondérant c'est l'hagiographie
d'un Prophète (Adam, Ibrâhim, Noé, etc.), de telle
sorte que tous les rouages du récit s'articulent autour de ce héros.
Quant aux récits d'événements ou de péripéties,
le héros y disparaît, ou presque, au point que même
son nom n'y figure pas. Le lecteur se trouve devant une série d'événements
qui polarisent son attention et occupent la place centrale du récit.
Enfin, il y a un genre de récit coranique où l'élément
prédominant est la description du milieu, lequel peut être
un lieu ou un espace géographique particulier, appartenant à
ce bas-monde ou à l'Autre monde.
La Sourate "l'Echéant" dont nous traitons ici, fait donc partie
de ce dernier genre romanesque, le récit du milieu. Ce milieu est
divisé en trois parties.
La première partie, c'est le milieu des "Premiers arrivés",
c'est-à-dire l'élite humaine pour laquelle un endroit spécial
a été préparé, "Les Jardins du délice".
La deuxième partie, c'est le milieu des "Compagnons de la droite",
lesquels sont moins privilégiés que la catégorie précédente,
et la place qui leur a été aménagée est différente
de celle destinée à ladite catégorie.
La troisième catégorie est le milieu des "Compagnons de
la gauche", pour lesquels la demeure choisie est l'Enfer, demeure qui sied
bien à leur attitude dans la vie "de la mise à l'épreuve",
la vie d'ici-bas.
Arrêtons-nous maintenant sur la première catégorie
(celle des "Premiers arrivés"), pour voir de plus près le
paysage de leur environnement.
Lisons tout d'abord le texte romanesque les concernant:
«Les premiers arrivés qui seront bien les premiers,
»voilà ceux qui seront les plus proches de Dieu,
»dans le Jardin du délice;
»il y en aura une multitude parmi les premiers
»et un petit nombre parmi les derniers arrivés»(102)
Avant d'aborder la description faite de cette catégorie de personnages,
il convient de connaître leurs traits tels que le récit lui-même
les a dépeints.
Allah - IL est Très-Haut et Glorifié - les a qualifiés
de: «premiers arrivés» et de «les plus
proches de Dieu».
Concernant leur nombre, ils ont été décrits comme
étant un grand groupe de «premiers arrivés»
et un petit groupe de «derniers arrivés».
Il s'agit de savoir maintenant comment cette catégorie de personnages
a-t-elle pu obtenir des privilèges (que nous verrons lorsque nous
développerons notre exposé sur le milieu qui leur a été
préparé) qui les classent comme étant «les
premiers arrivés» par rapport aux autres, et comme étant
de grand nombre dans un temps antérieur et de petit nombre dans
la période ultérieure?
Les textes exégétiques diffèrent quant à
l'identification des "premiers à obéir à Allah" et
à appliquer le principe de Lieutenance (Khilâfah) sur
la terre".(103) Les uns les mentionnent
nominalement, d'autres se contentent de les généraliser,
d'autres encore donnent plus de détails à ce sujet.
Toutefois, le texte d'exégèse qui affirme que «les
premiers» sont les envoyés de Dieu et l'élite parmi
la création, et qui est attribué à l'Imâm al-Sâdiq
(p), semble concorder avec le privilège accordé aux Envoyés
(P) et aux Imâms d'Ahl-ul-Bayt (p) en tant que représentant
le sommet du concept de l' "adoration" ou de la "piété",
comme on le sait.
Il est naturel que s'ajoutent à cette catégorie (comme
le laissent entendre certains textes exégétiques et comme
le commande l'apparence du texte romanesque du Coran) les personnes exemplaires
qui étaient plus promptes que les autres à croire aux Messages
divins, ou les personnes exemplaires qui se sont montrées plus sincères
et plus dévouées que les autres dans leurs pratiques religieuses,
et ce peu importe que cela désigne de grands nombres de nations
précédentes et un petit nombre de la nation du Prophète
Mohammad (P), ou un petit nombre parmi les gens des temps ultérieurs
par rapport aux premiers temps en général.
Passons maintenant à la description faite du milieu ambiant préparé
pour les Premiers. Le Ciel semble leur avoir octroyé tout d'abord
trois moyens de satisfaire leurs besoins: le manger, le boire, le siège.
Puis le Ciel a varié chacun de ces moyens.
Et enfin, IL les a soumis à une sélection spécifique,
concernant le bien-être (le luxe) dans le mode de satisfaction.
Concernant la place réservée à la position assise
des intéressés, la description est la suivante:
«Placés côté à côté
sur des lits dressés.
»Ils seront accoudés, se faisant vis-à-vis».(104)
Le seul fait de préciser qu'ils sont assis "accoudés"
c'est-à-dire à l'aise et décontractés constitue
un signe de "bien-être". Et si l'on y ajoute le fait qu'ils soient
assis sur des lits et non sur le sol du Paradis, le "bien-être" atteint
un degré supérieur.
En outre, lorsqu'on apprend que les lits eux-mêmes sont décrits
comme étant tressés, c'est-à-dire bien tissés
et aux chaînons enchevêtrés, le "bien-être" paraît
toucher son zénith, si on se place sur le plan du besoin esthétique.
Mais pour que la satisfaction de besoin se réalise d'une façon
complète, elle a été liée à la préparation
d'un climat psychologique et social (pour ceux qui sont assis sur les lits)
on ne peut plus positif: ils sont assis les uns devant les autres, et non
pas isolés, ni parsemés ça et là.
Le fait de s'asseoir l'un devant l'autre signifie que l'on n'a pas besoin
de faire le moindre effort ou mouvement pour parler à son interlocuteur
ou vis-à-vis, ce qui constitue un signe évident de confort.
Cependant le bien-être de la position assise n'est pas tout le
bien-être auquel ont droit les personnages de cette catégorie.
Car au plaisir que procure cette façon confortable de s'asseoir,
s'ajoute le plaisir procuré par la qualité de la boisson
et de la nourriture destinées aux bienheureux de cette catégorie,
comme nous le verrons plus loin.
Mais là encore, manger et boire des choses délicieuses
ne suffiraient peut-être pas à réaliser le plus haut
degré du bien-être, s'ils ne sont pas accompagnés d'autres
moyens
ou ingrédients de l'esthétique et du confort.
Sans doute la première chose que les personnes assises "sur des
lits de repos tressés" désireraient, c'est d'avoir à
leur disposition des gens qui les servent et leur apportent ce qu'elles
délectent. Or, là encore elles sont bien servies car: «Des
éphèbes immortels circuleront autour d'eux».(105)
Que ces éphèbes soient créés par le Ciel
spécialement pour servir les gens assis "sur les lits tressés",
ou des enfants de ce bas-monde, n'ayant pas fait de bonnes choses, ou des
enfants de polythéistes, dispensés du Compte, parce que non
majeurs, ils sont dans tous les cas réquisitionnés spécialement
pour prendre soin de cette catégorie privilégiée des
habitants du Paradis, et circuler entre eux afin de leur apporter toutes
sortes de boissons et mets qu'ils affectionneraient, leur évitant
de déployer le moindre effort alors qu'ils sont assis confortablement
entre amis dans cette séance éternelle.
* * *
Récapitulons: "les Premiers" se trouvent dans "les Jardins du
délice"; ils sont assis, accoudés, sur des lits tressés,
les uns devant les autres, dans un confort inégalable, dispensés
de déployer le moindre effort pour satisfaire leurs besoins pendant
qu'ils sont assis entre eux dans une position de repos total. De plus la
nourriture leur est gracieusement offerte avec le plus haut degré
de confort et de bien-être, puisque des éphèbes immortels
sont là pour leur servir à boire et à manger.
Maintenant, il s'agit de savoir de quelle façon fastueuse les
boissons et la nourriture leur sont présentées et avec quel
degré de confort, de bien-être ou de luxe?
Concernant la boisson, le récit coranique dit:
«Des éphèbes immortels circuleront autour d'eux,
» portant des cratères, des aiguières et des
coupes remplies d'un breuvage de source,
»dont ils ne seront ni excédés, ni enivrés».(106)
Il va sans dire que l'on peut s'abreuver avec n'importe quel ustensile
disponible. Toutefois, le Ciel tient à abreuver Ses serviteurs dévoués
(qui ont été les premiers à faire le bien) avec les
instruments les plus luxueux qui sont séants au même degré
de bien-être dont ils bénéficient lorsqu'ils sont assis
sur des lits tressés entre amis chéris.
Ainsi, au lieu d'une seule sorte d'ustensile, le Ciel leur en a destiné
trois dont chacun présente par son aspect esthétique, aux
"Premiers" une double satisfaction du sens de la vue (le plaisir de l'oeil)
et du sens du goût.
Il y a donc les "cratères" ou les "jattes" avec leur rebord large,
les "aiguières" limpides et brillantes, avec leur anse et leur trompe,
et les coupes dont l'aspect plaisant se passe de description.
Il est évident aussi que chacun de ces trois types d'ustensiles
a un aspect esthétique différent. Les coupes sont différentes
des aiguières, de même que celles-ci et celle-là diffèrent
des cratères. Chacun d'eux se distingue des autres non seulement
par son aspect extérieur, mais également par la façon
de les tenir dans la main et d'en verser le contenu dans la bouche. Tout
ceci indique que le Ciel veut réaliser à Ses serviteurs les
plus obéissants le plus haut degré de bien-être qu'IL
leur a promis.
Jusque-là, on a pu remarquer, dans le milieu de "Jardins du délice"
réservé par le Ciel à Ses serviteurs les plus dévoués,
une concordance dans le bien-être relativement à la façon
de s'asseoir et de s'abreuver.
On va constater maintenant la même concordance de bien-être
dans la façon de servir à manger à cette élite.
Lisons le récit coranique à ce propos:
«les fruits de leur choix
»et la chair des oiseaux qu'ils désireront».(107)
La nourriture ici est de deux sortes: fruit et viande.
Lorsque nous transposons ces deux sortes de nourriture dans notre expérience
ou goût terrestre, nous dirions que la chair des oiseaux est plus
attrayante que la chair des troupeaux par exemple. Et si l'on ajoute à
ce fait, que les chairs des oiseaux sont très variées et
que chacun de nous peut s'estimer chanceux d'avoir dégusté
la chair de l'une de ces nombreuses espèces d'oiseaux, on peut imaginer
combien est grand notre plaisir lorsqu'on évoque la possibilité
de nous délecter à notre guise et à volonté
d'une variété infinie de chairs d'oiseaux.
Donc le choix de la chair des oiseaux à l'exclusion des autres
chairs, puis la possibilité de manger tout ce que nous désirerions
de la variété infinie de ces chairs si prisées, représentent
le sommet de la satisfaction de nos besoins vitaux.
Ceci concerne évidemment le besoin le plus pressant ou le plus
impérieux dans la vie d'ici-bas. Quant à un besoin moins
impérieux que la viande, en l'occurrence, le fruit, là encore
"les Premiers", ces privilégiés du Paradis, ont l'embarras
du choix: «les fruits de leur choix».(108)
* * *
Continuons à suivre la description faite par le récit
coranique de la nourriture et de la boisson et examinons cette description
avec notre optique terrestre.
"Les premiers" à avoir obéi à Dieu boivent donc
dans des coupes, des aiguières et des jarres une boisson coulante,
c'est-à-dire quelque chose qui coule comme le fleuve, ou le fleuve
lui-même.
Il ne faut pas perdre de vue que la qualité de ce qui coule est
très évocatrice pour la satisfaction d'un besoin vital et
d'un besoin esthétique.
En effet, tout ce qui coule, comme le fleuve et qui est perceptible
par l'oeil, porte plusieurs significations. Lorsqu'on laisse promener son
regard sur un courant abondant et inépuisable, on se sent rassuré
et on ressent un équilibre intérieur dépouillé
de toute angoisse relative aux perspective de l'avenir.
Le courant exubérant, bien fourni, permanent, procure en même
temps un plaisir esthétique pour l'oeil, car la vue du fleuve évoque
une beauté et une attirance.
Mais le récit coranique couronne tous ces plaisirs et bien-être
dont jouissent nos héros du Paradis par une qualité bien
particulière, difficilement concevable pour un esprit terrestre,
lorsqu'il ajoute: «dont ils ne seront ni excédés,
ni enivrés».(109)
Ce commentaire, nous le comprendrions sans doute mieux lorsque nous
le transposons dans notre expérience ou vie terrestre où
la structure de la physiologie humaine est faite de telle sorte que les
pulsions cherchent à être satisfaites d'un côté,
et qui seront satisfaites effectivement de l'autre. En d'autres termes
notre organisme est fait de telle manière qu'il provoque en nous
la sensation (ou la pulsion) de la soif, et ce besoin (ou cette sensation)
sera satisfait une fois que nous aurons bu une quantité déterminée
d'eau, qui correspond au besoin de l'organisme.
Mais si nous imaginons que le processus de la satisfaction de ce besoin
(de boire) serait un processus continuel et ininterrompu, qui ne soit pas
précédé d'une "tension" (le besoin impérieux
de boire) par exemple, ou que cette "tension" ne soit pas associée
(comme cela se produit dans notre vie d'ici-bas) à des possibilités
d'échec (non-satisfaction du besoin) ou tout simplement à
la crainte de l'échec, si nous concevons donc une telle structure
ou physiologie nouvelle de l'être humain auprès de Dieu, nous
saisirons mieux et plus clairement la valeur du boire que nous n'interrompons
pas, dont nous ne serons pas saturés et qui ne nous cause aucune
nuisance, et ce même sans nous limiter à une quantité
convenable de la boisson consommée. N'est-ce pas le plaisir illimité!
Du même coup, nous comprendrons mieux le sens de ce commentaire
qui nous laisse transposer notre processus de satisfaction de besoins (de
boire) dans la vie de l'Au-delà où les habitants des Jardins
du délice peuvent boire à leur volonté sans crainte
et sans inquiétude aucune. En un mot, le plaisir dans la vie terrestre
à un début et une fin, alors qu'il est infini pour les habitants
du Paradis. De là nous percevons clairement combien est considérable
et immense le don ou le bienfait que le Ciel accorde à Ses serviteurs
les plus pieux.
En tout état de cause la description romanesque du milieu ou
de l'environnement des "Premiers" sur les plans du boire, du manger et
de la manière de s'asseoir et de fréquenter les compagnons
chéris, incarne le sommet du bien-être dans la satisfaction
du besoin de l'homme dans ce domaine.
Mais ce privilège ou ce bien-être ne s'arrête pas
là. Il déborde vers un nouvel élément, puis
vers le type de relation morale entre les "premiers" à avoir obéi
à Dieu, à L'adorer et à assumer la fonction de "Lieutenance"
de Dieu sur la terre.
Récapitulons pour mieux en saisir la portée: le Ciel a
préparé pour ceux qui sont les "premiers" à Lui obéir,
la satisfaction de besoins vitaux avec le plus grand degré de bien-être
imaginable, comme nous l'avons remarqué: une boisson servie dans
des jattes, des aiguières et des coupes; des fruits à leur
choix; des chairs d'oiseaux à leur appétit; des houris aux
yeux grands et beaux... Ces besoins vitaux ont été doublés
des besoins psychologiques dont le premier est la rencontre entre des gens
qui s'aiment et qui sont assis les uns devant les autres sur des lits tressés.
Et maintenant le texte romanesque couronne ce besoin psychologique par
un trait spécifique de comportement, à savoir la concordance
sociale absolue qui marque la relation sociale des privilégiés
des "Jardins du délice":
«Ils n'entendront là ni parole futile, ni incitation
au péché,
»mais une seule parole: Paix!... Paix...».(110)
Mais avant d'aborder ce phénomène social qui prévaut
dans les "Jardins de délice", il convient de prêter attention
au commentaire du récit sur les besoins vitaux qui sont préparés
pour les "Premiers", en l'occurrence les besoins relatifs à la faim,
à la soif, à la sexualité et au sens esthétique.
Ce commentaire est: «en récompense de leurs oeuvres».(111)
Il est la somme idéologique de tous les besoins vitaux énumérés
par le récit.
Ainsi, la nourriture, dissociée du concept d'adoration ou de
lieutenance sur la terre ne signifie plus qu'un besoin dont l'importance
s'estompe fondamentalement. Il en va de même pour les autres besoins
relatifs au boire et au sens esthétique.
Nous sommes maintenant devant deux milieux: le milieu de la vie d'ici-bas
et le milieu de l'Au-delà.
Concernant le milieu d'ici-bas, le récit l'a rayé (d'une
façon indirecte) de la mémoire de l'homme, et l'a réduit
en un seul but idéologique et psychologique «en récompense
de leurs ouvres», c'est-à-dire que l'action pour Allah
est le seul justificatif de la préparation luxueuse des besoins
vitaux dans la vie de l'Au-delà.
Si la nourriture, par exemple, constitue (dans le milieu terrestre)
un simple moyen permettant à l'être humain de s'acquitter
de ses devoirs d'adoration, elle se transforme (dans le milieu de l'Au-delà)
en un autre moyen d'adoration également, mais d'un type différent.
Mais comment comprendre cette différence entre les deux moyens?
Le rapport de l'être humain avec Allah demeure un pur besoin rationnel
ou psychologique, que ce soit dans ce bas-monde ou dans l'autre.
Quant au besoin vital, c'est-à-dire biologique, tel que le manger
etc... il est dans le cadre de la vie terrestre un moyen traversé
par un conflit, et dans le cadre de la vie de l'Au-delà un moyen
dépouillé de tout conflit.
Ainsi, lorsque nous ajournons la consommation d'un plat délicieux,
nous aurons dépassé la phase de conflit entre le désir
de manger le plat et la volonté d'ajourner la satisfaction de ce
désir. L'exemple d'un tel ajournement est lorsque nous accomplissons
le jeûne ou lorsque nous nous trouvons devant un plat dont la licité
n'est pas encore établie pour nous, ou lorsque nous devons acquitter
un devoir urgent. Dans tous ces cas, on est amené à ajourner
la satisfaction d'un besoin vital et à dépasser la phase
de conflit entre la satisfaction et l'ajournement de la satisfaction de
ce besoin ou de ce désir.
On aura dépassé cette phase de conflit, lorsqu'on sera
totalement convaincu que la nourriture n'est nécessaire que dans
la mesure ou la limite où l'organisme en a besoin, et que l'accomplissement
du jeûne ou d'un devoir urgent, ou l'abstention d'un plat dont la
licité est douteuse, constituent le choix positif qui concorde avec
la notion de lieutenance sur la terre (notion qui signifie que la seule
raison d'être de l'homme sur terre est l'adoration d'Allah et l'application
de Ses Instructions).
En revanche, dans la vie de l'Au-delà, un tel conflit n'existe
évidemment pas, et en conséquence, le choix n'existe pas
non plus. La nourriture demeure un moyen mécanique (comme la circulation
sanguine, par exemple) dont le fonctionnement n'est pas doté d'un
dispositif d'arrêt et de marche.
En outre, ce moyen ou instrument, s'il a acquis un tel mode de satisfaction,
c'est parce qu'il constitue "une récompense" des oeuvres d'adoration
dans la vie d'ici-bas, ce qui signifie que l'action d'adoration - lequel
est un besoin rationnel et psychologique - est la seule signification de
l'existence de l'Homme.
De là, les relations sociales dans la vie de l'Au-delà,
avec tout ce qu'elles comportent de significations psychologique et rationnelle
demeurent le trait qui enveloppe le comportement décrit par le texte
romanesque en guise d'épilogue: «Ils n'entendront là
ni parole futile, ni incitation au péché, mais une seule
parole: "Paix!.. Paix!..."».(112)
Si nous transposons la nature des relations sociales dans l'Au-delà
(relations marquées, selon le récit par l'absence de paroles
futiles et de péché, d'une part, et par l'échange
de mots de salutation, de paix et d'amour, d'autre part) dans notre vie
terrestre, nous réalisons leur haute valeur, ainsi que l'importance
artistique d'une telle présentation romanesque.
Ainsi, au lieu de nous demander directement de nous doter d'un comportement
fondé sur l'amour dans nos rapports humains terrestres, le récit
l'a fait d'une façon indirecte plus subtile et plus suggestive,
en nous informant que les gens du Paradis ne se font pas mal les uns aux
autres ni ne s'accusent mutuellement, qu'ils se saluent aimablement et
qu'ils se montrent affectueux les uns envers les autres.
Ce comportement qui caractérise les gens du Paradis, le récit
nous appelle à l'adopter dans notre vie terrestre, mais sans nous
le dire directement et nous inspire la nécessité de nous
entraîner et de nous accoutumer à éviter les paroles
futiles et les propos blessants et à les substituer par un langage
d'amour et des mots utiles.
La seule différence entre nous-mêmes et les gens du Paradis,
c'est que chez ces derniers l'absence de la parole futile et méchante
ne résulte pas d'un conflit intérieur, alors que notre comportement
à nous, qui vivons sur terre est fondé sur une structure
de conflit, conflit que le Ciel nous demande de dépasser en acceptant
de reporter (d'ajourner) la satisfaction du désir passager, et en
nous entraînant à établir des relations fondées
sur l'amour d'autrui et sur la suppression des propos vains dans notre
langage.
Ayant expliqué le procédé romanesque par lequel
le récit nous a amené à en déduire le message
idéologique, il nous faut maintenant traiter en détail des
concepts : "absence de parole futile", "absence de péché",
"salutation et Paix", présentés par le récit à
la fin de la description du milieu des "premiers" à obéir
à Allah dans les Jardins du délice qui leur sont destinés.
Comme nous l'avons dit, ces derniers (les premiers à obéir
à Allah) ne prononcent pas, au Paradis, des paroles inutiles: «Ils
n'entendront là ni parole futile...». Or si nous transposons
ce phénomène dans la vie d'ici-bas, nous remarquons que la
"parole futile" peut se présenter sous différentes formes:
parole sans finalité, parole de trop, plaisanterie, chant, polémique
stérile etc...
Et comme nous l'avons dit aussi, le récit vise (du point de vue
artistique) à transposer cette vérité dans notre conduite
terrestre afin de nous amener à corriger et à discipliner
celle-ci à travers la phase de conflit qui caractérise le
comportement humain dans la vie d'ici-bas.
En effet, les traditions d'Ahl-ul-Bayt (P) nous commandent de nous taire
lorsque la parole ne s'avère pas nécessaire. Et dans le domaine
des maladies psychologiques, les Ahl-ul-Bayt (p) citent comme l'une d'elles
l' "amour de parler", défaut dont il faut absolument se départir,
par l'effort et l'exercice de l'âme.
Il est évident que lorsque quelqu'un a l'habitude de dire n'importe
quoi, alors que la situation ne requiert pas qu'il parle, il cherche à
attirer l'attention sur sa personne atteinte d'un complexe d'effacement
et d'infériorité et essaie par tous les moyens de s'affirmer.
Quant à une personnalité saine, la confiance en soi, en
son indépendance et en sa qualité, suffit à conjurer
cette vile propension à dire n'importe quoi uniquement pour parler.
* * *
La deuxième valeur (message) idéologique du récit
est l' "absence de péché": «Ils n'entendront là
ni parole futile ni incitation au péché».
Il est clair qu'un mot blessant ou accusateur qui porte préjudice
aux autres, est le symptôme d'une tendance agressive chez le sujet:
haine, animosité, jalousie, envie.
Il est inutile ici de rappeler ce que les Ahl-ul-Bayt (P) ont dit à
ce propos, puisque le Législateur insiste à la base sur la
nécessité de purifier l'âme et de l'entraîner
à l'amour au lieu de la haine.
Et c'est là le troisième message que le récit nous
communique à travers sa description des «premiers à
obéir à Allah» dans leur milieu de Paradis: «mais
une seule parole: Paix!... Paix!...»
Car la salutation (même lorsqu'elle s'apparente à une affectation),
n'est pas un simple mouvement verbal dépouillé de toute portée
ou de toute signification concrète, mais traduit sinon un sentiment
d'amour, du moins une tentative de s'exercer à l'amour et d'effacer
des profondeurs de l'homme les vestiges ou les restes de la haine ou de
la tension qui pourrait habiter un membre de la société humaine.
Mis à part les messages idéologiques du récit,
celui-ci s'est terminé par une description qui oppose le psychologique
au vital (la nourriture, la boisson, le sens esthétique), voulant
nous montrer ainsi (par cet épilogue) que la moralité véritable
qui se dégage du milieu des "premiers à obéir à
Allah" est la marque d'amour qui caractérise les relations entre
ces derniers.
En un mot les "premiers à obéir à Allah" forment
une élite que le récit a décrite comme étant
au sommet du bien-être vital et psychologique.
Ils sont suivis (au Paradis) par les "gens de la droite", lesquels sont
moins bien lotis que "les Premiers".
Il est naturel que l'on s'attende que les "gens de la droite" soient
moins bien traités, sur le plan de la satisfaction de leurs besoins
au Paradis, que les "premiers à obéir à Allah", puisque
le test ou l'épreuve terrestre que ceux-ci ont passé, a montré
qu'ils avaient consenti plus de sacrifice ou d' "ajournement" que ceux-là
concernant la satisfaction de plaisirs et de besoins dans la vie terrestre.
Voyons maintenant comment le récit dépeint le milieu paradisiaque
destiné aux "gens de la droite":
«Les compagnons de la droite! Quels sont donc les compagnons
de la droite?
»Ils se tiendront au milieu de jujubiers sans épines
»et d'acacias bien alignés.
»Ils jouiront de spacieux ombrages,
»d'une eau courante, de fruits abondants
»non cueillis à l'avance, ni interdits.
»Ils se reposeront sur des lits élevés.
»C'est nous, en vérité, qui avons créé
les Houris d'une façon parfaite.
»Nous les avons faites vierges,
»aimantes et d'égale jeunesse ... ».(113)
Quiconque médite sur ce milieu paradisiaque préparé
aux "gens de la droite" s'aperçoit qu'il est très différent
de celui destiné aux "premiers à obéir à Allah"
quant au degré de la satisfaction des besoins ou au degré
de bien-être dans cette satisfaction, d'une part, et par l'absence
de l'élément social ou de la définition des relations
sociales entre les membres de cette catégorie, d'autre part.
Il va de soi que cette différence entre les deux milieux tient
à la différence dans l'acquittement de chacun des deux groupes
de ses devoirs de lieutenance sur la terre.
Mais les procédés romanesques que le récit suit
à cet égard nous révèlent de nouveaux faits
qui méritent un développement ici.
En effet, le premier élément qui disparaît dans
le milieu paradisiaque des gens de la droite est le "lieu de repos" et
les moyens de bien-être qui s'y attachent: il n'y a pas de lits qualifiés
de tissés, sur lesquels ils (les premiers à obéir
à Allah) sont accoudés, face à face...
Ces descriptions (les lits qui sont tissés, sur lesquels sont
assis les "premiers" "accoudés", "face à face", comme des
gens qui s'aiment) ont disparu dans la présentation du milieu paradisiaque
des "gens de la droite" au point qu'aucune description de lieu de repos
n'y est faite, sauf ces allusions «une ombre épandue»
et «des couches exaltées» à propos desquelles
nous ne sommes pas certains qu'elles désignent un lieu tapissé,
puisque l'apparence du texte et certains exégètes laissent
entendre qu'elles symbolisent les femmes.
La question qui se pose maintenant est: le récit a-t-il recouru
au procédé de l'économie de la narration ou a-t-il
voulu éviter la répétition, en supprimant une description
devenue superflue, ayant déjà paru à propos du milieu
paradisiaque des "Premiers?"
Il n'est pas possible de répondre, avec certitude, par l'affirmative
à cette question, étant donné que nous savons forcément
qu'il y a une différence de degré dans la foi des croyants
et des gens pieux (dans ce bas-monde), ce qui nécessite qu'il y
ait également une différence dans la récompense décernée
au Paradis à chacun, suivant le degré de sa foi.
Toutefois, nous retrouvons ailleurs, dans d'autres versets coraniques
des généralisations relatives à la place où
l'on s'assoit dans le Paradis, comme: «couchés sur des
lits d'apparat»,(114) «des
lits élevés»,(115)
«des tapis étalés»,(116)
«sur des lits de repos bien alignés»(117)...
etc.
Ainsi, les lits d'apparat, les lits élevés, les tapis,
sur lesquels on s'accoude ou s'assoit sont cités dans le contexte
des gens du Paradis, sans que ces textes coraniques mentionnent la différence
entre ces gens.
Ces détails n'empêchent pas que la question posée
plus haut se pose encore: pourquoi n'y a-t-il pas une description du lieu
de repos des "gens de la droite?" Ces derniers sont-ils compris dans les
généralisations relatives à la description des gens
du Paradis (en général), ce qui les englobe dans cette description
(de lieu)? Dans l'affirmative, pourquoi la description du lieu a disparu
ici et non pas dans le cas des "premiers à obéir à
Allah".
II- Le Récit des "Gens de
la Droite"
Le milieu des "Gens de la droite" au Paradis est caractérisé
par les éléments suivants:
1- «Ils se tiendront au milieu de jujubiers sans épines»(118)
ce qui épargne au consommateur de ces jujubiers tout effort d'en
enlever les épines lorsqu'il veut en manger;
2- «d'acacias bien alignés»(119):
une sorte de fruit ou de plante qui se distingue par son goût délicieux
ou par la beauté de sa forme;
3- «des ombrages spacieux»(120):
dont l'effet ne risque pas d'être aboli par le soleil;
4- «d'une eau courante»(121):
inépuisable pour le consommateur;
5- «des fruits abondants»(122):
qui ne disparaissent à aucune saison et dont les bénéficiaires
ne seront privés pour aucune raison;
6- «des lits élevés»(123):
qui peuvent être soit des tapis élevés soit le symbole
des houris.
Ce qui nous intéresse dans cette description, c'est d'abord son
lien avec notre conduite terrestre, et c'est ensuite sa différence
avec la description du milieu eschatologique (paradisiaque) des "Premiers",
et le rapport de cette différence à notre conduite terrestre
également.
Concernant la différence entre les deux milieux paradisiaques,
destinés respectivement à chacune des deux catégories
de personnages précitées, elle est très évidente.
Ainsi, les hauts degrés de luxe ou de bien-être (relatif
aussi bien au lieu de séjour qu'au boire, au manger et au service)
que nous avons remarqués dans la description du milieu paradisiaque
des "Premiers" ont totalement disparu ici (dans la description du milieu
paradisiaque des Gens de la droite).
Par exemple, lorsqu'on parcourt tous les versets coraniques qui décrivent
(dans différents endroits et à diverses occasions) les "lits"
ou les "tapis" au Paradis, on constate que la seule fois où les
lits sont décrits comme étant tressés, c'est-à-dire
tissés et enchevêtrés, c'est lors de la description
du milieu des "Premiers". Il en va de même pour ce qui concerne la
qualité du "service" dont bénéficient ceux-ci: nulle
part ailleurs dans le Coran, on ne retrouve réunies les "cratères",
les "aiguières" et les "coupes", comme elles le sont ici. On remarque
la même chose pour la qualité de la nourriture, puisque le
seul endroit où il est question de manger la chair des oiseaux,
c'est lorsqu'il s'agit des "Premiers".
Ces détails sont, à n'en pas douter, très significatifs,
et porteurs d'un message: la satisfaction des besoins dans la vie de l'Au-delà
est directement proportionnelle à la non-satisfaction des désirs
(ou des besoins) dans la vie terrestre. En d'autres termes plus on fait
de sacrifices (de désirs et de besoins) dans la vie d'ici-bas, plus
ces désirs et besoins seront satisfaits dans l'autre monde.
Les "Premiers" sont l'élite de l'humanité, des gens pieux
et proches d'Allah, qui n'ont jamais fait montre d'une conduite reprochable.
Tandis que ceux qui sont classés derrière ou après
eux, ils oscillent selon différents degrés entre la bonne
conduite et l'erreur, mais en règle générale, ils
orientent leurs regards vers Allah et consacrent leurs énergies
au service de la "lieutenance" de l'homme sur terre.
Pour illustrer l'expression "différence de degrés" dans
l'obéissance à Allah qui les caractérise, disons que
la personne qui se dévoue totalement à Allah dans ses actions
et activités n'est pas pareille à celui dont la bonne oeuvre
ne se dépouille pas totalement de relents d'égoïsme.
De même celui qui accourt au champ de bataille pour le Jihâd
est traité différemment par Allah de celui qui reste éloigné
du combat sur le chemin d'Allah, et celui qui fait le Jihad avec son sang
n'a pas la même récompense que celui qui se contente de faire
le Jihâd avec son argent ou ses biens.
Moralité, répétons-le encore: le message idéologique
du récit est que: autant le croyant renonce à la satisfaction
de ses désirs égoïstes dans la vie terrestre, autant
il aura des satisfactions dans la vie de l'Au-delà. En d'autres
termes le degré de la satisfaction dans la vie future est proportionnel
au degré du renoncement dans la vie de ce bas-monde. Telle est la
leçon à tirer de ce récit coranique.
Peut-être ce qui renforce cette vérité est-ce le
rappel par lequel le récit a débuté la description
des "Gens de la gauche", après avoir terminé la description
du milieu des "Premiers" et celui des "Gens de la droite".
En effet, le récit commence la description des "Gens de la gauche"
par ce prologue:
«Ils vivaient auparavant dans le luxe».(124)
Or qu'est-ce que le luxe, sinon le sommet de la satisfaction des désirs!
Certes, le récit en parlant par la suite des attitudes des "Gens
de la gauche" fait un lien entre ces attitudes et la négation du
Jour dernier; mais en fait, c'est le luxe dans ce bas-monde qui se trouve
à l'origine de cette négation. Et c'est cela qui explique
pourquoi le concept de "luxe" a constitué le début de la
narration et est venu avant d'évoquer la négation du Jour
dernier par ces "Gens de la gauche".
Par ce procédé romanesque, le récit veut signifier
que le luxe ou la recherche de la satisfaction des désirs se trouve
à l'origine ou derrière toute attitude négative, peu
importe que celle-ci se traduise par la négation du Jour dernier
ou par la préférence donnée aux jouissances de la
vie d'ici-bas.
La personne qui s'abstient de s'engager dans le Jihâd tout en
croyant en sa légitimité, agit ainsi parce qu'elle reste
attachée au luxe de ce bas-monde, avec tout ce que ce luxe comporte
d'attachement à la vie et à ses attraits.
De la même façon, celui qui s'adonne à la duperie,
aux mensonges, à la tromperie, à la calomnie, au dénigrement,
ou qui fait montre de vanité, d'esprit de dominance etc., incarne
sans aucun doute la recherche du luxe de ce monde avec sa jouissance éphémère.
Certes, le plus haut degré du "luxe" demeure incarnée
par la négation du Jour dernier, mais cela ne signifie nullement
que les croyants soient dégagés pour autant de leur responsabilité
lorsqu'ils donnent la priorité au "luxe" de la vie d'ici-bas dans
leurs actes et comportements quotidiens.
Peut-être la différence que le récit a établie
entre les "Premiers" et les "Gens de la droite", en la liant d'abord au
degré de renoncement aux désirs de ce monde, ou au "luxe",
et en la liant par la suite au phénomène de "luxe" par lequel
a débuté le récit des "Gens de la gauche", nous suggère-t-elle,
d'une façon artistique indirecte, la nécessité de
comprendre ce message idéologique: notre renoncement aux désirs,
dans notre conduite terrestre reste le seul critère de la place
qui nous sera réservée dans le Ciel, et c'est le degré
de ce renoncement qui détermine le niveau de l'étage auquel
nous aurons droit dans l'échelle des valeurs célestes.
* * *
Lorsque nous suivons la description du milieu infernal, nous remarquons
que l'enfoncement de ses personnages dans le "luxe" terrestre est symétrique
à leur enfoncement dans le supplice céleste. En effet le
récit commence par l'introduction de toutes les caractéristiques
du contexte ou milieu sensoriel auquel est confronté celui qui s'y
trouve:
«Les compagnons de la gauche! Quels sont donc les compagnons
de la gauche?
»Ils seront exposés à un souffle brûlant,
dans une eau bouillante, sous une ombre de fumée chaude...»(125)
Il y a ainsi trois stimulateurs ou excitateurs: souffle brûlant,
eau bouillante, fumée chaude.
Le sens du toucher qui demeure la matière qui subit le supplice
est associé aux sens de l'ouïe et de la vue, outre le sens
de l'odorat (le souffle et la fumée). Il suffit que la terreur de
la brûlure soit associée à la terreur du souffle brûlant
et à celle de la fumée pour que le supplicié ressente
l'immensité de la terreur que subissent quatre de ses sens: le toucher,
l'odorat, la vue et l'ouïe.
En outre, le cinquième sens, le "goût", a droit à
une séquence particulière que le récit lui consacre,
en s'adressant aux négateurs:
«Vous mangerez les fruits de l'arbre Zaqqoum; vous vous en
emplirez le ventre».(126)
Ceci concernant le manger.
Quant au boire: «vous boirez ensuite de l'eau bouillante; vous
boirez comme des chameaux altérés».(127)
Donc tous les organes des sens qui reçoivent les stimulateurs
et les traduisent en réactions physiques et psychologiques se conjuguent
pour infliger le supplice au supplicié, ce qui révèle
l'étendue de la terreur par opposition à l'étendue
du "luxe", ou l'étendue de la différence entre l'obéissance
et la désobéissance et les degrés qui les séparent
dans la conduite terrestre avec la conséquence de celle-ci sur le
milieu de l'Au-delà.
Sourate (68): Al-Qalam
Le Récit des Gens du Verger
A- La Sourate
10 N'obéis pas à celui qui profère
des serments et qui est vil;
11 au diffamateur qui répand la calomnie;
12 à celui qui interdit le bien; au transgresseur, au pécheur;
13 à celui qui est arrogant et bâtard par surcroît.
14 Ne lui obéis pas même s'il possède des richesses
et de nombreux enfants.
15 IL dit, lorsque nos Versets lui sont lus:
«Voici des histoires racontées par les Anciens!»
6 - Nous lui ferons une marque sur le museau! -
17 Oui, Nous les éprouvons comme Nous avons éprouvé
les propriétaires du Jardin qui avaient juré de faire leur
récolte au matin;
18 mais ils avaient juré sans faire de restriction.
19 Une calamité envoyée par ton Seigneur les surprit
tandis qu'ils dormaient
20 et ce fut au matin, comme si tout avait été rasé.
21 Ils s'interpellèrent alors:
22 «Partez de bonne heure à votre champ, si vous voulez
procéder à la récolte».
23 Ils se mirent en route en causant entre eux à voix basse:
24 «Que nul pauvre n'entre ici aujourd'hui, malgré
vous».
25 Ils partirent donc de bonne heure, décidés à
ne rien donner, bien qu'ils en eussent les moyens.
26 Lorsqu'ils virent ce qui était arrivé, ils dirent:
«Nous sommes sûrement égarés
27 et nous sommes ruinés!»
28 Le plus modéré d'entre eux dit: «Ne vous
avais-je pas avertis? Si seulement vous aviez rendu gloire à Dieu!»
29 Ils dirent: «Gloire à notre Seigneur! Oui, nous
avons été injustes»;
30 et ils se tournaient les uns vers les autres en se faisant mutuellement
des reproches.
31 Ils dirent: «Malheur à nous! Oui, nous avons été
rebelles!
32 Mais il se peut que notre Seigneur nous donne en échange
quelque chose de meilleur que ceci. Nos désirs se portent ardemment
vers notre Seigneur!»
* * *
Cette sourate s'appelle aussi "Sourate Nûn". Elle comprend cinquante-deux
versets.
Dans la première partie de ce chapitre qui décrit les
vilains traits de quelques figures typiques des détracteurs du Prophète
(P), Allah demande à Son Messager de ne pas prêter attention
à ces derniers qui essayaient de le rabaisser et de le faire douter
du sérieux de sa mission, et exalte ses propres mérites et
hautes qualités.
Dans une seconde partie Allah l'informe comment IL les a soumis à
une épreuve (pénurie et famine) semblable à celle
des "Gens du Jardin" dont la Sourate nous relate le récit (que nous
aborderons plus loin).
Dans une troisième partie, Allah tourne en ridicule les mécréants
(qui insinuaient que si le Prophète disait la vérité
et qu'il existait une vie future, ils y seraient mieux lotis que les Musulmans,
comme ils le sont dans ce bas-monde), en informant Son Messager que le
Jour où les Croyants auront pour récompense les doux jardins
du Paradis, un traitement horrible attendra en revanche les polythéistes.
Et dans la dernière partie de la Sourate, Allah dit au Prophète
de ne pas perdre patience ni d'abandonner son peuple - comme l'a fait Jonas
- et d'attendre jusqu'à ce qu'Il décide de la victoire de
ses adeptes et de la défaite de ses contradicteurs.
* * *
Selon Ibn Abî Ka'ab, le Prophète (P) dit: «Quiconque
récite sourate Nûn wal-Qalam Allah lui accorde la récompense
décernée à ceux dont IL a ennobli le caractère».(128)
Selon l'Imâm al-Sâdiq (p): «Quiconque récite
la Sourate Nûn wal-Qalam, lors d'une Prière obligatoire ou
recommandée, Allah lui évitera à jamais la pauvreté
dans sa vie, et la pression de la tombe lorsqu'il mourra».(129)
La Sourate al-Qalam (le Calame) comprend une seule petite nouvelle,
précédée d'une brève allusion à certaines
attitudes des opposants au Message de l'Islam, qu'elle (la Sourate) nous
présente comme suit:
S'adressant au prophète, la sourate dit:
«N'obéis pas à celui qui profère des serments
et qui est vil; au diffamateur qui répand la calomnie...»(130)
Abstraction faite de l'identité des individus vils qui se sont
opposés au Saint Prophète et à son Message, la sourate
a mis en exergue certains de leurs traits: des gens qui profèrent
de faux serments, qui ne dédaignent pas le mensonge, qui blessent
les gens par leurs langues, qui répandent la calomnie et la corruption,
et qui font montre d'avarice envers les pauvres.
Ces traits pervers qui ont marqué les orgueilleux contemporains
du Message de Mohammad (P), ont été repris par la nouvelle
pour les attribuer à ses personnages, visant par là à
adresser un message indirect au lecteur ou à l'auditeur pour qu'il
réforme sa conduite et la discipline.
B- Le Récit
Retraçons maintenant les éléments constitutifs
de la nouvelle (le récit):
«Oui, Nous les éprouvons comme Nous avons éprouvé
les propriétaires du Jardin qui avaient juré de faire leur
récolte au matin;
»Mais ils avaient juré sans dire "si Allah le veut".
»Une calamité envoyée par ton Seigneur les surprit
tandis qu'ils dormaient
»et ce fut au matin, comme si tout avait été
rasé».(131)
Avant de consulter les textes de tafsîr, le lecteur ou
l'auditeur pourrait déduire schématiquement que les contemporains
du Message de l'Islam ont été soumis à une épreuve.
Cette "épreuve" ressemble à une autre épreuve à
laquelle avaient été soumis des gens non identifiés
qui possédaient vraisemblablement une ferme fruitière et
qui avaient juré un jour qu'ils récolteraient les fruits
de leur ferme le lendemain matin, sans assortir leur serment de la réserve
de la Volonté d'Allah, c'est-à-dire sans tenir compte de
la Volonté d'Allah dans la réalisation de leur projet.
Puis un imprévu s'est produit... le Ciel a envoyé sur
le verger une calamité qui l'a rasé complètement et
l'a transformé comme une nuit ténébreuse par sa désolation,
et ce avant même l'arrivée du matin où ils eussent
dû faire la récolte, et alors qu'ils étaient encore
plongés dans leur sommeil.
C'est tout ce qu'on peut comprendre comme péripéties de
la nouvelle qui ne donne pas davantage de détails.
Mais si nous nous référons aux textes de tafsîr,
au prologue de la nouvelle qui fait allusion à «celui qui
profère des serments»(132),
«celui qui interdit le bien»(133),
et que nous relisons par la suite la nouvelle, une diversité de
lumière apparaît, et apporte au récit un éclairage
artistique et idéologique auquel il convient de s'arrêter.
* * *
Selon les textes d'exégèse (tafsîr), il y
avait un verger au Yémen, situé à quelques kilomètres
de Sana'a. Il appartenait à un vieillard pieux qui ne rapportait
rien des fruits de sa propriété avant, d'en donner une partie
en aumône aux pauvres. Puis le vieillard s'éteignit et ses
fils lui succédèrent.
Selon certains textes de tafsîr, les fils du vieillard pensèrent
alors à priver les pauvres des fruits du verger, sous prétexte
qu'ils avaient eux-mêmes une famille nombreuse et qu'ils avaient
par conséquent, plus droit aux produits de leur jardin que ceux
qui avaient l'habitude d'en bénéficier jusqu'alors.
Selon d'autres textes exégétiques, les héritiers
se sont enorgueillis et sont devenus avides lorsqu'ils constatèrent
que leur verger produisait (l'année du décès du vieillard)
beaucoup plus de fruits que du vivant de leur père. Aussi décidèrent-ils
de garder pour eux la totalité de la récolte du verger et
d'en priver les pauvres, en attribuant la générosité
de leur père envers les pauvres à sa "sénilité",
pour se donner bonne conscience.
Ayant pris cette décision, ils ont convenu d'aller le lendemain
matin au verger pour en cueillir la totalité des fruits, faisant
le serment d'exécuter certainement ce plan, sans en faire assortir
la réalisation de la condition de la "Volonté d'Allah". C'est
alors, que le Ciel a fait anéantir le verger tel que nous le raconte
le récit lui-même.
A la lumière de cet éclairage des textes de tafsîr
nous pouvons mieux expliquer les procédés artistiques de
la construction du récit, sur le plan de sa structure: début,
milieu, fin, sur le plan de ses personnages, ses péripéties
et ses situations, et enfin sur le plan de son style: dialogue et narration.
Le premier trait ou procédé artistique de ce récit
est qu'il ne suit pas un tracé linéaire dans le déroulement
des faits. Ainsi, lorsqu'il aborde les personnages, il ne présente
pas tous leurs traits caractéristiques, qu'il divulguera dans la
deuxième partie, à travers le dialogue qui va nous faire
connaître toutes les dimensions de leurs personnalités (et
ce après que le verger aura été anéanti, comme
nous allons le voir plus tard).
En tout état de cause, ce sont la signification idéologique
du récit et les objectifs visés par le texte coranique qui
révèlent l'importance d'une telle structure artistique qui
cherche à susciter la curiosité du lecteur, à le tenir
en haleine et à le surprendre, pour atteindre les objectifs visés.
C'est pourquoi, il est important de nous étendre un peu sur ce sujet.
Il faut tenir compte que lorsque la sourate coranique s'adresse au Prophète
(P) dans ces termes: «N'obéis pas à celui qui profère
des serments et qui est vil; au diffamateur qui répand la calomnie;
à celui qui interdit le bien... »(134),
elle met en évidence, dans un récit réaliste, des
concepts précis à travers lesquels elle veut nous faire comprendre
comment un individu qui jure par Allah, par exemple, sans pour autant,
tenir compte de Sa Volonté, ou comment celui qui interdit le bien
et en prive les pauvres connaîtront des sorts sombres, impitoyables
auxquels ils ne s'attendaient jamais.
Or les péripéties du récit sont venues confirmer
cette vérité avec d'autant plus d'évidence qu'il nous
raconte comment un verger productif qui n'a jamais connu de stérilité,
ni aucune calamité agricole tout au long de la vie du vieillard
est subitement anéanti, et mieux, par une calamité absolument
imprévue, et d'autant plus imprévue que sa production avait
augmenté l'année même de la mort de son propriétaire,
ce qui n'a pas manqué de contribuer à la conviction des héritiers
que leur verger s'acheminait vers le développement et vers une meilleure
santé, sans qu'ils puissent envisager un moment qu'il pourrait disparaître
complètement et soudainement, et non progressivement avec le temps.
Comment peut-il mourir la nuit même où ses nouveaux propriétaires
attendaient le lever du jour du lendemain pour cueillir ses fruits! Oui,
ils «avaient juré de faire leur récolte au matin».(135)
Ainsi, les péripéties du récit veulent nous montrer
la fin noire de «quiconque profère des serments à
la légère», de «quiconque interdit les
bienfaits d'Allah à autrui».
Ce sont là deux modèles d'individus contemporains du Prophète
(P), semblables aux personnages présentés par le récit
coranique.
* * *
La première partie ou séquence du récit des Gens
du Verger traite de l'événement de l'anéantissement
du verger: «une calamité envoyée par ton Seigneur
les surprit tandis qu'ils dormaient, et ce fut, au matin, comme si tout
avait été rasé».(136)
Dans cette séquence, on n'apprend des péripéties
du récit que la transformation du verger, d'un jardin très
productif en un terrain pareil à la nuit dans sa désolation.
Et le seul détail relatif aux attitudes et aux comportements des
propriétaires du verger, évoqué dans cette séquence
est le serment qu'ils ont fait de récolter les fruits de leur verger
le lendemain matin sans tenir compte de la Volonté du Ciel: «Ils
avaient juré de faire leur récolte au matin, mais ils avaient
juré sans faire de restriction».(137)
Pour bien saisir l'aspect de l'art ou de la technique romanesque utilisé
dans cette première partie du récit, remarquons que l'incident
de l'anéantissement du verger n'a pas pris sa place (normale) dans
l'ordre chronologique des péripéties. Il a devancé
son temps chronologique, a enjambé sa phase normale, puis il est
retourné pour prendre sa place dans l'ordre chronologique objectif.
En effet, la première situation ou phase du récit s'annonce
lorsque les propriétaires du verger ont juré de se rendre
le lendemain matin à leur propriété pour en cueillir
tous les fruits, les garder pour eux exclusivement et d'en priver les pauvres.
C'est donc la phase de la prise de la décision.
La seconde phase, c'est la phase de l'exécution de la décision,
c'est-à-dire: aller le lendemain au verger
Mais le récit, avant de nous relater cette phase d'exécution,
a introduit la troisième phase, celle de la descente d'une calamité
céleste qui a rasé complètement le verger.
Et c'est après avoir abordé la péripétie
de l'anéantis-sement du verger que le récit revient pour
présenter la deuxième phase, celle relative à l'exécution
de la décision.
La question qui se pose maintenant est de comprendre pourquoi le récit
a-t-il rompu l'enchaînement chronologique, en relatant la conclusion
ou l'épilogue avant la narration des péripéties qui
précèdent cet épilogue?
La réponse à cette question apparaît lorsque nous
tenons compte que le récit a omis volontiers d'expliquer la raison
qui a conduit les propriétaires à faire le serment de se
rendre le lendemain matin au verger pour en cueillir les fruits, afin de
tenir en haleine le lecteur qui éprouve le désir de connaître
le pourquoi de cette décision, et de l'amener à s'interroger,
pendant un temps: pour quelle raison les propriétaires ont-ils pris
une telle décision? Quels sont les motifs de cette décision?
etc ...
Tel est donc l'un des procédés d' "intéressement
romanesque" qui conduit le lecteur à rechercher la raison, le motif,
et à suivre par conséquent, avec intérêt et
passion les péripéties du récit.
* * *
Le récit ne se contente pas de ce seul procédé
d'intéressement romanesque; il a redoublé l'intérêt
ou la curiosité du lecteur lorsqu'il lui a suggéré
que la prise de la décision susmentionnée (se rendre le lendemain
matin au verger pour en récolter les fruits) est un acte injuste
puisque Dieu l'a sanctionnée impitoyablement par l'envoi, la même
nuit, d'une calamité qui éradiqua le verger, au point qu'il
est devenu pareil à une nuit dans sa dévastation.
La surprise du lecteur face à cette calamité imprévisible
alors qu'il s'attendait à connaître la phase de l'exécution
de la décision prise par les propriétaires, révèle
deux doubles traits artistiques. Le premier est le fait que le récit
va lui révéler que la décision d'aller au verger pour
en cueillir les fruits est une conduite injuste. Le second est que le récit
va redoubler son intérêt pour la découverte des détails
de cette décision et la raison pour laquelle cette décision
est qualifiée d'injuste?!
En outre l'occurrence de la calamité alors que les propriétaires
sont en train de dormir d'une part et qu'ils n'ont pas encore exécuté
leur décision ou projet, d'autre part, constitue un procédé
artistique par lequel le récit coranique cherche à faire
prendre conscience au lecteur que le Ciel est à l'affût de
quiconque se permet une attitude injuste, et qu'IL interviendra avant que
l'injuste ne puisse réaliser ses objectifs malveillants.
Donc il y a plus d'une raison artistique qui explique la rupture de
la chaîne objective du temps (la chaîne chronologique) dans
cette séquence (partie) du récit.
* * *
Passons à la deuxième phase que le récit a enjambée
pour y relever d'autres procédés romanesques ou d'autres
traits de l'art romanesque du Coran.
La première phase ayant été la prise de la décision,
la deuxième est donc son exécution, laquelle est relatée
par le récit comme suit:
«Ils s'interpellèrent alors: "Partez de bonne heure
à votre champ, si vous voulez procéder à la récolte".
»Ils se mirent en route en causant entre eux à voix
basse:
»"Que nul pauvre n'entre ici aujourd'hui, malgré vous".
»Ils partirent donc de bonne heure, décidés à
ne rien donner, bien qu'ils en eussent les moyens».(138)
Telle est donc la phase de l'exécution: une fois le matin levé,
les héritiers se sont interpellés les uns les autres, s'incitant
mutuellement à mettre en application leur projet, demandant les
uns aux autres d'accourir au champ pour y faire la récolte. Et ils
se sont dirigés effectivement vers le verger. Chemin faisant, les
frères dialoguaient entre eux, discutaient en chuchotant, se confiant
à voix basse.
Mais qu'est-ce qu'ils chuchotaient? Le récit nous le fait découvrir
en nous faisant écouter leurs chuchotements: «Que nul pauvre
n'entre ici aujourd'hui».(139)
Cette phrase est la clé qui ouvre au lecteur tous les secrets,
qui l'intriguent. En effet, le lecteur ou l'auditeur qui veut savoir le
pourquoi de la décision d'aller le lendemain matin au verger, et
la raison pour laquelle le Ciel a envoyé une calamité qui
a détruit ce verger, découvre maintenant que tout réside
dans la motivation injuste de cette décision qui vise à "interdire
le bien" et qui montre au lecteur qu'il a affaire à une poignée
d'individus dont l'avidité, l'avarice et l'égoïsme les
ont poussés à vouloir garder uniquement pour eux les bienfaits
d'Allah et d'en priver les pauvres et les miséreux, et à
s'abstenir de nourrir un affamé que leur père avait habitué
à manger des fruits du verger.
* * *
Il convient d'attirer l'attention du lecteur sur l'importance de ce
dialogue collectif, sur un plan purement romanesque, entre les jeunes personnages
avides. En effet, comme on peut le remarquer, le récit ne nous dit
pas au début qu'il y a un groupe d'individus qui avaient pris la
décision de priver les pauvres de leurs subsistances, mais s'est
contenté de nous informer que quelques individus avaient décidé
de se rendre à leur champ un matin et que le Ciel a envoyé
sur ce champ un feu qui l'a ravagé entièrement, tout en omettant
de dévoiler le secret qui a motivé la décision des
jeunes d'aller au verger, et la décision du Ciel de raser ce verger,
pour ne le déceler qu'ultérieurement, suscitant ainsi la
curiosité et l'intérêt du lecteur, lequel de ce fait
brûlait de désir de suivre attentivement toutes les péripéties
du récit.
C'est ce qu'on appelle en terminologie de littérature romanesque
l' "intéressement", doublé des éléments "surprise"
et "atermoiement"artistiques qui servent à susciter l'intérêt
soutenu du lecteur et à tenir ce dernier en haleine.
Mais l'élément "intéressement" ne s'arrête
pas là. Nous allons remarquer, en suivant les différentes
péripéties du récit, davantage d'éléments
d'"intéressement" artistique riches en significations idéologiques
relatives aux bienfaits accordés par Allah à Ses serviteurs,
au fait que le Ciel est à l'affût de quiconque cherche à
interdire le bien, au regret que certains pourraient ressentir à
la suite d'un comporte-ment malveillant, à la possibilité
de se repentir des péchés, ainsi qu'à d'autres significations
que nous mettrons en évidence plus loin.
Lorsque les propriétaires du verger s'y dirigèrent le
matin, confiants qu'ils allaient mettre à exécution leur
projet injuste, projet visant à interdire aux pauvres leur droit
à la récolte, ils furent surpris par un fait inattendu. Ils
ont constaté que leur verger avait été rasé
complètement et rendu pareil à une nuit ténébreuse.
Tout ceci s'est déroulé à travers trois phases:
1- La phase de la prise de la décision;
2- La phase de la destruction du verger;
3- La phase de l'échec du projet de priver les pauvres de leurs
droits.
Puis arrive la quatrième et dernière phase, celle de la
réaction suscitée par le rasage du verger, chez les héritiers
qui y avaient mis de grands espoirs.
Mais quelle a été cette réaction des propriétaires
du verger en le voyant dans cet état de néant? Il paraît
d'après le récit que ces héritiers ont reconnu leur
erreur dans la prise de leur décision. Il paraît également
- et c'est là l'un des traits de cet art romanesque que le récit
nous dévoile dans sa dernière partie - qu'un des héritiers
au moins, "le fils du milieu", celui qui se situe par l'âge, entre
les aînés et les cadets (ou celui qui était le plus
mûr d'entre eux, selon une autre interprétation du sens du
terme arabe utilisé, awsat) n'avait pas été
d'accord avec ses frères sur leur dessein de priver les pauvres
de leurs droits, ni n'avait partagé leur opinion à ce sujet,
ou tout au moins qu'il leur avait demandé d'assortir leur serment
de la condition de la Volonté d'Allah.
Tout ceci, le récit nous le relate à travers un dialogue
collectif auquel il a recouru à dessein.
Il est intéressant maintenant de connaître tout d'abord
les détails des réactions des héritiers et d'analyser,
ensuite, l'importance du procédé romanesque auquel le récit
a recouru pour dévoiler le personnage (le fils du milieu) qui a
mis en garde les propriétaires du verger contre leur mauvaise conduite
ou décision.
* * *
Lisons donc la réaction des héritiers à la vue
du verger brûlé:
«Lorsqu'ils virent ce qui était arrivé, ils dirent:
«Nous sommes sûrement égarés; non nous sommes
privés».(140)
Telle est la première réaction à la vue de la calamité:
ils reconnaissent qu'ils avaient été égarés
lors de la prise de leur décision d'interdire aux pauvres leurs
subsistances, sans même subordonner cette décision à
la Volonté de Dieu.
Mais selon certains exégètes, l'énoncé «nous
sommes égarés» est à prendre ici au sens
propre et non figuré, c'est-à-dire que, les héritiers
n'en croyant pas leurs yeux en voyant le verger ravagé, doutaient
qu'il s'agisse de leur verger et pensaient avoir, peut-être, perdu
leur chemin.
Cependant, malgré ce doute, l'un d'entre eux a rectifié,
comme si, n'étant pas convaincu que le verger brûlé
soit un verger autre que le leur, l'idée de la vengeance divine
lui sauta à l'esprit, en s'écriant: «non, nous sommes
privés» des fruits de ce verger, ayant omis de tenir compte
de la Volonté divine et ayant pensé à interdire aux
pauvres leurs subsistances.
Le texte du récit nous a permis de percevoir nous-mêmes,
nous les lecteurs, les sentiments de ceux qui ont reconnu leur culpabilité
et l'ont avouée de leurs propres bouches, à travers le dialogue
au pluriel, dans cette partie du récit. En fait, cet aveu de culpabilité
joue un rôle important, comme technique romanesque, dans la mesure
où il nous permet de connaître le fond de ce personnage. C'est
ce que nous verrons plus loin.
En outre, le dialogue au pluriel a révélé d'autres
éléments importants en nous faisant découvrir davantage
d'aspects qui nous échappent dans la conduite des personnages.
En effet, le lecteur ou l'auditeur pense de prime abord que tous les
personnages étaient d'accord entre eux sur la décision de
priver les pauvres, ainsi que sur le serment: «ils avaient juré
sans faire de restriction».(141)
Cette pensée (que tous les héritiers, sans exception,
étaient d'accord) ne s'est pas formée fortuitement dans l'esprit
du lecteur.
Ce sont les trois premières parties du récit qui l'ont
suggérée, puisque'elles parlent des "gens du verger" sans
en excepter aucun. Et c'est la quatrième partie du récit
qui nous dévoile un nouveau secret jusqu'alors caché: «Ne
vous avais-je pas avertis: "Si seulement vous aviez rendu gloire à
Dieu».(142)
Donc l'un des héritiers n'était pas content, dès
le départ, de la conduite de ses frères; mieux, il leur a
même conseillé: «Si seulement vous rendiez gloire
à Dieu»; si seulement vous aviez fait restriction; si
seulement vous craigniez Dieu; si seulement vous préleviez de vos
biens le droit des pauvres!.
Evidemment le texte ne mentionne pas tous ces conseils, mais le lecteur
peut les déduire de la parole prononcée par le frère
juste ou modéré: «Si seulement vous rendiez gloire
à Dieu».
Mais plus important de tout ceci est l'effet de surprise que le récit
a créé en gardant un secret tout au long de la narration,
pour le dévoiler soudainement au dernier moment, suscitant ainsi
plus d' "intéressement artistique", lequel constitue l'un des éléments
les plus puissants de l'art ou de la technique romanesque, comme le savent
tous ceux qui sont versés dans ce genre littéraire.
* * *
En tout état de cause, le dialogue entre les héritiers
nous fait connaître d'autres réactions après que le
frère "modéré" leur a rappelé qu'il les avait
bien conseillés dès le départ: «Gloire à
notre Seigneur! Oui, nous avons été injustes».(143)
Cette réaction indique que les héritiers avaient gardé
au fond d'eux-mêmes un peu de pureté, puisqu'ils n'ont pas
hésité à reconnaître leurs torts, en réalisant
tout d'abord qu'ils étaient privés des fruits de leur verger
à cause de leur malveillance et leur avidité en voulant priver
les pauvres de ces fruits, en admettant de nouveau qu'ils étaient
injustes ensuite, en se blâmant en troisième lieu, les uns
les autres de leurs comportements: «et ils se tournaient les uns
vers les autres en se faisant mutuellement des reproches»,(144)et
enfin en se lamentant sur leur attitude passée:
«Ils dirent: "Malheur à nous! Oui, nous avons été
rebelles!».(145)
Ces différentes réactions indiquent que ces gens n'étaient
pas des personnes au coeur endurci et insensible aux leçons et aux
expériences. C'est pourquoi leur attitude fut couronnée par
la repentance doublée de l'espoir que Dieu les compensera par un
nouveau verger meilleur que celui qui a été rasé:
«Il se peut que notre Seigneur nous donne en échange quelque
chose de meilleur que ceci. Nos désirs se portent ardemment vers
notre Seigneur».(146)
Ainsi, le récit se termine par un épilogue qui parle de
la repentance et des larges perspectives qu'elle offre au repentant, repentance
à laquelle Dieu nous invite si souvent et nous appelle à
la demander avant qu'il ne soit trop tard. C'est cette repentance qui nous
apprend que la Miséricorde d'Allah n'a pas de limite, Miséricorde
qui a conduit les héritiers malveillants non seulement à
regretter leur mauvaise conduite et à s'en excuser, mais aussi à
réclamer à Allah de compenser leur perte par un meilleur
verger. Allah, IL est Glorieux et Très-Haut, accepte le peu (de
repentir que Ses serviteurs montrent) et pardonne beaucoup (de péchés
qu'ils commettent).
IL nous fait sentir dans ce récit où IL fait exprimer
aux personnages fautifs le désir de Le voir suppléer leur
verger ravagé, par un meilleur, les immenses effets bénéfiques
de la "repentance".
IL nous fait réaliser que Ses serviteurs sont exaucés
dans leur désir de se voir accorder davantage de bienfaits divins,
bien qu'ils aient commis des péchés contre lesquels ils avaient
été mis en garde, mais à condition, bien entendu,
que leur repentance soit sincère, définitive et sans velléité
aucune de récidive.
Tel est donc le message du récit des "Gens du Verger", à
nous les lecteurs et à tous les serviteurs.
Sourate (71): Noé
Le Récit de Noé
A- La Sourate
1 Oui, Nous avons envoyé Noé à
son peuple:
«Avertis ton peuple avant qu'un douloureux châtiment
ne l'atteigne!»
2 Il dit: «Ô mon peuple! Je suis pour vous
un avertisseur explicite.
3 Adorez Dieu! Craignez-Le! Obéissez-moi!
4 IL vous pardonnera vos péchés; IL vous
accordera un délai jusqu'à un terme fixé;
mais quand vient le terme fixé par Dieu, il ne peut être
différé.
- Si vous saviez!» -
5 Il dit: «Mon Seigneur! J'ai appelé mon
peuple nuit et jour
6 et mon appel n'a fait qu'augmenter son éloignement.
7 Chaque fois que je les ai appelés pour que Tu
leur pardonnes,
ils ont mis leurs doigts dans leurs oreilles; ils se sont enveloppés
dans leurs vêtements; ils se sont montrés orgueilleux.
8 Je les ai ensuite appelés à haute voix;
9 j'ai fait des proclamations et je leur ai parlé
en secret.
10 J'ai dit: "Implorez le pardon de votre Seigneur; IL
est Celui qui ne cesse de Pardonner;
11 IL vous enverra, du ciel, une pluie abondante;
12 IL accroîtra vos richesses et le nombre de vos
enfants;
IL mettra à votre disposition des Jardins et des ruisseaux.
13 Pourquoi n'attendez-vous pas de Dieu un comportement
digne de Lui
14 alors qu'IL vous a créés par phases successives?
15 N'avez-vous pas vu comment Dieu a créé
sept cieux superposés?
16 IL y a placé la lune comme une lumière;
IL y a placé le soleil comme une lampe.
17 Dieu vous a fait croître de la terre comme les
plantes
18 puis IL vous y renverra et IL vous en fera ensuite
surgir soudainement.
19 Dieu a établi pour vous la terre comme un tapis
20 afin que vous suiviez des voies spacieuses"».
21 Noé dit: «Mon Seigneur! Ils m'ont désobéi;
ils ont suivi celui dont les richesses et les enfants n'ont fait
qu'accroître la perte».
22 Ils ont tramé une immense ruse
23 et ils ont dit: «N'abandonnez jamais vos divinités:
n'abandonnez ni Wadd, ni Souwa', ni Yaghout, ni Ya'ouq, ni Nasr!»
24 Ceux-ci ont pourtant égaré un grand nombre
d'hommes.
Tu ne fais qu'accroître l'égarement des injustes.
25 Ils furent engloutis et introduits dans un Feu, à
cause de leurs fautes.
Ils ne trouvèrent aucun protecteur en dehors de Dieu.
26 Noé dit: «Mon Seigneur!
Ne laisse sur la terre aucun habitant qui soit au nombre des incrédules.
27 Si Tu les épargnais, ils égareraient
Tes serviteurs et ils n'engendreraient que des pervers absolument incrédules.
28 Mon Seigneur! Pardonne-moi ainsi qu'à mes parents;
à celui qui entre dans ma maison en tant que croyant; aux croyants
et aux croyantes. Augmente seulement la perdition des injustes!»
* * *
La Sourate Nouh (Noé), tire son titre du Prophète du même
nom à qui elle est entièrement consacrée. Cependant
cette sourate ne relate qu'un bref extrait de la Mission de ce grand Messager
considéré comme le premier des cinq "Apôtres doués
de constance" (ulû-l-'azm)(147),
alors que d'autres Sourates telles que "Al-Chu'arâ' (Les Poètes)",
"Al-A'râf", "Al-Anbiyâ' (Les Prophètes)" et surtout
la Sourate Hûd traitent d'une façon beaucoup plus détaillée,
d'autres tranches de sa riche biographie.
La brève séquence de la Mission de Noé abordée
dans cette sourate montre avec quelle persistance celui-ci a appelé
son peuple à l'Unicité, épuisant tous les arguments
irréfutables pour le ramener à la raison, et comment ce peuple
hautain et réfractaire à la Vérité fit preuve
d'aveuglement en refusant obstinément d'entendre raison, aveuglement
et refus qui l'ont conduit subséquemment à l'anéantissement.
Compte tenu que cette sourate a été révélée
à la Mecque à un moment où le Prophète de l'Islam
(P) et le petit nombre de ses disciples vivaient dans des circonstances
similaires à celles qui avaient prévalu à l'époque
de Noé (P) et ses adeptes, elle présentait aux premiers (les
Musulmans) une bonne matière de réflexion et leur permettait
de tirer beaucoup de leçons dont:
1- Recourir aux raisonnements et aux arguments logiques pour amener
les gens à l'Islam.
2- Faire montre de compassion envers les gens à qui l'appel est
adressé et leur faire comprendre que cet appel a pour but leur propre
salut.
3- Persister sur cette voie et ne jamais désespérer ni
baisser les bras quand bien même les polythéistes se montrent
peu enclins à entendre la voix de la raison.
4- Alterner la carotte et le bâton pour la persuasion, c'est-à-dire
tantôt avertir les récalcitrants du sort horrible qui les
attendrait s'ils continuaient leur cheminement sur la mauvaise voie, tantôt
leur faire miroiter la délivrance et la félicité auxquelles
ils sont promis s'ils acceptaient de sortir du mauvais chemin.
5- Les derniers versets de cette sourate mettent en garde les polythéistes
rebelles et entêtés contre le châtiment terrible qu'ils
subiront, s'ils continuaient dans leur rébellion.
6- Enfin cette sourate servait à rassurer le Noble Prophète
et les premiers Musulmans, ainsi que tous les croyants qui se trouveraient
dans la même situation difficile qu'Allah veille sur eux et qu'ils
doivent faire preuve d'une grande patience et poursuivre leur oeuvre lors
même qu'ils ne voient pas le bout du tunnel dans leur longue marche.
En bref, la "Sourate de Noé" ébauche les grandes lignes
de la lutte permanente entre les Gens de la Vérité et les
Gens du Faux et dessine pour les premiers la voie qu'ils devraient suivre
pour atteindre leur sain objectif.
* * *
Notons enfin qu'il est très recommandé de réciter
cette sourate, car le Prophète (P) dit: «Quiconque récite
la Sourate Nouh fera partie des croyants sauvés par l'Arche de Noé».
Quant à l'Imâm al-Sâdiq (p), il dit à ce propos:
«Celui qui croit en Allah et au Jour Dernier, et récite le
Coran, qu'il ne manque jamais la récitation de la Sourate de Noé,
car tout croyant qui la récite pour l'amour d'Allah et avec patience
pendant une prière obligatoire ou recommandée, Allah le fera
habiter dans les demeures des vertueux et lui réservera trois Jardins».(148)
B- Récit
Le récit commence ainsi:
«Nous avons envoyé Noé à son peuple: "Avertis
ton peuple avant qu'un douloureux châtiment ne l'atteigne!"»(149)
Cette introduction romanesque ou ce prologue nous suggère que
les péripéties et situations du récit s'articulent
autour d'un avertissement direct et d'un châtiment imminent au cas
où l'avertissement serait sans effet.
Et lorsque nous lisons tout le récit (lequel couvre la totalité
de la sourate qui lui est entièrement consacrée), qui regorge
de situations passionnantes, nous constaterons qu'il se termine par l'exécution
du châtiment qui a balayé et éradiqué le peuple
incriminé.
Toutefois, le lecteur hésiterait, à ce stade, à
déduire, sur un plan purement romanesque, cette conclusion tranchante
avant d'avoir terminé la lecture du récit.
Cette hésitation tient sans aucun doute à la technique
romanesque utilisée dans ce récit, car celui-ci ne débute
qu'au milieu de péripéties ambiguës dont le lecteur
ne connaît aucun détail. Autrement dit le récit commence
avec "un avertissement" qui devrait être précédé
forcément de péripéties qui le justifieraient, péripéties
d'une telle gravité qu'elles requièrent la menace d'un "châtiment
douloureux" brandi par le Ciel de cette façon remarquable.
En d'autres termes, la première question que se poserait le lecteur
après avoir lu ce prologue est de savoir ce que le peuple de Noé
a commis pour avoir droit à un tel avertissement? Et c'est sans
doute la première chose qu'il chercherait à connaître
dans la suite du récit
Donc ce début romanesque, «Nous avons envoyé
Noé à son peuple: "Avant qu'un douloureux châtiment
ne l'atteigne"» implique, sur le plan de la forme architecturale
du récit, l'existence de péripéties qui précèdent
l'avertissement, une mise en garde effective que Noé lancera, et
l'attente d'un châtiment qui emporterait le peuple fautif au cas
où il s'obstinait dans l'erreur.
* * *
Maintenant que fera Noé vis-à-vis de son peuple après
avoir reçu l'ordre du Ciel de lancer à ce dernier une mise
en garde? Noé a averti les siens ainsi:
«Ô mon peuple! Je suis pour vous un avertisseur explicite.
»Adorez Dieu! Craignez -Le! Obéissez-moi!».(150)
Cet avertissement décèle certains faits précédents,
ramenant le lecteur au début de la situation.
Mais alors! Quel type d'exigence l'avertissement a-t-il formulé?
C'est l' "adoration d'Allah" et l' "obéissance à Noé"
en ce qui concerne son appel à l'adoration d'Allah.
De là, nous déduisons que le peuple en cause adorait quelqu'un
d'autre qu'Allah, et était en situation de refus de l'adoration
du Créateur. On doit inférer également que ce refus
ou cette rébellion avait revêtu une forme particulière
qui commanda un avertissement d'une telle sévérité.
Mais le Ciel, toujours Compatissant envers Ses serviteurs leur laisse
des occasions diverses pour qu'ils se ressaisissent et retournent à
la raison. Ainsi, IL leur promet d'abord de leur pardonner et d'oublier
leurs erreurs passées. IL leur promet ensuite qu'il ajournera sine
die tout châtiment qu'ils auraient mérité. IL leur
fait comprendre, enfin, que le châtiment mis en sursis sera appliqué
irrévocablement au cas où ils n'en tiendraient pas compte.
Tout ceci est exposé dans la réplique suivante de Noé:
«IL vous pardonnera vos péchés; IL vous accordera
un délai jusqu'à un terme fixé par Dieu, mais quand
vient le terme fixé par Dieu, il ne peut être différé.
Si vous saviez!».(151)
La question qui se soulève dans l'esprit du lecteur maintenant
est: Noé ayant commencé par exécuter effectivement
les ordres du Ciel en disant clairement à son peuple: «Je
suis pour vous un avertisseur explicite», en lui faisant miroiter
le pardon du Ciel: «Il vous accordera un délai jusqu'à
un terme fixé», et en brandissant la menace de l'irrévocabilité
du châtiment en sursis: «mais quand vient le terme fixé
par Dieu, il ne peut être différé», quelle
est l'efficacité de son avertissement? Le peuple de Noé a-t-il
répondu à son appel et s'est-il orienté vers l'adoration
d'Allah?
Le seconde partie du récit répondra en détail à
cette interrogation.
* * *
Il apparaît que lorsque Noé (P) s'est conformé aux
ordres du Ciel et a lancé un avertissement à son peuple,
il n'a eu comme réaction qu'une fin de non recevoir. Il apparaît
aussi qu'il a dû connaître tellement de déconvenues
qu'il ne lui restait qu'à s'adresser au Ciel pour se plaindre des
réactions négatives suscitées par son Appel à
l'adoration d'Allah.
En effet, Noé s'est écrié amèrement en s'adressant
à Allah:
«Mon Seigneur! J'ai appelé mon peuple nuit et jour.
»Et mon appel n'a fait qu'augmenter son éloignement».(152)
Ce dialogue unilatéral avec le Ciel dénote le sentiment
d'amertume qu'éprouvait Noé lorsqu'il invitait son peuple
à Allah. Il peinait jour et nuit pour propager le Message du Ciel,
consacrant la totalité de son temps à cette tâche.
Mais les gens étaient tellement fermés à son appel
que celui-ci n'a fait qu'augmenter l'éloignement de son peuple.
De là, nous comprenons le pourquoi de l'"avertissement" et du
"châtiment douloureux" que cet avertissement a brandi. Car on a affaire
à un peuple que l'Appel à Allah n'a fait que l'en éloigner
encore davantage (d'Allah).
Ces gens avaient été tellement embobinés et aveuglés
par Satan et avaient repoussé Noé si farouchement qu'il s'en
est plaint auprès d'Allah dans les termes suivants:
«Chaque fois que je les ai appelés pour que Tu leur
pardonnes, ils ont mis leurs doigts dans leurs oreilles; ils se sont enveloppés
dans leurs vêtements; ils se sont obstinés; ils se sont montrés
extrêmement orgueilleux».(153)
Cette figure: «leurs doigts dans leurs oreilles»
et cette autre figure: «se sont enveloppés dans leurs vêtements»,
conjuguées avec l' "obstination" et l' "orgueil" pour représenter
les quatre niveaux de comportement ou les quatre réactions de la
part de ces gens à la demande de pardon faite par Noé en
leur faveur, nous montrent clairement que les orgueilleux ont atteint un
tel degré d'orgueil qu'il n'est plus possible de s'attendre à
ce qu'ils puissent entendre raison.
* * *
Arrêtons-nous un instant aux deux figures précitées:
«ils ont mis leurs doigts dans leurs oreilles», et «ils
se sont enveloppés dans leurs vêtements» pour mieux
saisir combien elles sont révélatrices de la personnalité
des orgueilleux.
Si ces gens orgueilleux et imbus de leurs idées reçues,
s'étaient contentés de refuser le message de Noé (P),
on aurait pu dire que leur refus tient tout simplement à l'étroitesse
de leur esprit. Mais voilà. Il ne s'agissait pas d'un simple refus.
Leur attitude a pris la forme d'un comportement enfantin presque pitoyable,
lorsqu'ils ont «mis leurs doigts dans leurs oreilles».
Cette figure ou cette image laisse voir que les orgueilleux ont refusé
même d'écouter la voix de Noé (P), et d'entendre même
la "demande de Pardon". Leur perversité a atteint un tel degré
qu'il est permis de conclure qu'ils portent au fond d'eux-mêmes une
haine noire envers les voix de la piété.
Les malades psychiques ou les pervers diffèrent les uns des autres
dans le degré de la dépravation dont ils sont atteints. Un
pervers, pourrait éprouver de la haine pour sa propre personne,
pour les autres et pour les valeurs de piété, mais il se
contente d'emmagasiner cette haine sans la refléter sur son comportement
extérieur ou sans l'extérioriser à travers une parole
ou un geste. Il l'intériorise quitte à en endurer les flammes.
Mais lorsque sa perversité déborde de l'intérieur
et s'extériorise, cela signifie qu'elle a atteint un stade dangereux.
Si cette extériorisation se limite à la parole, elle indique
un certain degré de la perversité. Mais si elle se reflète
sur les gestes ou le mouvement, par exemple, lorsqu'on met les doigts dans
les oreilles, en signe de refus de l'écoute d'un conseil, là,
la maladie ou la perversité aura atteint son paroxysme, et suscite
un sentiment de pitié.
Les orgueilleux du peuple de Noé (P) ont dévoilé
le zénith de la perversité intérieure dont ils souffraient,
lorsqu'ils ont traduit en acte la haine qu'ils intériorisaient,
en fermant leurs oreilles avec leurs doigts, en guise de refus enfantin
de l'appel au bien que Noé leur a adressé.
C'est un fait établi dans le domaine psycho-pathologique que
le retour au comportement infantile indique clairement le haut degré
de la maladie dont souffre le sujet. Ce stade de maladie se traduit par
l'incapacité du sujet à l'adaptation, une crise intérieure,
la perte de tout moyen de soulagement de son état dépressif,
ce qui l'accule au retour à des comportements auxquels il était
habitué dans son enfance, lorsqu'il protestait contre la non-satisfaction
de ses besoins par toutes sortes de gestes et de comportements susceptibles
d'attirer l'attention ou la pitié des adultes; tout ceci en raison
de son immaturité.
On dirait donc que les orgueilleux, en posant leurs doigts dans leurs
oreilles, par réaction à l'appel au message du Ciel lancé
par Noé (P) et à la demande de pardon faite en leur faveur,
ont fait un retour au stade infantile pour soulager leurs dépressions
et leurs conflits intérieurs, exprimant ainsi leur incapacité
totale à s'adapter à la situation et à la traiter
avec discernement.
Mais il y a un autre indice de "retour en enfance" qui est encore plus
symptomatique de cet état pathologique du peuple de Noé,
à savoir l'enveloppement de leurs visages avec leurs vêtements
pour éviter de voir leur interlocuteur en train de les appeler à
Allah et d'implorer pour eux Son Pardon.
Le lecteur peut s'imaginer une scène dans laquelle un sujet atteint
de cet état morbide, avec lequel on discute sur une question idéologique
ou intellectuelle, et où il couvre subitement son visage avec son
vêtement pour ne pas voir son interlocuteur qui ne fait que discuter.
Ceci ne pourrait se produire qu'avec de petits enfants dépouillés
de toute éducation sociale, et atteints d'un tel degré de
perversité qu'il est nécessaire de les isoler et de les placer
dans un établissement pour inadaptés sociaux.
Et lorsque nous transposons cette scène chez des adultes, nous
pouvons déduire qu'ils ont atteint le zénith du retour au
stade infantile, un stade dans lequel ils sont incapables même de
regarder en face quelqu'un leur demander gentiment de se ressaisir et implorer
pour eux le pardon.
S'ils s'étaient contentés de détourner le visage
ou de se détourner pour éviter de le voir ou d'être
vus par lui, leur état pervers aurait été moins grave.
Mais le fait qu'ils aient recouru à l'enveloppement de leurs visages
avec leurs vêtements, indique qu'ils ont été atteints
du plus haut degré du "retour en enfance".
Ainsi, le texte romanesque dépeint les orgueilleux comme formant
une poignée de dépravés, à travers deux figures:
«les doigts mis dans les oreilles» et «le visage
enveloppé par les vêtements».
Mais le récit ne se contente pas de ces deux images, il les a
renforcées avec d'autres manifestations intérieures de la
maladie d'orgueil: «Ils se sont obstinés», «ils
se sont montrés extrêmement orgueilleux».
Il va de soi que l'entêtement et l'obstination représentent
un aspect criard des tensions du pervers. Quant à l'orgueil, il
est inutile de le commenter, car sa place dans la perversité est
évidente.
En tout état de cause, lorsque le récit a fait suivre
les deux images extérieures (du comportement des orgueilleux) d'une
description intérieure des sentiments de ces orgueilleux, notamment
en employant l'adjectif substantivé "orgueilleux" au superlatif
"extrêmement", il visait à montrer la symétrie entre
la description intérieure du peuple de Noé et la description
extérieure de leur attitude, la symétrie entre l' "obstination"
et l' "orgueil" d'une part, et «les doigts mis dans les oreilles»
et «l'enveloppement des visages avec les vêtements»
d'autre part.
* * *
Le lecteur pourrait s'attendre que le récit se termine par la
description réaliste qu'il a faite du peuple de Noé, et qu'il
n'en reste que l'occurrence du châtiment promis par Noé (P),
étant donné que les "orgueilleux" se sont montrés
tellement irrécupérables, irréductibles, intraitables
et obstinés qu' «ils ont mis leurs doigts dans leurs oreilles»
et qu' «ils se sont enveloppés dans leurs vêtements»
par aversion pour la vérité.
Mais, le récit ne se termine pas là, voulant sans doute
mieux nous faire saisir l'étendue de la Miséricorde d'Allah
et la patience inimaginable de Son Messager, car voilà que Noé
poursuivant ses complaintes auprès du Seigneur contre ces "orgueilleux",
continue de relater ses déboires:
«Je les ai ensuite appelés à haute voix,
»j'ai fait des proclamations et je leur ai parlé en
secret absolu.
»Je (leur) ai dit: "Implorez le pardon de votre Seigneur; IL
est Celui qui ne cesse de pardonner».(154)
Il est à noter que Noé (P) a employé deux fois
la forme extrême, absolue ou superlative: une fois dans «en
secret absolu» (asrartu lahum isrâran) et une fois,
comme nous l'avons vu dans «extrêmement orgueilleux»
(istakbarû istikbâran).
L'emploi de cette forme montre que l'appel de Noé (P) a requis
tellement d'effort, d'assiduité et d'insistance, qu'il était
inutile de continuer. Et de l'autre côté, l'obstination du
peuple de Noé a atteint un tel degré qu'il n'était
plus possible d'espérer qu'il pourrait infléchir. En d'autres
termes, Noé a épuisé tout ce qu'il fallait pour ramener
son peuple à la raison, et celui-ci a tout fait pour refuser l'appel
de Noé. Il y a donc symétrie opposée entre la persistance
de Noé à demander le pardon à son peuple, et la persistance
de celui-ci dans son refus de cette demande pieuse.
On peut remarquer la persistance de Noé (P) dans cette parole
«j'ai appelé mon peuple nuit et jour» et dans
celle-ci
«j'ai fait des proclamations (publiques) et je leur ai
parlé en secret absolu».
Ainsi il n'y a pas un moyen auquel il n'ait pas recouru en épuisant
toutes ses ressources. Il appelait son peuple pendant le jour à
demander pardon; il le faisait également pendant la nuit. Il lui
lançait cet appel publiquement; et il le répétait
discrètement. Mieux, il a déployé tous les efforts
possibles pour les conseiller en secret, puisqu'il dit: «Je leur
ai parlé en secret absolu», dans l'espoir de pouvoir les
amener à accepter le conseil, loin du climat de suivisme, d'imitation
et de crainte des autres. Car il est possible par exemple, que certains
orgueilleux, refusent, par souci de suivisme et sous l'effet de la "suggestion
collective", de répondre à un appel au bien, mais que lorsqu'ils
se trouvent soustraits à de telles influences, ils pourraient faire
preuve d'un esprit de discernement et de penser uniquement en termes d'objectivité.
Toutefois, Noé ne s'est pas satisfait de ces tentatives, il a
multiplié les moyens de persuasion pour convaincre son peuple et
le faire entendre raison, en lui rappelant les bienfaits d'Allah et en
lui expliquant que s'il demande pardon à Allah, IL le lui accorde
et de plus:
«IL vous enverra, du Ciel, une pluie abondante;
»IL accroîtra vos richesses et le nombre de vos enfants;
IL mettra à votre disposition des jardins et des ruisseaux».(155)
En continuant à se plaindre de l'attitude de son peuple, Noé
explique qu'il a tout d'abord fait miroiter la "récompense future"
pour l'amener à avoir foi en Allah, en invoquant à plusieurs
reprises le Pardon d'Allah: «Chaque fois que je les ai appelés
pour que Tu leur pardonnes», «Implorez le Pardon de
votre Seigneur; IL est Celui qui ne cesse de pardonner». Il a
ensuite essayé de les intéresser à des récompenses
immédiates: pluies, biens, enfants, jardins, fleuves, etc.
Donc, Noé aura évoqué toutes les sortes de récompenses,
y compris la satisfaction des besoins essentiels et secondaires, dans l'espoir
de conduire son peuple sur le droit chemin. Car chez les humains, la "récompense",
aussi bien que le "châtiment" pourraient constituer un stimulus à
une réaction ou à une réponse positive, de même
que la vérité objective, non associée ni à
l'un (récompense) ni à l'autre (châtiment), pourrait
l'être.
Noé a recouru jusqu'ici à l'un de ces trois procédés
pour arracher une réponse positive à son peuple, puisqu'il
a évoqué la récompense immédiate (dans ce bas-monde)
et la récompense future (dans l'autre monde), et après avoir
brandi la menace du châtiment (le deuxième procédé)
toujours sans résultat, il a fait appel enfin au troisième
procédé, à savoir l'explication des vérités
d'une façon objective, dans l'espoir que cette méthode -
qui traite des vérités vécues concrètement
par l'homme - sera à même de conduire son peuple à
adhérer au message du Ciel.
Il dit à son peuple: «Pourquoi n'attendez-vous pas de
Dieu un comportement digne de Lui,
»alors qu'IL vous a créés par phases successives».(156)
Il a demandé à son peuple de glorifier Allah et de voir
Sa Grandeur en lui rappelant des faits vécus par les gens eux-mêmes,
et en tête desquels: la création même de l'homme, lequel
a été créé par Allah par phases successives:
goutte de sperme, caillot de sang, masse flasque, os, chair ... jusqu'à
la forme finale.
Et après leur avoir remis dans la mémoire, la vérité
la plus familière à leurs esprits, et la plus proche de leurs
connaissances, à savoir l'homme lui-même, il a passé
à la création du Ciel (dont la lune et le Soleil), vérité
qui occupe toute la portée de leur vue.
«N'avez-vous pas vu comment Dieu a créé sept
Cieux superposés?
»IL a placé la lune comme une lumière; IL y a
placé le Soleil comme une lampe».(157)
Puis il leur a rappelé la création de la terre en attirant
leur attention sur les bienfaits qu'ils en tirent quotidiennement, et ce
après avoir évoqué la naissance de l'Homme de la terre
elle-même:
«Dieu vous a fait croître de la terre comme les plantes,
»puis IL vous y renverra, et IL vous en fera surgir soudainement».(158)
Après ce rappel (dont nous expliquerons la fonction technique
dans le récit plus loin), il a attiré leur attention sur
les dons de la terre elle-même:
«Dieu a établi pour vous la terre comme un tapis
»afin que vous suiviez des voies spacieuses».(159)
Par ce rappel de la création du Ciel (et de ses bienfaits pour
l'homme), des sept Ciels et de la terre, Noé clôt l'exposition
du troisième procédé qu'il avait suivi dans ses tentatives
vaines de ramener son peuple à Allah, procédé consistant
à projeter la lumière sur les vérités objectives
que l'homme vit quotidiennement.
Avec ce troisième procédé, Noé aura épuisé
les trois moyens possibles de persuasion: le "bâton", la "carotte"
et le "raisonnement", sans réussir apparemment à convaincre
son peuple.
* * *
Avant de poursuivre le reste des péripéties du récit,
il est important de nous étendre sur certains traits de la technique
romanesque que décèle sa trame.
Il est notable qu'au cours de sa narration de la création du
Ciel, de la terre et de l'homme, Noé (P) a mis l'accent sur le phénomène
de la naissance de l'humanité: «Dieu vous a fait croître
de la terre comme les plantes»(160),
puis sur le thème de la mortalité de l'homme: «Puis,
IL vous y renverra»(161) et
enfin, sur l'évocation du Jour de la Résurrection: «et
IL vous en fera ensuite surgir soudainement».(162)
Le récit a abordé cette vérité relative
à la naissance de l'homme, à sa mort et à sa résurrection
dans le contexte des expériences familières de l'homme, telle
que: sa constatation du processus de sa constitution qui commence par "une
goutte de sperme" et se termine par la "forme finale", sa vision du Ciel,
de la lune et du Soleil.
Il ne fait pas de doute que lorsque l'approche de ces vérités
"invisibles" relatives à la naissance et à la résurrection
de l'homme, est associée à des vérités "visibles",
elle concourt à produire l'effet escompté que nous avons
souligné plus haut.
L'autre trait de la technique romanesque qu'il est important de signaler
réside en ceci que le récit ne présente pas ces vérités
par le procédé de "narration" (c'est-à-dire la parole
du Ciel), mais à travers un dialogue, le dialogue de Noé
avec son peuple.
Mieux, même ce dialogue de Noé avec son peuple, le récit
ne l'a pas transcrit directement, mais à travers la plainte de Noé
contre son peuple, adressée au Ciel. En d'autres termes, Noé
s'adresse à Allah et il Lui raconte qu'il a parlé avec son
peuple de cette manière et de cette autre. Autrement dit, c'est
Noé lui-même qui transmettait à Allah son histoire
(récit) avec son peuple, et c'est le récit coranique qui
nous transmet à son tour le récit (l'histoire) de Noé
tel qu'il l'avait transmis au Ciel.
Nous nous devons de méditer donc sur ce procédé
romanesque réjouissant et original dans sa façon de solliciter
la réceptivité du lecteur au message que le récit
vise à lui transmettre.
Ainsi, Noé est un narrateur qui raconte au Ciel son histoire
avec son peuple: «Il dit: "Mon Seigneur! J'ai appelé mon
peuple nuit et jour"; je (leur) ai dit: "Implorez le pardon de votre Seigneur;
IL est Celui qui ne cesse de pardonner», et le récit coranique
devient à son tour un narrateur qui nous raconte l'histoire de Noé
telle qu'il l'a relatée au Ciel ... et ainsi de suite.
Donc nous sommes devant une structure romanesque qui recourt à
un procédé littéraire très plaisant lorsqu'il
nous invite, nous les récepteurs, à découvrir la méthode
de Noé (P) de transmettre son message, en permettant de voir les
plus petits détails de sa conduite et de son comportement, détails
décrits directement par lui-même, et non relatés par
quelqu'un d'autre. Procédé vivant qui stimule la réceptivité
du lecteur ou de l'auditeur et le tient en haleine.
Revenons à présent aux péripéties du récit
et à leur suite. Après avoir expliqué qu'il avait
épuisé vainement trois procédés de persuasion
(bâton, carotte et raisonnement) pour ramener son peuple vers le
Ciel, Noé continue sa plainte auprès d'Allah contre la rébellion,
l'ignorance, la ruse et le polythéisme de ces gens "orgueilleux".
«Noé dit: "Mon Seigneur! Ils m'ont désobéi;
ils ont suivi celui dont les richesses et les enfants n'ont fait qu'accroître
la perte".
»Ils ont tramé une immense ruse et ils ont dit: "N'abandonnez
jamais vos divinités; n'abandonnez ni Wadd, ni Souwâ', ni
Yaghout, ni Ya'ouq, ni Naçr".
»Ceux-ci ont pourtant égaré un grand nombre d'hommes».(163)
Là se termine l'histoire de Noé avec son peuple, racontée
à travers la plainte qu'il a adressée au Ciel.
Après quoi, le récit emprunte un autre tournant, menant
vers la conclusion de la situation et la demande de l'anéantissement
des orgueilleux, comme nous le verrons ailleurs.
Mais avant de clore ce chapitre, il est instructif de revenir un instant
sur les détails relatifs à la dernière séquence
de ses complaintes à propos de la rébellion, l'ignorance
et la ruse de son peuple et de sa persistance dans le polythéisme.
En effet, c'est après avoir énuméré au Ciel
tous ses efforts en vue de faire entendre raison à son peuple ingrat,
que Noé a dit: «Mon Seigneur! Ils m'ont désobéi»,
ce qui signifie que les trois procédés qu'il avait suivis
s'étaient avérés infructueux. Et là, Noé
(P) tient à présenter d'autres réactions négatives
de son peuple à son appel pieux, comme s'il voulait mieux montrer
qu'il n'y avait vraiment plus rien à faire avec ce peuple désespérément
irrécupérable. Et comme nous l'avons vu, ces réactions
sont variées: «Ils ont suivi celui dont les richesses et
les enfants n'ont fait qu'accroître la perte»(164),
«ils ont tramé une grande ruse»(165)
et «ils ont dit (aux autres): N'abandonnez jamais vos divinités...»(166)
etc.
Sourate (72): Al-Djinn
Le Récit de l'Islam des Djinns
A- La Sourate
1 Dis: «IL m'a été
révélé qu'un groupe de Djinns écoutaient; ils
dirent ensuite: "Oui, nous avons entendu un Coran merveilleux!
2 il guide vers la voie droite;
nous y avons cru et nous n'associerons jamais personne à notre Seigneur"».
3 Notre Seigneur, en vérité,
- que Sa grandeur soit exaltée - ne s'est donné ni compagne,
ni enfant!
4 Celui qui, parmi nous, est insensé
disait des extravagances au sujet de Dieu.
5 Nous pensions que ni les hommes,
ni les Djinns ne proféraient un mensonge contre Dieu,
6 mais il y avait des mâles
parmi les humains qui cherchaient la protection des mâles parmi les
Djinns, et ceux-ci augmentaient la folie des hommes;
7 ils pensaient alors, comme vous,
que Dieu ne ressusciterait jamais personne.
8 «Nous avions frôlé
le ciel et nous l'avions trouvé rempli de gardiens redoutables et
de dards flamboyants.
9 Nous étions assis sur
des sièges pour écouter; mais uiconque écoute rencontre
aussitôt un dard flamboyant aux aguets.
10 Nous ne savions pas si un mal
est voulu pour ceux qui sont sur la terre, ou si leur Seigneur veut qu'ils
se maintiennent sur la voie droite.
11 Certains d'entre nous sont justes
tandis que d'autres ne le sont pas; nous suivons des chemins différents.
12 Nous savions que nous ne pourrions
pas affaiblir la puissance de Dieu sur la terre, et que nous ne pourrions
y échapper par la fuite.
13 Nous avons cru en la Direction,
lorsque nous l'avons entendue. Quiconque croit en son Seigneur ne craint
plus ni dommage, ni affront.
14 Il y parmi nous des soumis
et, parmi nous, des révoltés. Ceux qui sont soumis ont choisi
la voie droite.
15 Quant aux révoltés,
ils serviront de combustible à la Géhenne».
16 S'ils se maintenaient sur la
voie droite, nous les abreuverions d'une eau abondante pour les éprouver.
17 Dieu conduira vers un châtiment
de plus en plus fort quiconque se détourne du Rappel de son Seigneur.
18 Les Mosquées appartiennent
à Dieu: n'invoquez donc personne à côté de Dieu.
19 Quand le Serviteur de Dieu s'est
levé pour L'invoquer, peu s'en fallut qu'ils ne se pressent en foule
autour de lui.
20 Dis: «Je n'invoque que
mon Seigneur et je ne Lui associe personne».
21 Dis: «Je ne détiens
pour vous ni mal, ni direction droite».
22 Dis: «Nul ne me protège
contre Dieu; je ne trouverai pas de refuge en dehors de Lui
23 sauf en transmettant une communication
et des messages de Dieu».
Le Feu de la Géhenne est destiné
à ceux qui désobéissent à Dieu et à
son Prophète. Ils y demeureront à tout jamais immortels!
24 Quand ils verront enfin la réalisation
de ce qui leur a été promis, ils sauront qui est le plus
faible en secours et l'inférieur en nombre.
25 Dis: «Je ne sais si ce
qui vous est promis est proche, ou bien si mon Seigneur lui assignera un
délai».
26 IL connaît parfaitement
le mystère; mais IL ne montre à personne le secret de Son
mystère,
27 sauf à celui qu'IL agrée
comme prophète.
IL le fait accompagner de gardiens
placés devant et derrière lui,
28 afin de savoir si les prophètes
transmettent les messages de leur Seigneur.
Sa Science s'étend à
tout ce qui les concerne. Il fait le compte exact de toute chose.
* * *
Cette sourate traite, comme son titre l'indique, d'un genre de créatures
invisibles à nos sens, les djinns. Tout en nous informant qu'il
y a parmi les djinns, comme chez les humains, des croyants et des incroyants,
elle raconte surtout l'histoire d'un groupe de ces êtres invisibles,
qui ont cru à notre Prophète Mohammad (P), au Noble Coran
et à la Résurrection.
Les versets 1-19 sur les 28 que comprend la sourate nous apprennent
beaucoup de choses sur le monde des djinns et rectifient maintes croyances
les concernant. La partie suivante de cette sourate fait référence
au monothéisme et à la résurrection. La dernière
partie traite du Mystère dont on ne connaît que ce qu'Allah
le permet.
Les circonstances de la Révélation
On peut résumer les circonstances de la révélation
de la Sourate al-Djinn (vraisemblablement identiques à celle de
la Sourate 46, Al-Ahqâf) comme suit:
1-Venant de la Mecque, le Prophète Mohammad (P) s'était
rendu à Souq Akkadh à Taëf pour appeler les gens à
l'Islam. S'étant buté au refus de ses interlocuteurs de répondre
à son appel, il passa, lors de son voyage de retour, une nuit dans
une vallée dénommée "La Vallée des Djinns"
en lisant le Coran. Là un groupe de djinns après avoir écouté
sa récitation, et cru en sa Prophétie se mirent à
inviter les leurs à faire de même.
2- Selon "Sahîh al-Bokhârî" et
"Sahîh Muslim" citant Ibn 'Abbas: alors que
le Prophète (P) récitait le Coran pendant la Prière
de l'Aube, des Djinn, qui recherchaient la cause de l'interruption des
nouvelles venant du Ciel, l'ont écouté et se sont dit: «Voilà
ce qui s'est interposé entre nous et les nouvelles du Ciel».
Après quoi, ils retournèrent vers les leurs pour leur communiquer
ce qu'ils venaient d'entendre.
3- Après le décès de son oncle et protecteur, Abû
Tâlib, la situation du Prophète était devenue très
critique à la Mecque. Il s'était résolu donc à
partir pour Tâëf dans l'espoir d'y trouver des partisans. Mais,
les habitants de cette ville qui se sont montrés très hostiles
à son Message, l'ont traité de menteur, persécuté
et bombardé de pierres avec un tel acharnement que ses pieds se
mirent à saigner. Aussi s'est-il réfugié dans un hameau,
pour se remettre de sa fatigue et se reposer. Là, le serviteur du
propriétaire de ce lieudit, l'ayant vu, s'est converti à
sa religion. En retournant la nuit vers la Mecque, le Prophète (P)
s'est arrêté à Nakhlah pour accomplir la Prière
de l'Aube. Quelques djinns originaires de Naçîbayn ou du Yémen,
qui passaient par là l'entendirent réciter sa Prière
et crurent en son Message.(167)
B- Le Récit
Les héros ou les personnages constituent un élément
vital dans une oeuvre romanesque. Ils fournissent à celle-ci le
mouvement qui tient le lecteur en haleine, étant donné que
toute péripétie et toute situation sont obligatoirement liées
aux personnages.
L'intérêt et la vivacité du récit augmentent
lorsqu'il y a diversité de héros - surtout si cette diversité
comprend des héros d'une race ou d'un genre inhabituellement différent,
tels que les anges, les djinns ou les oiseaux par exemple.
Dans d'autres récits coraniques, les "anges" par exemple, partagent
avec les humains les rôles du récit. De même les djinns
et les oiseaux jouent aux côtés des personnages humains des
rôles dans les récits de "Sulaymân" (Salomon).
Dans le présent récit, les djinns sont des héros
à part entière et jouent un rôle spécifique
fait à leur mesure et indépendamment de tous autres héros
de race différente.
La vitalité de tels héros ne tient pas au simple fait
qu'ils représentent un élément invisible par exemple,
ou un élément d'étrangeté, mais réside
en ceci qu'ils partagent avec les humains la même nature de préoccupations,
d'ambitions et de mouvement dans l'existence en général.
Lorsque le récit coranique nous présente des vérités
et des héros non humains, il ne cherche pas à nous distraire
ou à nous amuser, mais vise par ce procédé à
nous sensibiliser, nous les humains, à la vérité de
notre fonction d'adoration d'Allah sur la terre, à nous faire profiter
des expériences des autres, seraient-ils d'un genre non humain,
pour corriger et réformer notre conduite.
Les djinns sont des créatures invisibles qui ont leur milieu
particulier que le Ciel leur a adapté. De même, tout comme
les humains et toutes les autres créatures, ils n'ont pas été
créés par pure gratuité, mais pour accomplir des tâches
déterminées.
En tout état de cause le récit dont nous traitons ici
vise à nous présenter certaines vérités relatives
aux djinns et la relation de ceux-ci avec les êtres humains dans
la mesure où les deux genres ont pour point commun l'accomplissement
de la tâche d'adoration, chacun dans son milieu propre: les djinns
dans leur milieu particulier et les hommes sur la terre. Il a pour but,
surtout de nous faire tirer la leçon de l'expérience des
héros non humains, pour que nous puissions mieux nous acquitter
du devoir d'adoration pour l'accomplissement duquel nous avons été
créés.
Quelle est donc cette expérience que les héros-djinns
veulent bien nous présenter?
La réponse se dégage facilement du récit. Il s'agit
de la foi des djinns en le Message de l'Islam. Certes, on pourrait croire
de prime abord que l'Islam est un message adressé exclusivement
aux êtres humains puisque ses protagonistes sont d'une part la personne
envoyée, "Le Messager (P)" et d'autre part, les destinataires du
Message: l'humanité. Mais cette croyance s'estompe lorsque le récit
nous raconte l'histoire de héros extraterrestres faits d'une substance
ignée spécifique (invisible) qui ont un langage propre incompréhensible
pour les êtres humains ordinaires, un milieu extraterrestre. Pourtant
ils traitent avec le Message du Coran.
L'expérience vécue par ces personnages pas comme les autres,
est exposée de la façon suivante par le récit:
«Un groupe de Djinns écoutaient.
»Ils ont dit: "Nous avons entendu un Coran merveilleux».(168)
Il ne faut pas passer rapidement sur ce début du récit,
apparemment sans grand intérêt. On doit s'y arrêter
longuement, car il s'agit d'un récit qui expose les faits selon
un procédé littéraire bien particulier, ce qui permet
de penser que son début présenté de cette façon
particulière et non autrement recèle une signification déterminée.
Mais avant de développer ce sujet, nous devons savoir que ce récit
est élaboré selon une structure architecturale spécifique.
Il est notoire dans la littérature romanesque que la présentation
des faits se fait selon des procédés divers: narration, relation
et dialogue, seulement dialogue; celui-ci peut être un vrai dialogue
(entre les parties ou plus) ou un monologue et un monologue intérieur,
ou même un monologue collectif ambigu etc.
Dans ce récit, c'est le dialogue qui constitue les fils tissu
de la trame. C'est un dialogue qui n'est pas suivi de commentaire, mais
un dialogue linéaire collectif et équivoque où les
héros-djinn parlent à eux-mêmes, où avec les
leurs, comme nous le révèle le début du récit,
lorsqu'il nous a transmis une partie de leur conversation comme suit:
«Nous avons entendu un Coran merveilleux».
L'importance de cette conversation ou dialogue réside en ceci
qu'il s'agit d'une conversation unilatérale, et non un dialogue
entre deux parties, l'une interroge, l'autre répond, ou l'une parle
l'autre commente, ou encore, l'une fait un discours à l'intention
d'un autre ou d'un groupe d'auditeurs.
On peut même imaginer que cette forme de dialogue correspondrait
à ce qui se passerait chez nous, nous les humains, lorsqu'une nouvelle
grave ou importante nous parvient et que chacun de nous accourt voir son
ami ou ses amis pour la leur transmettre.
Il est naturel que, lorsqu'un groupe de djinns ont écouté
le Coran disent à leurs amis: «Nous avons écouté
un Coran merveilleux», leurs interlocuteurs commentent cette
nouvelle - bonne ou mauvaise soit-elle.
Cependant le récit ne nous fait pas part de tels commentaires
qui seraient faits par ceux qui sont censés être les interlocuteurs
des djinns qui ont reçu la nouvelle.
La raison (artistique) en est que le récit cherche à faire
connaître, avant tout et surtout, la réaction des djinns à
la découverte du Coran, à savoir leur acceptation, de bon
gré, du Message du Ciel, comme le suite du récit nous le
montrera ultérieurement.
* * *
Quand le récit débute comme ceci: «Un groupe
de djinn écoutaient; ils dirent ensuite: Nous avons entendu un Coran
merveilleux», plusieurs cas de figure frappent l'imagination
du lecteur, lequel pourrait se poser diverses questions:
- Est-ce que le Prophète (P) a lu le Coran aux djinns de la même
façon qu'il l'avait fait avec les humains?
- Ou bien, les djinns ont-ils pu écouter le Coran lorsque le
Prophète le lisait aux humains?
- Le Coran a-t-il été lu dans la langue des djinns? Ceux-ci
ont-ils donc une langue qui leur soit propre? Si non, comprennent-ils alors
la langue arabe?
- Est-ce qu'un groupe de djinns seulement, à l'exclusion d'autres,
ont eu l'occasion d'écouter le Coran? Pourquoi?
Ces interrogations que le début romanesque suscite chez un lecteur
attentif qui cherche à comprendre ce qu'il lit, ne trouvent pas
de réponse dans le récit lui-même, lequel nous laisse
le soin d'échafauder ces différentes hypothèses et
de chercher la réponse aux différents cas de figure qui s'imposent.
On peut déduire facilement que le récit, en tant que procédé
littéraire, ne cherche pas à nous faire connaître la
langue des djinns, si une telle langue existait, ni à définir
la nature de la relation sociale entre ces derniers et les humains, et
par conséquent la façon dont leur est communiqué le
savoir (le Message); mais il veut souligner à notre attention leur
réaction à la découverte du Message de l'Islam.
Dès lors les détails relatifs à leur langue et
à leur mode de perception de la connaissance ne sont plus nécessaires.
Notons au passage, à ce propos, que même les textes de l'exégèse
(tafsîr) ne projettent pas de lumière sur cet aspect
du sujet. En effet, certains de ces textes nient que le Prophète
ait lu le Coran aux djinns directement, et affirment qu'un groupe de ceux-ci
ont pu l'entendre indirectement.
D'autres textes avancent que le héros des djinns était
venu le voir et repartit pour lire aux siens le Coran qu'il avait appris.
D'autres encore, disent que le Prophète (P) avait rencontré
sept ou neuf héros des djinns et qu'il les a envoyés à
leurs congénères leur communiquer le Coran.
Mais comme nous l'avons dit, ce qui importe, sur le plan artistique,
ce n'est pas le nombre des djinns ni le groupe auxquels ils appartiennent,
ni la façon dont ils ont écouté le Coran, mais c'est
le fait d'avoir écouté le texte coranique et réalisé
l'importance du Message envoyé par le Ciel au Prophète (P),
ce qui les a rendus émerveillés et les a amenés à
réagir ainsi: «Nous avons écouté un Coran
merveilleux!».
Ce qui importe encore plus, ils ont compris les détails de la
situation nouvelle et sa relation avec leur attitude passée et future,
comme ils nous le font savoir eux-mêmes à travers leur dialogue
multilatéral ou le long discours qu'ils ont tenu à l'adresse
des leurs.
Cependant, les héros des djinns qui avaient pu écouter
le Coran lors de sa révélation et qui l'ont commenté
par:
«Nous avons écouté un Coran merveilleux»,
semblent constituer un groupe particulier se distinguant par une conscience
ou une position sociale différente de celle de leurs congénères,
comme cela se passe dans la société humaine par exemple.
Autrement, pourquoi est-ce seulement ce groupe qui avait-il eu l'occasion
d'écouter le Coran et de comprendre le Message du Ciel, pour accourir
par la suite vers les leurs en vue de leur transmettre cet événement
grandiose?
Il est vraisemblable que l'environnement des djinns est similaire à
celui des humains, quant à la nature de leur constitution psychologique
et intellectuelle, et surtout de leur position philosophique vis-à-vis
de l'Univers et de son Créateur... C'est du moins ce que les héros
des djinns nous révèlent eux-mêmes. Ecoutons-les donc
alors qu'ils poursuivent leur discours à l'adresse des autres djinns:
«Nous avons écouté un Coran merveilleux.
»Il guide vers la voie droite; nous y avons cru et nous n'associerons
jamais personne à notre Seigneur.
» Notre Seigneur, en vérité - que Sa Grandeur
soit exaltée - ne s'est donné ni compagne, ni enfant».(169)
Jusqu'ici, le discours tenu par ce groupe distingué de djinns
à l'attention du public des djinns, se rapporte au thème
de l'Unicité et du refus de l'association de quiconque à
Allah.
Or, il ne fait pas de doute que le fait d'évoquer l'unicité
et le refus de l'associationnisme laisse entrevoir l'existence d'un élément
de scepticisme dans l'esprit de certains djinns, tout comme cela existe
dans l'esprit de quelques éléments inconscients parmi les
humains.
Mais la distinction entre deux types de public: le public monothéiste
et le public sceptique, se précise d'une façon plus générale,
lorsque ce groupe distingué de djinns annonce la source de l'engendrement
de l'élément de scepticisme dans l'esprit des djinns, à
savoir le Satan.
Ce groupe de djinns conscients, poursuivant leur discours nous informent
à ce propos:
«Celui qui, parmi nous, est insensé disait des extravagances
au sujet de Dieu».(170)
Ce qualificatif "insensé" a une grande signification artistique
et idéologique. Son importance tient au fait que ce mot est émis
par un groupe appartenant au genre de "djinn" et connaissant parfaitement
leur chef, puisqu'ils l'ont qualifié d'insensé.
Il va de soi que le mot insensé n'honore nullement celui qu'il
est qualifié, car le fait d'être insensé relève
d'une forme de débilité.
Or rien n'est plus démoralisant ni plus amer que le fait que
le chef qui a pu induire en erreur un groupe de djinns se voit traité
d'insensé par ses adeptes, alors même qu'il avait cru avoir
réussi à les égarer.
Mais l'importance du qualificatif "insensé" ne se limite pas
à son impact négatif sur la personnalité du Satan,
elle s'affirme aussi par l'impact qu'il laisse également sur le
lecteur ou l'auditeur lui-même.
En effet, lorsque ce dernier se rend compte que l'élément
de scepticisme qu'a insufflé le Satan, a pour source un être
insensé et souffrant de débilité mentale, il n'attache
aucun crédit aux idées et aux insinuations d'une telle personnalité
perverse, étant donné que l'esprit est normalement réceptif
aux idées émises par une source saine.
C'est exactement ce qui s'est passé avec cette élite consciente
de djinns qui, dès lors qu'ils se sont rendus compte du caractère
insensé du Satan, ont rejeté ses idées et se sont
acheminés vers la foi en Allah et en le Message de l'Islam.
* * *
Poursuivons encore le discours de l'élite des djinns prononcé
à l'adresse de son public. Ayant mis l'accent sur le caractère
insensé du Satan, elle dit: «Nous pensions que ni les hommes,
ni les djinns ne proféraient un mensonge contre Dieu».(171)
Là une nouvelle situation se révèle. Car jusqu'à
présent, les djinns n'ont parlé que du Satan, l'insensé,
mais ici, ils évoquent les humains aussi et leur attribuent un qualificatif
partageant le qualificatif des djinns, à savoir: le fait de proférer
des mensonges contre Allah.
La question qui se pose maintenant est pourquoi les héros des
djinns ont-ils inséré l'élément "humain" dans
cette partie de leur discours, alors qu'ils parlent de leur expérience
propre?
A notre avis, lorsque le récit évoque cette séquence
et d'autres relatives aux humains, il visait ceux-ci également dans
la mesure où il s'agit d'une affaire qui se rapporte à l'expérience
de l'homme aussi, puisque c'est ce dernier qui se trouve le lecteur du
récit qui met en scène une expérience de djinns.
Proférer des mensonges contre Allah constitue un crime ou un
délit rationnel évident. Car Allah est une Vérité
qui impose Son Existence et une évidence qui se passe d'argument.
Pourquoi dès lors y aurait-il des djinns et des humains qui la renieraient?
Les héros des djinns ont donc tout à fait raison de croire
qu'il n'est pas possible qu'un djinn ou un humain invente des mensonges
contre Dieu.
De la même façon, l'élément "humain" s'impose
à l'esprit des djinns conscients, dans la mesure où il essaie,
par son ignorance ou par la déformation de son esprit, de nier la
Vérité d'Allah.
Si l'élite consciente des djinns a inséré l'élément
humain dans la partie précédente de son discours, pour la
raison que nous venons d'expliquer, elle va l'insérer de nouveau
dans la séquence suivante de ce discours, à travers une autre
expérience qu'elle nous relate:
«Il y avait des mâles parmi les humains qui cherchaient
la protection des mâles parmi les djinns, et ceux-ci augmentaient
la folie des hommes; ils pensaient alors, comme vous, que Dieu ne ressusciterait
personne».(172)
Dans ces séquences du discours des djinns il y a deux vérités
liées aux humains et à leur relation avec les djinns: la
première est que certains humains se protégeaient par les
djinns, protection qui aboutit à l'aggravation de leur folie. La
seconde est le partage par les humains du scepticisme des djinns quant
au Jour Dernier.
Il est indéniable que cette dernière vérité,
le scepticisme relatif au Jour Dernier, est liée au scepticisme
vis-à-vis de l'Unicité aussi, comme nous l'avons déjà
souligné. Mais en fait, elle reste liée aussi à la
question du recours à la protection des djinns, point sur lequel
nous devons nous arrêter en raison de son importance majeure pour
le lien existant entre l'élément "djinn" et l'élément
"humain".
La question qui se pose, sur le plan romanesque est de savoir pourquoi
les héros des djinns qui ont tenu leur discours au public des djinns
ont soulevé l'affaire du recours des humains aux mâles des
djinns?
Est-ce parce que les djinns posséderaient des forces dont les
humains sont privés? Est-ce que leur forme invisible aurait un lien
avec ce trait distinctif? Y aurait-il des expériences humaines dans
ce domaine, qui auraient conduit les djinns à les exposer de la
sorte? Puis, quel rapport y a-t-il entre l'échec des expériences
des humains lors de leur recours à la protection des djinns, et
la nouvelle position annoncée par les héros des djinns après
avoir écouté le Coran et eu foi en l'Islam?
Ces interrogations requièrent des réponses précises
dans la mesure où elles ont trait aux expériences des humains
pour qui ce récit a été transmis.
Le lecteur (ou l'auditeur) s'imagine que lorsque les héros des
djinns parlent à leur public, des mâles parmi les humains
qui cherchent la protection des mâles parmi les djinns, c'est tout
d'abord pour attirer l'attention de ce public sur le fait que cette protection
que les humains cherchent auprès des djinns tient à la nature
particulière de ces derniers: des forces invisibles qui évoquent
tout ce qui est étrange et étonnant pour les humains, qui
se déplacent librement non seulement dans un milieu grand comme
l'espace qui sépare le Ciel de la Terre, mais également dans
le milieu terrestre, qui ont le pouvoir d'exercer une influence sur les
êtres humains; et c'est ensuite pour faire comprendre à leur
public que cette protection (recherchée par les humains auprès
des djinns) est un acte condamnable: la preuve en est que les djinns n'ont
fait qu'augmenter la folie, les péchés et la faiblesse des
hommes qui avaient cherché leur protection.
Pis, cette recherche de protection auprès des djinns pourrait
constituer un motif d'encouragement pour ces derniers et les pousser à
s'enorgueillir et à se prendre pour des entités toutes puissantes,
ce qui est sans aucun doute condamnable, surtout lorsqu'on sait que le
dernier mot et la Puissance absolue appartiennent à Allah uniquement
à l'exclusion de toute autre entité, ou pouvoir, terrestre
ou extraterrestre.
Ces différentes significations que nous avons dégagées
du discours des héros des djinns à l'attention de leur public
se révèlent d'une grande importance dans ce contexte romanesque
qui a été écrit à notre intention, nous les
humains, et à nul autre.
Cette partie du récit nous suggère que tout recours à
quelqu'un d'autre qu'Allah sera vain et inutile, et qu'il trahit notre
faiblesse et l'absence de confiance en Allah.
Elle nous fait savoir ensuite que les djinns, ou du moins un groupe
de djinns, malgré leurs pouvoirs considérables (aux yeux
des humains), malgré leur orgueil et bien qu'ils aient subi l'influence
directe de leur grand chef (insensé), Satan, n'ont pas hésité
un moment à croire en Allah et au Message de Mohammad (P), dès
qu'ils ont écouté la récitation du Coran.
Le récit se propose enfin de nous faire comprendre, indirectement
que les djinns malgré leur appartenance à un genre non humain,
et bien que le Coran soit révélé dans la langue humaine,
leurs héros ont épousé promptement le Message de Mohammad
aussitôt qu'ils en ont pris connaissance, alors que les humains ont
hésité à répondre à l'Appel au Bien.
Naturellement la leçon à tirer de ce récit ne se
limite pas à la question de l'Unicité et du monothéisme,
mais la déborde pour couvrir l'attitude des humains face à
tous les principes de l'Islam en général. En d'autres termes
l'expérience humaine doit tirer la leçon de l'expérience
des djinns pour amender et réformer sa conduite en général
vis-à-vis de sa fonction de lieutenance (khilâfah) sur la
Terre, fonction que le Ciel nous a assignée pendant la durée
limitée de notre existence dans le monde d'ici-bas.
* * *
Ecoutons encore l'élite des djinns poursuivre son discours:
«Nous avions frôlé le Ciel et nous l'avions trouvé
rempli de gardiens redoutables et de dards flamboyants.
»Nous étions assis sur des sièges pour écouter;
mais quiconque écoute rencontre aussitôt un dard flamboyant
aux aguets.
»Nous ne savions pas si un mal est voulu pour ceux qui sont
sur la Terre, ou si leur Seigneur veut qu'ils se maintiennent sur la Voie
Droite».(173)
Dans ces séquences du discours des héros des djinns à
l'adresse de leur public, le récit divulgue de nouvelles vérités
dans le domaine du phénomène cosmique qui a accompagné
la révélation du Message de l'Islam. Ces vérités
nous montrent, à nous les humains, l'importance considérable
du Message de l'Islam que le Ciel a choisi pour nous.
En effet, un changement dans le système cosmique s'est opéré
lors de la naissance du Message de l'Islam, changement que le dialogue
ou le discours des djinns nous font découvrir.
Tout d'abord l'affirmation: «Nous avions frôlé
le Ciel et nous l'avions trouvé rempli de gardiens redoutables et
de dards flamboyants» signifie que les djinns étaient
en train de monter vers le Ciel et qu'ils l'ont trouvé rempli d'anges
et de dards flamboyants, c'est-à-dire les lumières étendues
du Ciel.
Puis l'énoncé: «Nous étions assis sur
des sièges pour écouter» signifie que lors de leur
ascension vers le Ciel et de leur observation de ses gardiens angéliques
et de ses dards flamboyants, les djinns écoutaient les voix des
anges et leurs mouvements.
Mais ce qui s'est produit par la suite c'est que «quiconque
écoute rencontre aussitôt un dard flamboyant aux aguets».
C'est dire que ces djinns qui jouissaient jusqu'alors de la liberté
de se mouvoir et de se déplacer dans l'espace, au point qu'ils voyaient
les anges et des dards flamboyants et qu'ils apprenaient les secrets (du
Ciel), se trouvent maintenant (c'est-à-dire après la descente
du Coran sur Mohammad (P)) dans une situation telle qu'un dard flamboyant
les guette et les empêche de monter, dès qu'ils essaient de
tendre l'oreille pour écouter.
Le fait d'associer la rétention des djinns - c'est-à-dire
le fait de l'interdiction de monter vers le Ciel - au Message du Coran,
nous fournit une indication claire de l'importance de ce que nous venons
de signaler, au passage, plus haut, à savoir le changement intervenu
dans le système cosmique lors de la Révélation du
Message de l'Islam. Cette association a attiré donc l'attention
des djinns sur l'avènement d'un phénomène important
qui les a conduits à s'interroger: «Nous ne savions pas
si un mal est voulu pour ceux qui sont sur la terre, ou si leur Seigneur
veut qu'ils se maintiennent sur la Voie Droite» ou en d'autres
termes: si un tourment sera infligé aux humains, ou si un Message
les guidera sur le Droit Chemin.
* * *
Les héros des djinns se sont donc rendus compte de l'occurrence
du phénomène important, tel que nous l'avons vu.
Maintenant, ces héros continuent, à travers leur discours
tenu à leur public après qu'ils ont écouté
le Coran, à nous faire découvrir davantage de vérités
relatives à leur monde, ce qui peut nous permettre de tirer plus
de leçons de leurs expériences.
Ils relatent:
«Certains d'entre nous sont justes tandis que d'autres ne le
sont pas; nous suivons des chemins différents.
»Nous savions que nous ne pourrions pas affaiblir la Puissance
de Dieu sur la Terre, et que nous ne pourrions y échapper par la
fuite.
»Nous avons cru en la Direction, lorsque nous l'avons entendue:
"Quiconque croit en son Seigneur ne craint plus ni dommage, ni affront.
»Il y a parmi nous des soumis et, parmi nous, des révoltés.
Ceux qui sont soumis ont choisi la Voie Droite.
»Quant aux révoltés, ils serviront de combustible
à la Géhenne"».(174)
Ces propos ne sont pas (dans la logique du récit) une simple
transposition d'une expérience d'une dynastie d'êtres ignés.
Ils relèvent essentiellement des expériences humaines. Car
en fait il y a des justes (parmi les djinns et les humains), comme il y
en a de moins justes. De même, il y a des groupes différents
(chemins différents). Mais comme les djinns l'ont dit à bon
escient, personne dans l'univers, ne peut «affaiblir la Puissance
de Dieu sur la Terre», ni ne peut «y échapper
par la fuite». La dominance demeure à Allah seul.
Par conséquent, dès que les héros des djinns se
sont confrontés à cette vérité, ils ont proclamé
en s'adressant aux leurs: «Nous avons cru en la Direction, lorsque
nous l'avons entendue».(175)
Enfin le récit nous transmet cette séquence qui résume
tout: «Quiconque croit en son Seigneur ne craint plus ni dommage,
ni affront».(176)
Lorsque le récit nous transcrit textuellement le discours tenu
par un groupe de djinns à leur public, il nous vise nous les humains
à travers la similitude de l'expérience vécue par
la dynastie des êtres faits d'argile et celle des êtres ignés,
quant au conflit entre la volupté et la raison, qui habite l'une
et l'autre. Les héros des djinns ont expliqué qu'il est parmi
eux des "Musulmans" et des "révoltés", des "justes" et de
"moins justes", ainsi que des "chemins différents". Cette même
vérité marque les humains.
Mais les membres conscients des djinns (les héros) ont expliqué
que la vérité est que la foi en Allah abolit la crainte de
tout dommage et de tout affront, ce qui signifie, en fin de compte, que
les hommes devraient être plus portés que les djinns à
percevoir de telles vérités que le Ciel leur a prodiguées,
en faisant descendre le Coran sur l'un d'entre eux, le Prophète
Mohammad (P), et qui mieux, dans une langue qu'ils maîtrisent parfaitement.
Ainsi, ce récit divertissant qui nous a transmis l'expérience
des djinns représente un modèle de divers procédés
littéraires par lesquels le Coran cherche à nous conduire
à rectifier notre conduite et à comprendre la Vérité
de notre devoir d'adoration ou de soumission totale à Allah et à
Ses Ordres.
Sourate (76): L'Homme
Le Récit des Pieux
A- La Sourate
5 Les hommes purs boiront à une coupe dont le mélange
sera de camphre.
6 Les serviteurs de Dieu boiront à des sources que Nous
feront jaillir en abondance.
7 Ils tenaient fidèlement leurs promesses, ils redoutaient
un Jour dont le mal sera universel.
8 Ils nourrissaient le pauvre, l'orphelin et le captif, pour l'amour
de Dieu.
9 «Nous vous nourrissons pour plaire à Dieu seul;
nous n'attendons de vous ni récompenses, ni gratitude.
10 Oui, nous redoutons, de la part de notre Seigneur, un Jour menaçant
et catastrophique».
11 Mais Dieu les a protégés du malheur de ce Jour.
IL leur fera rencontrer la fraîcheur et la joie.
12 Il les récompensera pour leur patience en leur donnant un
Jardin et des vêtements de soie.
13 Là, accoudés sur des lits d'apparat, ils n'auront
à subir ni soleil ardent, ni froid glacial.
14 Ses ombrages seront à proximité et ses fruits
inclinés très bas, pour être cueillis.
15 On fera circuler parmi eux des vaisseaux d'argent et des coupes
de cristal,
16 de cristal d'argent et remplies jusqu'au bord.
17 Ils boiront une coupe dont le mélange sera de gingembre,
18 puisé à une source nommée là-bas:
«Salsabil».
19 Des éphèbes immortels circuleront autour d'eux.
Tu les compareras, quand tu les verras, à des perles détachées.
20 Quand tu regarderas là-bas, tu verras un délice
et un faste royal.
21 Ils porteront des vêtements verts, de satin et de brocart.
Ils seront parés de bracelets d'argent. Leur Seigneur les abreuvera
d'une boisson très pure.
22 «Cela vous est accordé comme une récompense.
Votre zèle a été reconnu!»
23 Oui, Nous avons fait descendre sur toi le Coran.
24 Accepte donc le décret de ton Seigneur.
N'obéis ni au pécheur, ni à l'ingrat qui se
trouve parmi eux.
25 Invoque le Nom de ton Seigneur à l'aube et au crépuscule.
26 Prosterne-toi, la nuit, devant Lui.
Célèbre longuement Ses louanges, durant la nuit.
27 Ils aiment la vie éphémère et ils négligent
un Jour grave.
On appelle cette sourate aussi "Al-Dahr" (Le Temps), ou "Hal Atâ"
(littéralement: Est-il venu) d'après les deux premiers mots
de la Sourate. On peut diviser les 31 versets qui la composent en deux
parties principales.
La première partie (versets 1-22) est consacrée surtout
à la description des conditions réjouissantes dans lesquelles
reposera dans le Paradis une catégorie spécifique de Croyants,
les "Pieux" dont nous parlerons en détail, lorsque nous aborderons
le récit qui porte leur nom un peu plus loin.
Dans la seconde partie (versets 23-31) Allah conseille au Prophète
(P) de s'armer de patience face aux pécheurs et aux renégats,
de ne pas leur prêter oreille, et de n'avoir cesse d'évoquer
le Nom du Seigneur et de Le glorifier.
Il est important, pour mieux comprendre le sens et la portée
de cette sourate, d'en connaître les circonstances de la révélation.
Selon Al-Allâmah Mohammad Hussein Tabâtabâ'î qui
s'appuient sur des sources chiites et un grand nombre de sources sunnites,
dignes de foi (lesquelles rapportent le témoignage du Compagnon
Ibn 'Abbas) il ne fait aucun doute que la Sourate Al-Insân (L'Homme)
a été révélée à la suite d'un
événement dont les acteurs ou les héros étaient
l'Imâm 'Alî, Fatimah al-Zahrâ', et leurs deux fils al-Hassan
et al-Hussain.
En effet Ibn 'Abbas a rapporté:
«Une fois, al-Hassan et al-Hussain étaient tombés
gravement malades. Le Messager d'Allah (P) accompagné d'autres personnes
est venu leur rendre visite. Les visiteurs suggérèrent à
'Alî de faire un voeu pour la guérison de ses fils. 'Alî
approuva, et il formula le voeu, avec son épouse Fâtimah al-Zahrâ'
et leur servante Fidh-dhah, de jeûner trois jours, si al-Hassan et
al-Hussain venaient à guérir. Lorsqu'ils guérirent
effectivement, il fallait tenir la promesse de jeûne. Comme la famille
n'avait pas à ce moment les provisions nécessaires pour les
repas de la rupture du jeûne, l'Imâm 'Alî emprunta à
un Juif dénommé Cham'ûn al-Khaybarî trois çâ'
d'orge à cet effet. On commença le jeûne et Fâtimah
a moulu 1 çâ' (2,831 kg) de cette orge et a cuit cinq
pains (un pain pour chacun).
»Lorsqu'ils se sont apprêtés à rompre le jeûne
au crépuscule, un mendiant se présenta et s'écria:
"Que la paix soit sur vous, ô gens de la maison de Mohammad! Je suis
un indigent parmi les indigents des Musulmans! Nourrissez-moi, et Allah
vous nourrira sur les tables du Paradis". Ils préférèrent
lui offrir leur repas (les cinq pains) à leur détriment,
et passèrent la nuit sans rien manger, se contentant de l'eau.
»Le lendemain ils entamèrent cependant le deuxième
jour de jeûne; et au moment de la rupture du jeûne, un orphelin
est venu frapper à leur porte, ils firent de même et lui donnèrent
leur repas.
»A la fin du troisième jour de jeûne un captif leur
demanda à manger, ils lui offrirent leur repas.
»Le lendemain, 'Alî amena ses deux fils chez le Prophète
(P) qui, constatant qu'ils tremblaient de faim, comme des poussins, dit:
"Que cela me fait mal de vous voir ainsi!". Aussi les ramena-ils à
la maison de 'Alî; et là il a vu Fâtimah dans son mihrâb
(lieu aménagé pour la prière), le ventre collé
au dos, les yeux caves (creux). Cette scène l'affligea profondément.
»Là Jibrâ'îl (l'Archange Gabriel est descendu
et après lui avoir dit: "O Mohammad! Ceci vient d'Allah à
propos de ta famille", il se mit à lui réciter la sourate.».(177)
B- Le Récit
Les récits et les histoires qui nous présentent le milieu
du "Paradis" sont parsemés dans le Noble Coran, comme nous le savons
tous. Mais certains d'entre eux mettent l'accent sur un milieu spécifique
ou des héros spécifiques qui ont des traits particuliers
sur le plan du degré de leur piété et de leur rang
dans la hiérarchie dans piété.
Ainsi la Sourate "Le Miséricordieux" a exposé deux milieux
distincts dont chacun a ses propres personnages: deux paradis supérieurs
et deux autres au-dessous d'eux.
La Sourate "L'Echéant" (Celle qui est inéluctable) nous
présente également deux milieux, l'un "supérieur"
pour les "premiers arrivés", l'autre "inférieur" pour les
"gens de la droite".
Quant à la Sourate de "L'Homme" qui nous occupe ici, elle brosse
le tableau d'un environnement spécial dont les héros sont
qualifiés de pieux.
Il est de notoriété publique dans le domaine de l'exégèse
que cette Sourate a été révélée à
propos de l'Imâm 'Alî (p), de Fâtimah al-Zahrâ'
(p), et de leurs deux fils al-Hassan (p) et al-Hussayn (p), lorsqu'ils
ont offert leur repas de la rupture du jeûne à des pauvres
pendant trois jours consécutifs où ils accomplissaient un
jeûne votif.
Il est indéniable aussi que ce récit vise, en mettant
en relief la question de l'altruisme et de sa récompense dans l'Au-delà,
la présentation de l'environnement des "Pieux" en général,
c'est-à-dire ceux qui offrent la nourriture par amour pour Allah
à un indigent, à un orphelin et à un captif, sans
attendre de personne ni récompense ni marque de gratitude.
Il ne fait pas de doute également que lorsque le récit
consacre un tel environnement dont nous allons parler, c'est parce que
la question de "l'offre de la nourriture pour la Face d'Allah", n'est qu'un
des aspects de la conduite qui caractérise les "Pieux".
Si, pourtant, le récit a mis l'accent sur cet aspect, c'est à
cause de son importance sur le plan de l'exercice à l'abandon du
soi, et parce qu'il vise à nous inviter à adopter une telle
attitude dans nos actes de piété.
Voyons à présent comment le récit introduit la
péripétie de "l'offre de la nourriture pour la Face d'Allah",
et puis, passons à la présentation du milieu du Paradis avec
ses descriptifs pittoresques et plaisants qui ont polarisé la plupart
des éléments attachés au dit milieu.
* * *
Le récit des "Pieux" débute comme suit:
«Les hommes pieux boiront à une coupe dont le mélange
sera de camphre.
»Les serviteurs de Dieu boiront à des sources qu'ils
feront faillir à leur convenance.
»Ils tenaient fidèlement leurs promesses, ils redoutaient
un Jour dont le mal sera universel.
»Ils nourrissaient le pauvre, l'orphelin et le captif pour
l'amour de Dieu;
»Nous vous nourrissons pour plaire à Dieu Seul; Nous
n'attendons de vous ni récompense ni gratitude.
» Oui, Nous redoutons, de la part de notre Seigneur, un Jour
menaçant et catastrophique (...)
»Mais Dieu les a protégés du malheur de ce Jour
(...)»(178)
Ce début du récit révèle, sur le plan de
sa structure artistique, une technique romanesque subtile et significative.
Le récit débute par le milieu de l'histoire: l'environnement
du Jour de la Résurrection, puis, revient au début des péripéties:
l'environnement de la vie d'ici-bas, et reprend enfin celles-ci selon leur
ordre chronologique qui commence par un lieu, le Paradis, et un temps,
le Jour Dernier.
Ainsi il se déplace d'un environnement postérieur (le
Paradis), vers un environnement antérieur (le bas-monde), retournant
ensuite vers l'environnement du Paradis, mais avec un début particulier
et un retour particulier. Il est important de comprendre le pourquoi de
ce procédé romanesque et son lien avec la signification idéologique
que sous-tend le récit.
Donc la première question que le lecteur pourrait se poser est
pourquoi le récit a-t-il débuté par la narration du
Paradis de l'Autre-monde et pourquoi a-t-il commencé par un élément
spécifique (la boisson) et la façon dont elle est consommée,
au détriment des autres éléments de l'environnement
de l'Au-delà? Car en effet, le récit aurait pu aborder en
premier lieu la description du Paradis en général, sa beauté
et le plaisir qu'on y éprouve, comme il l'a fait dans les parties
suivantes, par exemple:
«Il leur fera rencontrer la fraîcheur et la joie.
IL les récompensera pour leur patience en leur donnant un
jardin»(179) ... etc.
De même le récit aurait pu commencer tout d'abord par la
présentation de la question de "l'offre de la nourriture" dans la
vie d'ici-bas, et ses conséquences heureuses dans l'Autre-monde,
et non pas, comme il le fait, en commençant par le Paradis, en retournant
ensuite vers le bas-monde, et en revenant après au Paradis.
Quelle est donc la signification artistique de cette construction du
récit de la Sourate?
On peut suggérer, en ce qui concerne la question de savoir pourquoi
commencer par la présentation de l'Au-delà et plus précisément
de la boisson qu'on y sert, que le récit a pour objet de mettre
en évidence les personnages de "Pieux" en particulier, en raison
de leur distinction par des traits spécifiques qu'on ne retrouve
pas chez les personnages ordinaires, et la récompense de l'Au-delà,
consécutive à leur conduite dans la vie d'ici-bas.
De là, le récit a commencé par la présentation
des "Pieux" de la façon suivante: «Les hommes pieux boiront
etc... » pour annoncer la récompense de leur mérite.
Or, faire miroiter la récompense a un grand effet psychologique
sur la conduite et pousse à réformer et à discipliner
celle-ci. Cela est une évidence.
Quant à savoir pourquoi le miroitement de la récompense
commence par la description des coupes et des sources avec leurs odeurs
agréables qu'elles feront jaillir à leur convenance..., c'est
parce que cela se rapporte à la plus forte des pulsions vitales
de l'homme.
En effet, on sait, en psychologie que la pulsion de la soif est la plus
forte et la plus pressante des pulsions humaines, se classant même
avant la pulsion de la faim, laquelle vient avant toutes les autres pulsions
vitales. Ceci concerne les pulsions primaires.
Quant aux pulsions moins pressantes, mais qui se classent tout de même
parmi les pulsions de racine vitale, la pulsion esthétique se situe
au sommet, surtout lorsqu'elle est associée à un besoin pressant
et primaire telle la soif.
De là, nous réalisons l'importance (artistique) du commencement
du récit par la boisson et de son association avec les besoins ou
les plaisirs esthétiques qui lui sont liés, tels que «la
coupe dont le mélange sera de camphre», «des
sources que Nous ferons jaillir en abondance...».
* * *
Notons-le bien. A peine le récit a-t-il entamé la description
de la vie de l'Au-delà à travers ses coupes et ses sources,
il est revenu vers la vie d'ici-bas promptement pour nous rappeler "les
hommes pieux" qu'il décrit ainsi:
«Ils tenaient fidèlement leurs promesses; ils redoutaient
un Jour dont le mal sera universel.
»Ils nourrissaient le pauvre, l'orphelin et le captif, pour
l'amour de Dieu.
»"Nous vous nourrissons pour plaire à Dieu Seul; nous
n'attendons de vous ni récompense, ni gratitude.
»Oui, nous redoutons, de la part de notre Seigneur, un Jour
menaçant et catastrophique".
»Mais Dieu les a protégés du malheur de ce Jour...»(180)
Le récit lie le milieu dont il a décrit un élément
(la boisson) à la conduite de l'homme dans le bas-monde, conduite
qui a qualifié les héros pour cette position enviable au
Paradis.
Donc, ce qui est visé essentiellement dans le récit, c'est
la conduite terrestre de l'homme. C'est pour cette raison que le récit
a rompu la chaîne de la description pour nous ramener à la
vie d'ici-bas, et nous faire ainsi (par ce procédé romanesque)
comprendre et saisir l'importance de cette conduite.
Cette conduite visée consiste en: le respect de la promesse,
la crainte d'un Jour menaçant et catastrophique, l'offre de la nourriture
pour l'amour d'Allah et non pour l'obtention d'une récompense et
d'un signe de gratitude de la part d'autrui etc...
Ce sont donc ces traits caractéristiques de la conduite, en particulier,
à l'exclusion de tout autre, que le récit veut souligner
et signaler à l'attention du lecteur.
Il est à noter aussi, que le récit a fait connaître
certains traits caractéristiques de cette conduite sous forme de
monologue intérieur prêté aux héros: «Nous
vous nourrissons pour plaire à Allah»(181),
«nous redoutons, de la part de notre Seigneur un Jour menaçant
et catastrophique».(182)
Quelle est donc l'importance de ce monologue intérieur? Tient-il
lieu de la narration d'un récit qui a ses héros et ses péripéties?
Puis quel est le lien entre ce monologue intérieur avec la conduite
visée dont il est question?
Nous avons dit que le récit a suivi un procédé
romanesque consistant à rompre la chaîne de la présentation
descriptive du Paradis pour revenir au bas-monde où il nous raconte
l'histoire de ceux qui tiennent leur promesse, qui offrent la nourriture,
qui redoutent un Jour menaçant et catastrophique, qui nourrissent
(le pauvre etc.) pour l'amour de Dieu et non pour rechercher une récompense
ou une reconnaissance d'autrui.
Ce message que le récit véhicule requiert que l'on s'y
arrête et que l'on y médite.
Tout d'abord, la valeur romanesque dudit message réside dans
le fait qu'il lie le particulier et le général, passe du
partiel au total, du particulier au général, des individus
au public, et c'est cela le propre de l'art grandiose.
Expliquons-nous. Le récit nous transmet l'anecdote de quelques
personnages qui représentent un modèle de l'élite
de l'humanité: L'Imâm 'Alî, Fâtimah al-Zahrâ'
(son épouse et la fille chérie du Saint Prophète),
et leur deux fils "Al-Hassan" et "Al-Hussain", et leur servante "Fidh-dhah".
Ces gens ont fait une promesse ou formé un voeu à Allah.
Or tenir la promesse est obligatoire. Cela va de soi.
Ils avaient promis de jeûner pendant trois jours. Ils l'ont fait
effectivement. Mais ce qui s'était produit entre-temps, c'est qu'ils
avaient offert leur repas de rupture du jeûne, le premier jour à
un indigent qui avait frappé à leur porte, le second jour
à un orphelin qui fit de même, et le troisième jour
à un captif qui les a sollicités.
Evidemment, le récit ne nous a pas rapporté les détails
de cette histoire, ni n'a mentionné ses héros. Ce sont les
textes de tafsîr (exégèse) qui s'en sont chargés.
De là, l'importance de "l'art romanesque" dans le récit
coranique: il nous propose des thèmes généraux et
universels qui ignorent le temps et l'espace, se contentant de présenter
des concepts, des idées et des sujets qui concernent tous les êtres
humains et non une catégorie à l'exclusion d'une autre, toutes
les époques et tous les temps, et non une région en particulier
ou une époque particulière à l'exclusion d'autres,
idées, concepts et thèmes qui tiennent lieu d'instructions,
de commandements, de recommandations, de directives dont doivent tenir
compte tous les humains, lesquels n'ont pas été créés
sans finalité, mais pour qu'ils s'acquittent de leur fonction ou
de leur devoir d'adoration sur la terre, devoir tiraillé par les
deux pôles du conflit qui habite l'homme: l'esprit et la volupté,
le
bien et le mal, la piété et le libertinage, l'objectivité
et la subjectivité.
Font partie de ce devoir ou de cette fonction: le respect de la promesse,
quelle qu'elle soit; l'offre de la nourriture aux démunis; l'action
en vue de satisfaire Allah et non dans le but de recevoir des remerciements
de la part des gens; la crainte du Jour du Compte.
Ces quatre devoirs font partie de divers autres devoirs que le Ciel
a fixés pour les êtres humains. Et si ce récit a mis
l'accent sur ces quatre devoirs en particulier, c'est d'une part à
cause de leur importance, et d'autre part, parce que les autres devoirs
sont présentés dans d'autres récits ou textes coraniques.
* * *
Le premier devoir ou thème exposé dans notre récit
est la tenue de la promesse.
Les expériences humaines nous ont montré que beaucoup
de gens implorent Allah et se dirigent vers Lui lorsqu'ils vivent dans
l'adversité ou lorsqu'ils sont atteints d'un mal, mais que, dès
qu'ils s'en sortent, ou dès qu'ils en sont soulagés, ils
oublient les grands bienfaits du Miséricordieux et s'en éloignent.
C'est là une vérité familière à nous
tous. Le Coran et la Sunna en parlent si souvent qu'il n'est pas nécessaire
d'en citer des exemples.
La promesse ou le voeu est l'une des formes sous lesquelles on fait
appel à Allah pour nous sortir du pétrin. La tenue ou le
respect de la promesse ou du voeu est un acte positif réclamé
par le Ciel. Et au contraire, le non-respect de la promesse faite lors
de la formulation d'un voeu, équivaut à un oubli, une ignorance
ou une négligence des Bienfaits divins, et un retour vers soi.
Le récit coranique, lorsqu'il met en évidence "ceux qui
tiennent leur promesse" après qu'il a abordé le Paradis,
établit un lien de cause à effet entre l'obtention de cette
position au Paradis et l'accomplissement de l'acte de "la tenue de la promesse",
et ce à un tel point qu'il confère le qualificatif de "pieux"
aux héros qui observent une telle conduite (la tenue de la promesse).
* * *
Le deuxième devoir est la crainte du Compte du Jour Dernier:
«Ils tiennent fidèlement leurs promesses et ils redoutent
un Jour dont le mal sera universel»(183).
Il ne fait pas de doute que la crainte du Compte constitue un trait
général des "pieux", du fait que le manquement dans les actes
d'adoration est à craindre toujours lorsqu'on sait qu'il est difficile
de s'acquitter de tout ce que mérite le Ciel pour les Bienfaits
infinis qu'IL nous accorde.
Mais le fait de lier ce trait au contexte de la tenue de la promesse
signifie qu'une importance particulière est conférée
à celle-ci et à son respect, lorsqu'elle est associée
à la crainte (au cas où la promesse ne serait pas tenue)
d'un Jour où "le mal sera universel".
Quant aux deux autres devoirs, le troisième et le quatrième,
ce sont: "l'offre de la nourriture aux démunis", et "le fait que
cette offre soit faite pour l'amour d'Allah et non pour s'attirer la gratitude
d'autrui".
Ces deux devoirs revêtent sans doute une grande importance, surtout
lorsqu'on remarque que le dernier devoir: "offrir la nourriture pour l'amour
d'Allah", a été présentée sous forme de monologue
intérieur prêté aux héros.
Le fait d'offrir le repas constitue en soi un acte révélateur
d'une tendance à sortir de l'égoïsme et à s'acheminer
vers l'altruisme. C'est un partage des soucis des autres, c'est une façon
de sympathiser avec eux. C'est une remise en cause du moi, et une tentative
de sortir de l'attachement à soi-même pour porter les soucis
des gens sur soi.
* * *
Il est à noter que le récit a présenté
trois types de démunis: "l'indigent", "l'orphelin" et "le captif",
chacun d'eux incarne une sorte particulière du besoin matériel,
associée à ses traits psychologiques.
Ainsi, l'indigent est celui qui manque de tout en général,
car il ne possède rien. L'orphelin est marqué par la perte
d'un père qui devrait l'entourer de ses soins affectifs et matériels.
Le captif se caractérise par un autre trait psychologique, à
savoir son dépaysement social.
Lorsque le récit choisit ces types de démunis qui, bien
qu'ils diffèrent dans leurs traits psychologiques, ont en commun
la pauvreté, il met en exergue l'importance de l'offre de la nourriture,
et sa contribution diverse à toutes les formes de la satisfaction
de leurs besoins, avec toute la joie que cela suscite chez chacun des pauvres
nourris, ainsi que chez les nourrisseurs eux-mêmes, lorsqu'ils seront
récompensés, le Jour Dernier, par la nourriture exquise du
Paradis, que le récit s'est évertué de décrire.
En d'autres termes, il faut que le lecteur se rende compte de l'équilibre
artistique dans le récit entre la satisfaction alimentaire que les
pieux procurent aux affamés, et la diversité de type d'affamés
d'une part, et la satisfaction alimentaire que le Ciel procure aux premiers
et la variété de sortes de satisfaction qui attend ces héros.
Cet équilibre architectural entre ceux qui nourrissent et ceux
qui sont nourris, dans le bas-monde, et la récompense qui attend
les premiers dans l'Autre-monde révèle l'un des aspects artistiques
que le lecteur de l'oeuvre coranique ne devrait pas manquer de remarquer.
En tout état de cause, lorsque le récit attire notre attention
sur l'importance du don alimentaire, il propose un concept particulier
à cet acte, à savoir que l'offre de nourriture doit être
faite pour l'amour d'Allah et non dans le but de se faire une bonne réputation
ou d'obtenir la gratitude des gens.
Tel est le quatrième et dernier des devoirs que le récit
a présentés. Mais ce devoir ou cet acte revêt une importance
primordiale dans le domaine de l'exercice au détachement de soi-même.
Aussi le récit lui a accordé une place particulière
et en a fait, le seul critère de la justesse de la conduite tout
en lui attribuant le mérite de la récompense du Jour Dernier
et lui appliquant le titre de "pieux", auquel ce récit lui a été
consacré, comme nous allons le voir bientôt.
* * *
Il y a différents types d'hommes qui font le don de nourriture
et qui distribuent de l'argent aux pauvres, mais cet acte en soi n'est
pas forcément révélateur d'une conduite saine ou d'une
marque d'abnégation chez le "bienfaiteur".
Bien plus, le don de la nourriture et la générosité
en général pourraient devenir un indice d'un défaut
chez le donateur, lorsque celui-ci vise par son acte de générosité
à redorer son image ou à arracher des remerciements. En d'autres
termes il recherche, en agissant ainsi, une satisfaction personnelle et
ne fait que s'enfoncer dans son égocentrisme.
Un tel "bienfaiteur" ou un tel "donateur généreux", n'est
pas dans, le fond différent d'un avare qui refuse de dépenser
ce qu'il possède. En effet, l'avare recherche à satisfaire
son soi et reste égocentrique en s'efforçant de s'attirer
tout ce qui réalise un gain pour lui-même. Or une telle attitude
est considérée comme un trait d'aberration.
Celui qui prodigue son argent pour se forger une position sociale ou
pour qu'on lui témoigne de la gratitude, est empreint de la même
marque d'aberration, car tout comme l'avare, il recherche à satisfaire
son moi et agit par intérêt. Tous les deux sont donc égocentriques.
La seule différence qui les départage, c'est que le donateur
recherche une satisfaction psychologique personnelle alors que l'avare
recherche la satisfaction matérielle personnelle.
C'est pourquoi, le récit qui nous occupe ici n'a pas abordé
la question de l'offre de la nourriture séparément de son
aspect sain; il a présenté le "nourrissement" de l'indigent,
de l'orphelin et du captif, associé au monologue intérieur
des héros du récit, qui se sont dit, comme s'ils s'adressaient,
dans leur for intérieur, aux bénéficiaires, et sans
le leur dire ni le leur montrer: «Nous vous nourrissons pour plaire
à Dieu Seul; nous n'attendons de vous ni récompense, ni gratitude».(184)
* * *
Le deuxième trait de l'art romanesque qui marque cette partie
du récit, c'est le procédé de répétition
concernant la crainte qu'inspire, aux pieux, le Compte, le Jour Dernier.
Ainsi, après avoir évoqué la nourriture que les héros
avaient offerte pour l'amour d'Allah, le récit s'est attaché
à prêter immédiatement, à ces derniers, les
propos suivants: «Nous redoutons de la part de notre Seigneur
un Jour menaçant et catastrophique».(185)
Or on sait que le récit a déjà mentionné,
le fait que ces héros redoutaient ce Jour à une autre occasion:
«ils tiennent leurs promesses, ils redoutent un Jour dont le mal
sera universel».(186)
Cette répétition veut signifier que chacune de leurs actions
ou chacun de leurs gestes est associé à la crainte du Compte
du Jour Dernier, et confirme par la même occasion que le ""nourrissement""
est un acte accompli uniquement pour satisfaire Allah, et ce à tel
point qu'ils craignent en permanence de devoir Lui rendre des comptes pour
tout geste dont se dégage la moindre odeur d'égoïsme.
Il y a un troisième trait artistique qui mérite d'être
souligné et appelle à la réflexion, à savoir
le procédé de dialogue que le récit a utilisé
à propos du "nourrissement" pour l'amour d'Allah et rien d'autre.
En effet, le récit a recouru au procédé de narration
lorsqu'il a abordé la question de la tenue de la promesse, alors
qu'il a présenté celle du "nourrissement" sous forme de dialogue.
Dans le cas du "nourrissement", le récit a relaté la crainte
que le Jour du Compte inspire aux pieux: «Ils tiennent leurs promesses
et ils craignent un Jour dont le mal sera universel».
Tandis que dans celle du "nourrissement", il a donné la parole
aux héros pour qu'ils s'expriment eux-mêmes: «Nous
vous nourrissons pour plaire à Allah Seul; nous n'attendons de vous
ni récompense, ni gratitude».(187)
«Nous redoutons de la part de notre Seigneur un Jour menaçant
et catastrophique».(188)
Ce passage du procédé de narration au procédé
de dialogue revêt sans aucun doute une grande importance dans la
mesure où il permet de dégager, comme on va le voir, les
significations idéologiques que le récit vise. Quelle est
cette importance?
D'aucuns pourraient dire, relativement aux héros du récit,
que lorsque ceux-ci avaient fait une promesse à Allah, le problème
de la tenue de cette promesse restera une affaire entre eux et leur Créateur
et ne s'étendra pas à d'autres. Toute l'affaire consiste
en un jeûne de trois jours, et il fut accompli convenablement. Ceci
ne requiert ni dialogue ni personnages.
En revanche, la question du "nourrissement" a trait à d'autres
personnages, "l'indigent", "l'orphelin" et "le captif" à qui le
repas est offert, ce qui a nécessité qu'on dise à
leur attention, les propos suivants, soit en leur adressant la parole directement,
soit en parlant à soi-même silencieusement, soit en formant
la parole mentalement: «Nous vous nourrissons pour plaire à
Allah, ... nous redoutons ...».
Les textes de tafsîr jettent sur ce sujet suffisamment de lumière
pour permettre de le comprendre clairement. Certains de ces textes affirment
que l'un des personnages, l'Imâm 'Alî (p) s'est adressé
à Allah dans les termes suivants, après avoir offert le repas:
«Ô notre Dieu, remplace notre repas que nous avons manqué
par ce qui en est meilleur».
Mais comme on peut le constater, cette affirmation, en supposant que
ledit tafsîr soit crédible, relie ce dialogue à
Allah et non aux pauvres à qui cet énoncé: «Nous
vous nourrissons pour plaire à Allah ...» est manifestement
adressé.
D'autres textes de tafsîr nous donnent une explication
plus pertinente en affirmant: «'Alî (p) n'a jamais prononcé
ni formé cette parole «Nous vous nourrissons pour plaire
à Allah; nous n'attendons de vous ni récompense, ni gratitude»,
mais c'est Allah Qui a su que, dans son coeur (esprit ), 'Alî (p)
a nourri pour plaire au Ciel, et IL lui a fait savoir ce qu'IL sait de
ce qui se passe dans son coeur et qu'il ne prononce pas.
Selon un autre texte exégétique: Par Allah, ils ('Alî,
Fâtimah, al-Hassan et al-Hussain) n'ont pas prononcé ces propos.
Ils les ont formés dans leurs esprits seulement, mais c'est Allah
Qui les a informés de ce qu'ils avaient formé mentalement.
Ces deux derniers textes de tafsîr, éclaircissent complètement
le sujet, en affirmant que les héros n'ont pas adressé ces
paroles aux indigents, ou bien plus, ils ne les ont pas même dits
silencieusement à eux-mêmes, mais qu'ils les ont conçus
dans leurs esprits, et qu'Allah a su ce qu'ils ont pensé et l'a
fait savoir.
La question qui se pose encore est: Quelle est l'explication artistique
d'un tel monologue intérieur?
* * *
La valeur de l'art romanesque s'affirme ici clairement, lorsque nous
réalisons que le récit décèle de lui-même
et sans le concours des textes de tafsîr, ses traits artistiques
à travers le mode de présentation des héros et de
leur façon de penser, de telle sorte que le lecteur puisse en induire
plus d'une signification, même sans avoir recouru à l'exégèse.
Tout lecteur averti que l'expérience lui a appris à apprécier
une oeuvre romanesque, peut, sans trop de peine, conclure que nos héros
n'ont pas prononcé la parole «Nous vous nourrissons ...
etc», «Nous redoutons de la part de notre Seigneur ...»,
puisque rien dans le récit ne justifierait le contraire.
Ainsi, les trois indigents étaient venus l'un après l'autre
et non en même temps, ni ensemble pour qu'on ait pu leur adresser
les propos en question à la troisième personne du pluriel;
de même, les trois démunis qui ne possédaient pas,
de toute évidence, de quoi nourrir les autres, ne se trouvaient
donc pas en situation qui permette qu'on leur adresse le prêche contenu
dans le monologue.
Pour toutes ces raisons et d'autres, la parole adressée à
leur intention ne peut être, sur le plan de la technique romanesque,
qu'un monologue intérieur et non un élément de dialogue
avec l'indigent, l'orphelin et le captif.
Mais la question qui se pose maintenant est pourquoi le récit
a-t-il utilisé ici l'élément de dialogue, et ne l'a
pas fait à propos de l'énonciation du thème de la
"tenue de la promesse" alors que les deux cas traduisent une même
situation: la relation des héros s'est limitée à Allah
et à personne d'autre?
* * *
A notre avis, le récit vise à attirer notre attention
sur l'importance de l'offre de nourriture ou de toute attitude qui porte
intérêt à autrui, par amour pour Allah et non dans
l'intention d'attirer pour soi l'estime ou la gratitude. Dès lors
un tel acte requiert une formation intérieure ou mentale de l'intention
(et non une extériorisation ou une déclaration de cette intention),
qui naît et se meut dans le cadre des sentiments.
En outre, lorsque le récit laisse les personnages eux-mêmes
présenter dans leur langage leurs sentiments, il crée un
grand effet chez lecteur, effet qui le conduit à réformer
sa conduite et à vivre avec une telle vérité en se
la répétant au fond de lui-même chaque fois qu'il accomplit
un acte de bienfaisance envers autrui, en dialoguant avec lui-même:
«Je l'ai fait pour Allah» ou en adressant sa pensée,
mais sans la traduire en paroles prononcées, aux bénéficiaires
de son acte de générosité: «J'ai fait cela pour
plaire à Allah et non à vous».
Dans notre vie quotidienne, nous formons mentalement de milliers de
pensées sans en parler à personne. Bien plus, la pensée
elle-même est un langage non prononcé. L'importance de la
transmission des pensées aux autres à travers le monologue
intérieur est très familière aux lecteurs du "roman
psychologique" moderne, qui s'est développé dans la troisième
décennie de notre siècle, et qui accorde une telle importance
ou place au monologue intérieur, que celui-ci constitue parfois
la quasi-totalité du tissu du roman.
En résumé, lorsque le récit coranique nous a transmis
par la bouche des héros une parole qu'ils n'ont pas prononcée,
mais qu'ils ont formée mentalement ou conçue sous forme de
pensées qu'il a traduite lui-même en langage vivant, il a
utilisé les courbes du langage de l'esprit auxquelles nous devons
nous arrêter longuement pour découvrir leur importance artistique
et comprendre par ce biais les idées que le récit veut nous
faire parvenir, concernant la fonction que le Ciel a assignée à
l'homme sur la terre, laquelle fonction n'est autre que sa mise à
l'épreuve.
Récapitulons pour mieux comprendre ce qui vient d'être
avancé. Nous avons déjà dit que lorsque les "Pieux"
ou les héros d'Ahl-ul-Bayt (p) ont nourri l'indigent, l'orphelin
et le captif, en disant: «Nous vous nourrissons pour plaire à
Allah; nous n'attendons de vous ni récompense, ni gratitude. Nous
redoutons de la part de notre Seigneur un Jour menaçant et catastrophique»,(189)
ils n'ont pas prononcé ces paroles, selon les textes de tafsîr,
mais que c'est Allah Qui a su ce qu'ils ont pensé, et que c'est
le récit qui a transcrit leur pensée sous cette forme langagière.
Il nous appartient, maintenant après avoir expliqué brièvement
quelques données de ce genre de monologue intérieur, de l'étudier,
d'une façon plus exhaustive, en raison de l'importance de ce procédé
littéraire auquel a recouru le récit coranique, procédé
dont les subtilités artistiques avaient échappé aux
anciens rhétoriciens et critiques à cause de la limite des
connaissances scientifiques de leur époque.
Les critiques modernes se sont rendus compte (en raison du développement
des connaissances psychologiques dès le début du 20e siècle)
de l'importance et des secrets des activités de l'esprit ainsi que
de la façon de leur organisation et de leur soumission tantôt
à la conscience tantôt à l'inconscience, à travers
ce qu'on appelle en terminologie psychologique, l'association d'idées.
Ils ont en outre perçu la nature des idées et leur lien avec
le langage exprimé ou non exprimé, c'est-à-dire les
idées qui prennent forme dans l'esprit sans qu'elles soient transférées
vers l'appareil phonatoire.
Il est évident que la transmission des idées - telles
qu'elles sont élaborées dans l'esprit - aux autres est une
opération difficile à réaliser avec précision
en raison du chaos du processus de la pensée et sa non-soumission
à un ordre uniforme ou monotone, car l'homme peut penser à
la troisième personne (il, elle), puis changer subitement pour élaborer
sa pensée à la deuxième personne (tu, vous), et passer
sans délai à la première personne (je, nous), et ainsi
de suite.
Le processus de l'association d'idées que certains romanciers
modernes ont essayé de traduire en oeuvre romanesque à travers
le monologue intérieur prolongé et dépouillé
d'une suite logique est sans doute l'une des tentatives de la traduction
du processus de la pensée, avec son déplacement d'un pronom
personnel à l'autre, et ses sauts d'un sujet à l'autre qu'impose
le mécanisme de cette association d'idées, mais s'avère
être, en fin de compte, sans aucun doute très utile pour la
découverte des tréfonds de l'homme, de la nature de ses sentiments,
surtout lorsqu'on sait qu'aucun autre moyen n'est possible pour faire cette
élucidation, tant que l'homme continue de penser avec un langage
non exprimé par la parole.
Ce qui nous importe ici, c'est d'attirer l'attention sur le fait que
si le récit coranique nous a présenté les pensées
des héros (c'est-à-dire l'énoncé «Nous
vous nourrissons pour plaire à Allah; nous n'attendons de vous ni
récompense ni gratitude»), sous une forme non prononcée,
c'est parce que ce procédé est une vérité psychologique
qui renferme des secrets qu'il est nécessaire de faire connaître
afin de nous en servir dans notre conduite.
* * *
Un individu pourrait bien parler à lui-même en se disant
(mais sans le prononcer): «J'ai nourri ce pauvre pour la Face d'Allah».
Il pourrait aussi destiner la parole suivante (mais sans la prononcer ou
sans qu'on l'entende) à un pauvre: «Je t'ai nourri pour plaire
à Allah».
Il pourrait également penser d'une façon vague et imprécise
à un sujet spécifique "l'offre de nourriture au pauvre pour
la Face d'Allah", sans que cette pensée soit conçue sous
forme d'un vocabulaire déterminé, mais plutôt en termes
de concepts - tels ceux qui passent par sa tête tout au long de son
éveil et de son état de conscience, à propos de ce
qui se passe autour de lui.
La question qui se pose maintenant est: les héros d'Ahl-ul-Bayt
(p) «en nourrissant les pauvres» et en formant alors leur pensée
à la deuxième personne (vous): «Nous vous nourrissons»
pour plaire à Dieu; nous n'attendons de vous ni récompense
ni gratitude», leur pensée était-elle porteuse
d'une signification particulière pour que le récit la mette
en exergue de sorte que le lecteur la perçoive clairement et s'en
serve pour façonner et corriger sa conduite chaque fois qu'il accomplit
un acte d'adoration?
Il est indubitable que les personnes visées par le pronom personnel
"vous", en l'occurrence, "l'indigent", "l'orphelin" et "le captif" n'ont
pas entendu les propos conçus à leur adresse mais non traduits
en parole prononcée, ce qui signifie par conséquent que le
fait de penser dans un langage au vocatif revêt une importance certaine,
dans un tel cas, sur le plan de la qualité de l'acte d'adoration
chez l'homme.
A notre avis, l'importance artistique d'un tel monologue intérieur
adressé aux "pauvres" tient au fait que lorsque les héros
qui sont soucieux d'aider ces derniers (les pauvres), s'adressent à
eux (mentalement seulement), c'est pour exprimer leur souci d'aider autrui,
mais que, étant donné qu'ils ne recherchent ni la gratitude
des pauvres ni aucune considération mondaine, ils ne traduisent
pas leur souci de bienfaisance en langage parlé, mais se contentent
de s'adresser à eux par la pensée.
Or, il n'y a aucun doute qu'une telle noble attitude revêt une
grande importance. Elle révèle la tendance philan-thropique
de l'homme, montre le souci des pieux d'aider les autres et de subvenir
à leurs besoins, à un tel degré que ce souci occupe
une surface d'autant plus grande de leur pensée qu'il risque de
déborder et de se trouver sur le point de s'exprimer en paroles
adressées directement aux autres et traduisant un amour altruiste
exubérant.
Mais étant donné que leur amour d'autrui émane
de leur amour pour Allah, ils le gardent pour eux-mêmes, et ne le
déclarent pas aux autres; il ne s'exprime que sous forme de monologue
intérieur ou au niveau de la pensée.
Telle est donc la subtilité artistique du recours à ce
monologue intérieur que le récit a prêté à
ses héros pieux pour nous conduire, nous les lecteurs, à
revoir notre attitude et à la calquer sur celle de ces héros,
lorsque nous apportons notre aide aux autres et à pourvoir à
leurs besoins, et dans tous nos actes d'adoration. Car, autre-ment, tout
acte d'adoration qui s'associerait au désir d'obtention d'un témoignage
de reconnaissance ou d'un acquis personnel, la considération sociale,
par exemple, perdra tout son effet auprès d'Allah.
* * *
Là, le récit touche à sa fin, pour ce qui concerne
les héros qui y évoluaient. Il a commencé par la présentation
des Pieux et du milieu (le Paradis) qui leur est préparé:
«Les Pieux boiront à une coupe dont le mélange sera
de camphre. Les serviteurs d'Allah boiront à des sources qu'ils
feront jaillir à leur convenance».(190)
Puis, il a quitté le Paradis et sa boisson avec ses coupes et ses
sources, pour ramener les péripéties vers la vie ici-bas,
où il nous a décrit par un procédé romanesque
original que nous avons déjà expliqué, l'aspect de
la conduite des héros, pour lequel le titre de pieux leur fut décerné
et cette position enviable de Paradis leur fut accordée.
Maintenant le récit retourne au milieu du Paradis pour en poursuivre
la description:
«Mais Dieu les a protégés du malheur de ce Jour.
IL leur fera rencontrer la fraîcheur et la joie.
»IL les a récompensés pour leur patience en leur
donnant un Jardin et des vêtements de soie».(191)
Nous nous rappelons que les héros avaient fait part de leur crainte:
«Nous craignons de la part de notre Seigneur un Jour menaçant
et catastrophique».
Et voilà que le Ciel les rassure: «Mais Dieu les a protégés
du malheur de ce Jour».
Mieux, voilà que le Ciel les récompense aussi pour avoir
agi par amour pour Allah: «IL leur fera rencontrer la fraîcheur
et la joie», et poursuit la description du Paradis par lequel
ils ont été récompensés: «IL les récompensera
pour leur patience en leur donnant un Jardin et des vêtements de
soie».
Puis le Ciel continue à exposer les détails pittoresques
du confort et du luxe du Paradis par lequel il les a récompensés:
«Là, accoudés sur des lits d'apparat, ils n'auront
à subir ni soleil ardent ni froid glacial,
»Ses ombrages seront à proximité et ses fruits
inclinés très bas, pour être cueillis.
»On fera circuler parmi eux des vaisseaux d'argent et des coupes
de cristal,
»de cristal; d'argent et remplies jusqu'au bord.
»Ils boiront une coupe dont le mélange sera de gingembre
puisé à une source nommée là-bas: "Salsabîl".
»Des éphèbes immortels circuleront autour d'eux.
Tu les compareras, quand tu les verras, à des perles détachées.
»Quand tu regarderas là-bas, tu verras un déclic
et un faste royal.
»Ils porteront des vêtements verts, de satin et de brocart.
Ils seront parés de bracelets d'argent. Leur Seigneur les abreuvera
d'une boisson très pure.
»"Cela vous est accordé comme une récompense.
Votre zèle a été reconnu!"»(192)
Avant de traiter de ces détails du milieu paradisiaque, il faudrait
attirer l'attention sur les descriptions et scènes consacrées
à tous les instruments de la boisson et qu'on ne retrouve, nulle
part ailleurs que dans ce récit en particulier, ce qui permet de
déduire que cette particularité se rapporte à la nature
de la conduite des pieux (les héros de ce monde), aux données
du monologue intérieur conçu par les héros en proclamant
dans leur tréfonds: «Nous vous nourrissons pour plaire
à Allah, nous n'attendons de vous ni récompense ni gratitude.
Nous craignons de la part de la part de notre Seigneur un Jour menaçant
et catastrophique ...».
Ce monologue dont nous avons expliqué la valeur artistique (du
fait qu'il décèle les secrets du processus de la pensée)
a trait aux petits détails de la description propre, à ce
récit, ce qui peut nous servir de modèle à suivre
et nous amener à réformer notre conduite vis-à-vis
de notre tâche de lieutenance sur cette terre, comme Allah nous l'a
demandé.
Nous avons dit que la Sourate "Al-Insân" (L'Homme) ou le récit
des "Pieux" qu'elle renferme, demeure de tous les récits coraniques
celui qui comprend la plus importante description du Paradis, des détails
pittoresques de ses bienfaits et de son bien-être: les boissons,
les mets, les demeures, les vêtements.
Le lecteur n'a pas besoin de faire un grand effort de réflexion
pour comprendre la raison de ces détails descriptifs du milieu paradisiaque
qui caractérisent ce récit, étant donné que
celui-ci met en scène des "pieux" qui ont offert leurs repas à
l'indigent, à l'orphelin et au captif, et préféré
la faim et la soif pour eux-mêmes afin d'apaiser la faim des autres,
et que subséquemment (à leur endurance et à leur privation)
Allah les a récompensés par leur rassasiement dans l'autre
monde, de telle sorte que la grandeur de la récompense (rendue par
la densité et la richesse de la description) corresponde à
la grandeur du mérite de l'acte d'abnégation et d'altruisme
des héros.
Pour que le lecteur réalise clairement la richesse et l'opulence
des bienfaits qui ont été préparés pour les
pieux, il est nécessaire d'en examiner les détails plus exhaustivement:
Le récit a exposé six besoins relatifs aux pulsions vitales
(biologiques) de l'homme. Les uns sont essentiels (selon notre critère
humain), d'autres secondaires. Ces besoins sont:
1- L'eau;
2- La nourriture;
3- Le logement;
4- Le vêtement;
5- Les services;
6- La beauté (l'esthétique) (par "beauté" nous
entendons le sens esthétique chez l'homme concernant les paysages
de la nature et les articles de bien-être dont il se sert pour satisfaire
ses différents besoins).
Il est évident qu'au-delà de ces six besoins, il n'y en
a pas d'autres (sauf le besoin sexuel) dans le cadre du milieu où
l'homme de ce bas-monde ou celui de l'autre monde vivent. Notons au passage
que le récit a mis l'accent sur certains besoins plus que sur d'autres
et que cette insistance a une explication artistique que nous devons connaître,
après qu'on aura compris la raison du soulignement de la diversité
du bien-être et de son lien avec la conduite terrestre des héros,
conduite à travers laquelle ils ont enduré les difficultés
de la vie, et pour laquelle ils ont été récompensés
par les merveilles du bien-être paradisiaque. De même, on peut
remarquer aussi l'absence de l'élément "femme" parmi lesdits
besoins, et on doit en rechercher et connaître la raison.
* * *
Voici quelques exemples de ces six besoins :
1- L'Eau
- «Les pieux boiront à une coupe dont le mélange
sera de camphre. Les serviteurs de Dieu boiront à des sources qu'ils
feront jaillir à leur convenance».(193)
- «On fera circuler parmi eux des vaisseaux d'argent et des
coupes ...».(194)
- «Ils boiront une coupe dont le mélange sera de gingembre».(195)
- «Puisée à une source nommée là-bas
"Salsabîl"».(196)
- «Leur Seigneur les abreuvera d'une boisson très pure».(197)
2- La Nourriture
- «Ses ombrages seront à proximité et ses fruits
inclinés très bas pour être cueillis».(198)
3- Le Logement
- «Là, accoudés sur des lits d'apparat, ils n'auront
à subir ni soleil ardent, ni froid glacial».(199)
- «Quand tu regarderas là-bas tu verras un délice
et un faste royal».(200)
4- Le Vêtement
- «Ils porteront des vêtements verts, de satin et de
brocart. Ils seront parés de bracelets d'argent».(201)
5- Les Services
- «Des éphèbes immortels circuleront autour d'eux.
Tu les compareras, quand tu les verras, à des perles détachées».(202)
6- Le Besoin Esthétique
Ce besoin comprend la variété et la diversité des
moyens de satisfaction de chacun des besoins énumérés,
comme la variété des ustensiles utilisés pour s'abreuver
: coupes, carafes etc. ; la variété des vêtements:
satin, brocart, bracelets, etc.
La première remarque qu'appelle ce qui précède
est que l'eau (et les ustensiles dans lesquels elle est servie) constitue
un élément dominant tous les autres besoins, et ce autant
par la profusion des détails la concernant que par la diversité
des ustensiles utilisés dans sa consommation, que par la variété
de l'eau elle-même, que par sa place dans l'ordre de la présentation
des besoins mis en exergue.
La motivation artistique de cette dominance tient, comme nous l'avons
déjà signalé brièvement au passage, au fait
que la pulsion de la soif chez l'être humain est considérée
comme la plus pressante de toutes les autres pulsions vitales, telles que
la faim, le sexe, la beauté etc. De là donc l'importance
de la place réservée par le récit à l'eau,
à la variété de ses ustensiles et à la mention
de tous les détails qui lui sont attachés.
Cette dominance apparaît clairement lorsque nous constatons que
la variété concerne tout d'abord la qualité de l'eau:
elle est tantôt mélangée au camphre, tantôt au
gingembre, et tantôt elle est "Salsabîl".
La variété concerne ensuite ses instruments: "vaisseaux",
"coupes", "calices", et la matière de ces instruments: "verre",
"argent".
La variété concerne aussi son apparence: elle est présentée
comme des "sources" que l'on fait jaillir à sa convenance.
La variété concerne enfin sa valeur: «boisson très
pure».
Donc, il y a une eau qui incarne «une boisson pure», que
«l'on fait jaillir à sa convenance», qui «coule
comme un "Salsabîl"», qui est «mélangée
au camphre et au gingembre», et servie dans «des vaisseaux»,
«des coupes», «un calice», «verres»
lesquels sont tous en argent transparent qui permet de voir leur contenu
de l'extérieur.
Lorsqu'on médite un peu sur toutes ces descriptions pittoresques
et minutieuses, sur toutes ces images évocatrices, sur tous ces
traits particuliers, on ne peut qu'être ébloui et émerveillé(203)
par ce grandiose art romanesque coranique où chaque détail
est significatif, chaque mot est révélateur et chaque trait
stylistique est chargé de message.
Si nous examinions tous les détails relatifs aux autres besoins,
nous nous rendrions compte qu'ils suivent le même procédé,
mais d'une façon moins exhaustive et moins détaillée.
Il n'est donc pas nécessaire de nous répéter, étant
donné que nous venons d'étudier le lien entre le plus impérieux
de ces besoins vitaux de l'homme, en l'occurrence, l'eau, et la conduite
terrestre de l'être humain, lien qui met en évidence la corrélation
ou la correspondance entre les héros qui sacrifient leurs propres
besoins et endurent les difficultés de la vie (dont la faim et la
soif) pour satisfaire les besoins des autres, et la récompense qui
les attend dans l'autre monde. Plus le sacrifice est grand et motivé
par l'amour d'Allah, plus la récompense est grandiose.
Il ne faut pas oublier que les héros ou les pieux mis en scène
dans le récit ont accompli un devoir d'adoration, à savoir
le jeûne votif avec tout ce que le jeûne implique de soif et
de faim; puis ils ont accompli un autre devoir d'adoration, en l'occurrence,
l'offre de nourriture aux pauvres dans des circonstances particulières
à un moment où ils avaient eux-mêmes un besoin impérieux
de s'alimenter (après chaque journée de jeûne), mais
ils ont préféré offrir leur repas aux nécessiteux
et supporter la faim et la soif. Donc le don de nourriture ne s'est pas
produit lors d'un repas ordinaire, mais d'un repas de jeûne dont
la particularité tient au fait qu'il est pris après de longues
heures de faim et de soif.
Il faut donc tenir compte de tous ces détails significatifs sans
oublier le fait que le sacrifice consenti n'avait pour but que la satisfaction
d'Allah et ne visait nullement à en attendre, en retour, un avantage
personnel.
En effet, chacun de nous peut nourrir un homme qui a faim, mais cela
se produit surtout lorsque nous n'avons pas besoin nous-mêmes de
la nourriture offerte au pauvre.
De même chacun de nous peut alimenter un indigent, mais cette
générosité obéit souvent à des motivations
empreinte d'égoïsme. Mais offrir un repas à quelqu'un
d'autre alors qu'on a faim soi-même, c'est toute autre chose. Offrir
notre repas alors que nous avons faim, n'est pas du tout pareil au fait
d'offrir une alimentation dont nous n'avons pas besoin. Et offrir notre
repas dans ces circonstances difficiles uniquement pour plaire à
Allah et par "crainte d'un Jour menaçant et catastrophique", c'est
un acte d'un mérite exemplaire.
La Sourate de "L'Homme" dessine à la fin du récit un contraste
avec l'histoire des pieux en évoquant ceux qui «aiment
la vie éphémère et négligent un Jour grave»,(204)
qui préfèrent la vie d'ici-bas. Ils se détournent
de la vie de l'Au-delà (avec son bien-être irrésistible)
et préfèrent la vie terrestre avec toutes les lourdes conséquences
que cette attitude entraînera par la suite: «le mal universel»,
«menaçant et catastrophique».
Le message du récit est donc clair: l'homme doit prendre conscience
de la signification de sa vie et de ce pour quoi il a été
créé: tous nos actes doivent être accomplis pour plaire
à Allah, autrement ils sont nuls et non avenus.
Sourate (105) : L'Éléphant
Sourate (106) : Les Quraych
Le Récit des Gens de l'Éléphant
A- Les Sourates
Sourate l'Eléphant
Au Nom d'Allah, le Clément, le Miséricordieux
1 N'as-tu pas vu comment ton Seigneur a traité les
hommes de l'Éléphant ?
2 N'a-t-IL pas détourné leur stratagème
3 envoyé contre eux des bandes d'oiseaux
4 qui leur lançaient des pierres de sijjîl (d'argile)
?
5 IL les a ensuite rendus semblables à des tiges de céréales
qui auraient été mâchées».
Sourate les Quraych
Au Nom d'Allah, le Clément, le Miséricordieux
1 A cause du pacte des Quraych;
2 de leur pacte concernant la caravane d'hiver et d'été
!
3 Qu'ils adorent le Seigneur de cette Maison:
4 IL les a nourris;
IL les a préservés de la famine;
IL les a délivrés de la peur.
* * *
Ces deux très courtes sourates sont données pour n'en
faire qu'une par certains commentateurs ; mais si cette opinion ne fait
pas l'unanimité, les exégètes s'accordent pour affirmer
qu'elles sont quand même étroitement reliées l'une
à l'autre. La première d'entre elles fait allusion à
l'expédition de l'Eléphant, conduite par l'Abyssin Abraha,
vice-roi du Yémen, contre la Ka'bah, expédition que le Ciel
a tournée en déroute, pour protéger la Maison d'Allah
et ceux qui en avaient la charge, la seconde constitue un rappel à
ces derniers, les Quraych (les maîtres et les gardiens de ce lieu
saint) des privilèges et faveurs que le Seigneur leur a accordés,
et de leur devoir de reconnaissance envers leur Bienfaiteur. Ces événements
sont censés avoir lieu juste avant la naissance du Prophète,
soit approximativement en l'an 570(205).
Ils ont fait date et marqué le système de datation chez les
Mecquois. De là, on dit que le Prophète est né en
l'an de l'Eléphant, par référence à l'expédition
du même nom.
B- Le Récit
Le récit des "Gens de l'Éléphant" est réparti
sur deux petites Sourates : La Sourate de l'Éléphant (Al-Fîl),
et la Sourate des Quraych.
Cette répartition (du récit sur deux sourates) recèle
une signification sur le plan de l'art romanesque, signification que nous
aurons l'occasion de découvrir au cours du développement
de ce récit.
Signalons, toutefois, tout de suite que le Législateur (Allah)
nous demande de fusionner ces deux Sourates et de les réciter -
pendant la prière rituelle - en tant qu'une seule sourate, tout
comme IL l'a fait pour les sourates 93 et 94: "Al-Dhohâ" et
"Alam Nachrah".
Cette fusion demandée par le Législateur apporte un premier
éclaircissement à cette signification artistique, car, le
fait que les deux sourates se lisent en tant qu'une sourate dans la prière
rituelle laisse percevoir qu'il y a unité entre les deux récits
ou tout du moins des lignes communes, unité ou lignes communes dont
le chercheur peut ignorer la cause originelle, tout en étant capable
d'en saisir quelques raisons d'ordre romanesque, puisque les deux sourates
parlent d'une seule et même chose, à savoir l'attaque d'Abraha
contre la Mecque en vue de la destruction de la Ka'bah, l'échec
de cette attaque, l'anéantissement de l'armée d'Abraha, le
lien de cet événement avec une classe sociale de la Mecque,
"Les Quraych" et l'attitude future de cette classe vis-à-vis du
Message de l'Islam.
En tout cas, l'unité des deux sourates, de même que leur
séparation obéissent à des subtilités artistiques,
comme nous allons le constater.
Lisons tout d'abord le récit tel qu'il se présente à
travers les deux sourates:
I- Sourate l'Eléphant
Au Nom d'Allah, le Clément, le Miséricordieux
1 N'as-tu pas vu comment ton Seigneur a traité les
hommes de l'Éléphant ?
2 N'a-t-IL pas détourné leur stratagème
3 envoyé contre eux des bandes d'oiseaux
4 qui leur lançaient des pierres de
sijjîl (d'argile)?
5 IL les a ensuite rendus semblables à des tiges de céréales
qui auraient été mâchées».
II- Sourate les Quraych
Au Nom d'Allah, le Clément, le Miséricordieux
1 A cause du pacte des Quraych;
2 de leur pacte concernant la caravane d'hiver et d'été!
3 Qu'ils adorent le Seigneur de cette Maison:
4 IL les a nourris;
IL les a préservés de la famine;
IL les a délivrés de la peur.
Maintenant résumons ce texte, en tant que tel et avant de nous
référer aux données de tafsir (exégèse,
interprétation), pour voir quels sont les héros, les péripéties
et les situations que nous pouvons y relever en tant que lecteur d'un récit
littéraire.
Le texte romanesque nous dit qu'il y a un groupe ou un rassemblement
d'hommes, les "Gens de l'Éléphant", que leur stratagème
a été retourné contre eux-mêmes, lorsque le
Ciel a envoyé sur eux des formations d'oiseaux qui les ont bombardés
avec des pierres d'une telle dureté que les corps des assaillants
furent mis en pièces, et rendus pareils à des céréales
mangées par les montures, et expulsées sous forme de crottin
qu'elles ont piétiné.
Tout ceci afin de préserver le Bienfait accordé par Allah
à un peuple, en l'occurrence, les Quraych, lesquels avaient bénéficié
d'un autre Bienfait divin, à savoir les caravanes commerciales d'hiver
et d'été, qui leur permettaient de vivre dans la tranquillité,
à l'abri de la faim et de toute menace de razzias des ennemis.
Jusqu'ici, le lecteur de ce récit peut déduire que cette
histoire se rapporte à un peuple (les Quraych) et à la Ka'ba
à l'ombre de laquelle vit ce peuple.
De l'apparence du récit, tout ce que le lecteur comprend se résume
ainsi: il y a une attaque des ennemis (les Gens de l'Éléphant)
qui visaient la Maison Sacrée et ils ont été anéantis;
les Quraych ont eu la vie sauve en conséquence, et ont pu préserver
leur vie économique à travers les caravanes d'hiver et d'été;
ils devraient par conséquent, apprécier ces Bienfaits qu'Allah
leur avait prodigués, et adorer le Seigneur de cette Maison, Qui
les a mis à l'abri de la faim et de la peur.
En dehors de ces éléments, le lecteur ignore tous les
détails relatifs aux causes de l'attaque, à la détermination
de l'identité des assaillants et du lien du personnage animal (l'éléphant)
avec lesdits assaillants; de même qu'il ignore les détails
relatifs aux caravanes d'hiver et d'été et au lien de ces
caravanes avec la péripétie de l'attaque.
Cependant l'ignorance de ces détails, n'empêche pas le
lecteur de déduire la signification morale ou idéologique
du récit, laquelle vise à attirer l'attention sur le fait
que les Bienfaits d'Allah sont innombrables, qu'Allah est à l'affût
de quiconque a la moindre velléité de porter atteinte aux
lieux saints, et que ceux qui ont vécu sous l'égide de la
Maison Sacrée ne doivent pas oublier ces Bienfaits.
Cette signification (morale ou idéologique) se dégage
avec d'autant plus d'évidence que le récit omet de présenter
des détails techniques que les textes de tafsir se chargent
d'expliquer et que le lecteur averti peut deviner en s'ingéniant
à en rechercher les indices à travers les procédés
artistiques de ce texte romanesque concis, comme nous allons le voir tout
de suite.
* * *
Les textes de tafsir nous informent qu'Abraha qui était
le Gouvernant éthiopien du Yémen avait décidé
de détruire la Ka'ba en raison de sa foi tortueuse et pour d'autres
motifs qu'il n'est pas utile d'introduire ici. Aussi marcha-t-il, à
la tête de son armée dirigée par un éléphant
- dont il vantait les mérites publiquement - sur la Mecque. Mais
au lieu de se montrer à la hauteur des espoirs mis en lui, l'éléphant
s'est couché et a refusé d'entrer dans la Ka'ba. Cette péripétie
constitue le premier signe de l'échec de l'attaque.
Cependant il y a une autre péripétie qui contrairement
à la précédente, présente un indice du cheminement
triomphal de la marche de l'ennemi, puisque d'après certains textes
de tafsîr, il semblerait que les Quraych aient été
terrifiés par cette marche, et qu'ils se soient réfugiés
sur les sommets des montagnes en se disant: nous ne pouvons pas affronter
ces gens (de l'éléphant).
Une troisième péripétie a accompagné cette
action militaire: l'armée des assaillants s'était emparée
des chameaux de 'Abdul-Muttalib, lequel était resté, avec
quelques autres, pour garder la Maison Sacrée. Aussi 'Abdul-Muttalib
a-t-il demandé à Abraha de lui restituer ses chameaux, demande
qui laissa une impression négative chez ce dernier, lequel lui dit
à peu près ceci: «Je croyais que tu allais me demander
de quitter la Ka'ba, mais tu me surprends en me réclamant quelque
chose d'intérêt personnel. Là 'Abdul-Muttalib lui aurait
répondu: «La Maison a Son Seigneur qui se charge de sa protection»(206).
Cette réponse équivaut également à un indice
de l'échec de l'attaque, puisque l'affaire est abandonnée
désormais au Seigneur de la Maison.
Il y a d'autres détails relatifs à l'assaut, à
ses préliminaires et ses équivoques que les textes exégétiques
mentionnent, mais dont nous nous passons, puisque seule leur valeur d'indices
nous intéresse ici, car ces indices montrent d'une part que l'attaque
s'était soldée par un échec et d'autre part que les
Quraych n'ont pas contribué à la riposte de cette attaque,
laquelle riposte consistait essentiellement en l'intervention divine qui
a conduit à l'anéantissement des assaillants de la façon
décrite par le récit.
Il est à noter que ces détails rapportés par les
textes d'exégète, mais omis dans le récit, n'influent
pas sur les significations essentielles du récit, lequel y a fait
brièvement allusion en se contentant 'évoquer les Quraych,
la riposte à l'attaque et la prévenance du Ciel en général
pour la Maison Sacrée et pour les gens qui vivent sous ses auspices.
Toutefois, nous ne devons pas perdre de vue les significations des détails
que nous avons rapportés à savoir: l'attitude de l'éléphant
en se couchant, la réponse de 'Abdul-Muttalib à Abraha, la
fuite des Quraych vers les sommets des montagnes etc., car tous ces détails
indiquent que la "Protection du Ciel" tranche le problème à
la base, et que cette Protection et les Bienfaits de la sécurité
et du rassasiement accordés par Allah aux Quraych doivent être
appréciés à leur juste valeur par ces derniers lorsqu'ils
traitent avec Allah, surtout à une époque où la Mecque
vit des événements et des épisodes relatifs au Message
de l'Islam, (entre autre l'attitude des Quraych eux-mêmes vis-à-vis
de ce Message) - annoncé par le Prophète Mohammad (P).
Donc, les Quraych, et la nouvelle attitude vis-à-vis du Message
de l'Islam est l'étape par laquelle se termine le récit,
comme nous allons le voir.
Le récit des "Gens de l'Éléphant" a débuté
par la scène de l'échec de la Campagne d'Abraha contre la
Ka'ba. Cet échec n'était pas dû aux prouesses de "héros
humains" rendus sur-le-champ d'honneur pour riposter à l'agression,
mais à des paumes, des ailes, des dents et des becs canins de "héros"
appartenant à un genre particulier: les oiseaux.
Signalons au passage que les oiseaux en tant que héros n'ont
pas joué un rôle spécifique uniquement dans ce récit,
mais avaient beaucoup de rôles variés dans d'autres récits
aussi, notamment dans le récit de Dâwûd (David) et celui
de Sulaymân (Salomon). Tantôt ils partagent avec les humains
des pratiques d'adoration orales ou méditatives, tels que la glorification
et la repentance, comme c'est le cas dans les récits de Dâwûd,
tantôt ils exercent une activité de mise en valeur, politique
ou militaire, comme c'est le cas dans les récits de Sulaymân,
tantôt ils s'adonnent à ces différentes sortes d'activités
conjointement avec les humains, comme c'est le cas dans les récits
de Sulaymân, tantôt ils jouent leur rôle indépendamment
des humains, comme c'est le cas dans le récit des "Gens de l'Eléphant".
Dans ce dernier récit, les "héros" (les oiseaux) se sont
dirigés vers le champ de bataille, sur ordre du Ciel. Le champ de
bataille, ne se situait pas sur la terre, mais dans l'air. Ainsi, de même
que les héros de la bataille n'étaient pas des humains, mais
des oiseaux, de même leur champ de bataille n'était pas la
terre mais l'air. Leurs armes également n'étaient pas des
armes ordinaires ou familières, mais des armes étranges:
les pierres.
Donc nous sommes en présence de héros d'un genre particulier,
d'armes d'un genre particulier et d'un champ de bataille d'un genre particulier,
... un genre étrange, étonnant et miraculeux.
Et puisque tous les éléments de la scène sont d'un
genre particulier, nous nous attendons à voir un spectacle, la bataille
- à laquelle l'esprit n'est pas habitué et que les yeux n'ont
pas vue. Une bataille excitante qui nous pousse avec une curiosité
avide et un désir ardent à en connaître les détails
qui s'annoncent spectaculaires.
Abordons donc ces détails.
Ces héros sont des oiseaux, comme nous l'avons dit, mais sous
quelle forme militaire se trouvaient-ils?
Le récit nous dit: «IL a envoyé contre eux des
bandes d'oiseaux». Des bandes d'oiseaux! Cela signifie que les
oiseaux s'étaient avancés vers le champ de bataille par fournées
et formations. Là, le lecteur peut faire travailler son imagination
pour se représenter la formation militaire des oiseaux, car le simple
rassemblement d'oiseaux dans l'air pourrait paraître un spectacle
familier aux yeux!
Certains des hommes de 'Abdul-Muttalib avaient vu les avant-gardes de
cette riposte aérienne à l'agression, selon certains textes
de tafsîr. En effet, ces textes rapportent: 'Abdul-Muttalib
avait demandé à l'un de ses partisans: «Escalade la
montagne et regarde. Est-ce que tu vois quelque chose!». «Je
vois une tache noire au-dessus de la mer», répondit le partisan.
«Est-ce que tu la vois distinctement?», demanda encore 'Abdul-Muttalib.
«Non, mais je vois de mieux en mieux», dit l'observateur. Et
lorsque cette tache se rapprocha, il dit: «C'est une multitude d'oiseaux».
Ainsi, les avant-gardes de la formation assaillante avait paru sous
forme d'une bande noire venant du côté de la mer, et lorsque
cette forme noire s'était approchée du champ de bataille,
d'aucuns l'ont vue clairement et ont su qu'ils s'agissait d'oiseaux.
Il reste que ces oiseaux n'étaient pas ordinaires à en
juger par leurs traits extérieurs. Ils avaient des formes distinctives.
En effet, selon quelques textes de tafsîr: «C'étaient
des rangées d'oiseaux, venant du côté de la mer. Leurs
têtes ressemblaient aux têtes des bêtes féroces
et leurs ongles revêtaient l'aspect des ongles des bêtes féroces».
Cette description de l'aspect extérieur indique que ces "héros"
avaient été choisis de sorte qu'ils correspondent aux traits
d'un héros qui se prépare à s'engager dans la bataille.
Un héros humain se caractériserait par ses muscles développés,
de même les héros des oiseaux. Leurs têtes et leurs
ongles ressemblaient à celles des rapaces, ce qui laisse percevoir
qu'ils sont des oiseaux d'une classe particulière, la classe des
héros. Cette apparence physique impressionnante correspond à
la bataille terrible qu'ils devraient livrer.
Ceci concerne le physique des oiseaux.
Maintenant, ce qui nous intéresse c'est leur façon de
se battre: leur champ de bataille (l'air), le type d'armement utilisé:
les pierres, le mode d'utilisation de l'armement dont ils disposaient.
Nous avons dit que les armements dont les héros-oiseaux étaient
dotés consistaient en des pierres: «Ils leur lançaient
des pierres d'argile».
De même que les héros étaient d'un genre particulier,
"des oiseaux", et que leur apparence était particulière,
celle des rapaces, de même leur armement était d'un type particulier,
des sijjîl, des pierres étrangement dures, pas n'importe
quelles pierres.
Selon les textes exégétiques, chaque oiseau portait trois
pierres: une dans le bec et une dans chacune de ses deux pattes.
Tous ces détails suggèrent que le transport de l'armement
avait été organisé à la perfection: l'oiseau
vole avec ses ailes, lesquelles sont le moyen de son mouvement, alors que
les trois autres parties de son corps disponibles portaient, chacune, une
pierre. Tous les moyens de l'oiseau auront donc été mobilisés
au service de la bataille. L'oiseau jette d'un seul coup sa munition sur
l'ennemi, et poursuit son vol.
Les textes de tafsîr ajoutent que la taille des pierres
était celle d'une lentille, mais d'une dureté surprenante.
Ce qui capte l'attention ici, c'est l'efficacité de l'arme utilisée,
arme qui suscite l'étonnement et inspire l'étrangeté(207),
tout comme l'étrangeté des héros, de leurs traits,
de leur champ de bataille et de leur façon de transport de l'armement.
En effet, les textes de tafsîr nous informent que ces pierres
tombaient sur les têtes ou les corps de l'ennemi et les transperçaient,
les traversaient d'un bout à l'autre.
Selon certains autres textes de tafsîr, l'efficacité
incroyable de cet armement s'expliquait par une autre propriété
qu'il possédait, celle de faire tomber par parcelles la chair de
l'ennemi, progressivement, comme la variole.
Lorsque la pierre touchait l'ennemi, celui-ci éprouvait la sensation
de démangeaison, se grattait le corps, et la chair se mettait à
tomber en se disséminant.
Donc l'efficacité de cette arme demeure synonyme de l'étrangeté
et de la singularité: la pierre est pareille à une lentille,
mais d'une dureté extraordinaire. Lorsqu'elle tombe sur la tête,
elle agit comme une flèche, en la transperçant. Ou bien elle
est très brûlante et très piquante, provoquant chez
l'ennemi une démangeaison qui le pousse à se gratter, et
sa chair ne tarde pas à se disloquer et à s'éparpiller.
La propriété chimique d'une telle arme relève du
Pouvoir du Ciel qui avait déposé dans les pierres leur effet
chimique et rappelle tous les autres Pouvoirs divins illimités qui
sont à l'affût de quiconque se permettrait de s'attaquer à
la Maison d'Allah.
Ce qu'il importe de souligner ici, c'est l'homogénéité
(l'uniformité ou l'harmonie) artistique qui prévaut dans
les différentes composantes du récit: le type d'armement,
le mode de son transport, le genre des héros et leurs traits, la
méthode de combat et son efficacité, comme nous l'avons vu
jusqu'ici et comme nous allons le voir dans les parties suivantes du récit.
* * *
La première partie du récit des "Gens de l'Éléphant"
se termine par l'anéantissement total de l'ennemi grâce à
la riposte des héros-oiseaux. Et nous avons déjà dit
que l'ennemi a été exterminé de l'une des deux manières
suivantes selon les différents textes de tafsîr:
1- Les pierres transperçaient leurs corps et les traversaient
d'un bout à l'autre;
2- La variole et la dislocation de la chair à la suite du grattage
du corps suscité par la démangeaison que provoquait l'effet
chimique des pierres.
Quant au texte du récit, il se contente de nous informer qu'ils
étaient devenus «semblables à des tiges de céréales
qui auraient été mâchées».
Cette figure littéraire ou image: «semblables à
des tiges de céréales qui auraient été mâchées»
n'est pas une simple structure littéraire fondée sur l'élément
de comparaison, mais un symbole riche en significations, qui révèle
la manière dont l'ennemi a été exterminé.
C'est un fait notoire dans le domaine de l'art romanesque que l'élément
"image" sous toutes ses formes (comparaison, métaphore, métonymie
et tous les éléments de la rhétorique dont le "symbole"
dans son acceptation moderne) n'est plus (selon les critères de
l'art contemporain) le domaine réservé de la poésie.
Le roman moderne commence à emprunter ces éléments
de la poésie pour formuler les idées romanesques, au point
que certaines nouvelles modernes sont conçues totalement selon l'élément
"image" et que le roman paraît du début à la fin comme
une chaîne d'images successives semblables à un poème.
En tout cas, le récit des "Gens de l'Éléphant"
a adopté l'élément de l'image poétique pour
décrire la fin de l'ennemi, visant par ce procédé
artistique à souligner les détails les plus précis
de la défaite.
Et que l'anéantissement de l'ennemi fût le fait du transpercement
des corps de cet ennemi par les pierres, ou la conséquence de la
dislocation de leurs chairs provoquée par la variole des pierres,
le résultat reste le même: l'anéantissement physique
d'une façon particulière, en l'occurrence la dislocation
et la dissémination de leurs corps progressivement ou d'un seul
coup, soit par le transpercement soit par le grattage.
Mais examinons plus profondément les significations et la force
de l'image: «semblables à des tiges de céréales
mâchées» ou «rendus semblables à de
la paille mangée et excrétée», qui décrit
la fin de l'ennemi, car elle est très révélatrice
des éléments du sujet dont nous traitons.
Que peut signifier cette image qui compare la dislocation et la dissémination
des corps de l'ennemi à une paille que les bêtes auraient
mangée et excrétée, et qui a été par
la suite piétinée jusqu'à ce qu'elle fût disséminée
ça et là?
Nous savons que le critère de la beauté et de l'excitabilité
de l'image poétique est sa capacité de mettre en évidence
ce qui est commun dans ses deux extrémités et qui est plus
révélateur et plus expressif de l'objectif visé par
elle (l'image), d'une part, et que sa structure doit se caractériser
par l'originalité, la nouveauté et la créativité,
d'un côté, et être familière à l'esprit,
de l'autre.
Si cette structure n'est pas familière à l'esprit, c'est-à-dire
si elle est ambiguë ou entourée de brouillard par exemple,
ou encore, si elle n'est ni nouvelle, ni originale ni créative,
en un mot, si elle est usée et banale, dans tous ces cas l'image
poétique se dévalorise.
Ceci dit, si nous revenons à l'image dont il est question «IL
les a rendus semblables à une paille mâchée et excrétée»,
nous constaterons qu'elle réunit tous les ingrédients requis
dans la conception d'une bonne image artistique, et même va au-delà.
Car, tout d'abord, c'est une image familière à l'esprit,
une image que tout le monde a l'occasion de voir, notamment à la
campagne, la paille que les montures mangent et excrètent, et qu'on
piétine au point qu'elle se répande dans les sentiers, les
gens le voient couramment et cela ne nécessite pas un travail de
l'esprit pour se le représenter.
Quant à l'originalité et à la nouveauté
de cette image artistique, elle est évidente, puisqu'une telle image
consiste à représenter une chose de semblable à une
autre chose sans qu'il y ait d'élément introduisant formellement
une comparaison.
Y a-t-il quelque chose de plus original et de plus nouveau que cette
image qui établit une comparaison entre la dissémination
de la chair des ennemis et celle de la paille mangée et expulsée
sous forme d'excrément parsemé à force de piétinement?
L'importance de l'image «la paille... » dans le récit
des "Gens de l'Éléphant" tient au fait qu'elle dessine le
portrait de quiconque tente de s'attaquer aux Lieux Saints et aux Maisons
d'Allah.
Les ennemis d'Allah ont eu les cadavres disséminés sous
l'effet des pierres lancées par les héros-oiseaux. Si nous
retenons le tafsîr qui avance que les pierres lancées
sur les corps de l'ennemi, les piquaient de manière à provoquer
chez les victimes le besoin impérieux de se gratter, et que ce faisant,
la chair se mettait à tomber par terre (comme les parties de l'excrément
parsemées à la surface de la terre), nous comprenons alors
l'importance de cette image: les deux images ont ceci en commun que chacune
d'elles - la chair parsemée et l'excrément parsemé
- se caractérise par la flaccidité, et la mauvaise odeur
qui s'en dégage, et chacune d'elles représente une même
fin immonde: la fin immonde de la paille excrétée et la fin
immonde des ennemis d'Allah.
L'immondice de la paille excrétée est matérielle,
visible à l'oeil, expulsée à l'extérieur, alors
que l'immondice des ennemis d'Allah, est intérieure, celle de l'âme,
et représente tout d'abord le combat contre Allah (et quelle immondice
pourrait être plus dégoûtante que le combat de l'homme
contre son Créateur!), et elle est ensuite le reflet de l'immondice
intérieure (de l'âme) sur l'immondice du corps, lequel se
transforme en chairs immondes, nauséabondes, altérées
et disséminées.
Naturellement, cette image est révélatrice d'autres significations
(que nous avons omis d'aborder de crainte d'être long); mais le lecteur
est invité à y méditer profondément pour relever
les éléments d'analogie entre la paille excrétée
et les chairs parsemées, leur insipidité, leur rejet à
l'extérieur, leur piétinement, leur dissémination,
leur mauvaise odeur, la laideur et l'altération qu'elles inspirent.
Ce qui importe enfin, c'est que la signification idéologique
ou morale de cette image tend à montrer clairement que les tyrans
- de toutes époques et partout - subiront le même sort immonde
(tôt ou tard) du fait même qu'ils se proposent de combattre
Allah, le Message de l'Islam et les Bien-Aimés d'Allah.
Il importe également que le lecteur prenne conscience de l'importance
du rôle des procédés artistiques dans la révélation
d'une telle signification idéologique, comme nous l'avons vu dans
l'image «rendus comme une paille mangée et excrétée»,
ainsi que dans tous les éléments artistiques de la première
partie du récit des "Gens de l'Éléphant".
* * *
La première partie du récit des "Gens de l'Éléphant"
se termine par l'anéantissement de ces gens à la manière
d'une paille mangée et excrétée, et la deuxième
partie de ce récit est consacrée aux "Quraych".
Le Ciel a anéanti les ennemis d'Allah, qui avaient voulu attenter
à la Ka'ba, ce qui a permis aux Quraych de retourner dans leur foyer
pour vivre en sécurité et reprendre leur commerce, après
avoir fui vers les sommets des montagnes pendant l'assaut de l'armée
abyssine.
Le récit commence ainsi:
«A cause du pacte des Quraych;
De leur pacte concernant la caravane d'hiver et d'été!
Qu'ils adorent le Seigneur de cette Maison;
IL les a nourris;
IL les a préservés de la famine;
IL les a délivrés de la peur».
Ce qui nous intéresse maintenant dans ce récit, c'est
sa portée idéologique, ayant déjà expliqué
sa signification artistique.
Ce récit a été formulé alors que les Quraych
traitaient d'une manière vile avec le Message de l'Islam, mobilisant
toutes leurs forces et toutes leurs ressources pour combattre Mohammad
(P) et son Message.
La signification de ce récit est dans ce contexte tout à
fait claire. Il rappelle tout d'abord aux Quraych un événement
qu'ils avaient vécu à une époque pas très lointaine,
puisque l'invasion abyssine avortée eut lieu la année même
où naquit le Prophète Mohammad (P), ce qui signifie que les
vieillards des Quraych se souviennent parfaitement de cette invasion. Il
fait revenir à leur mémoire, ensuite, le sort abominable
que les ennemis d'Allah ont connu après qu'ils eurent essayé
de s'attaquer à la Maison d'Allah.
Ainsi, le récit engendre dans l'esprit des Quraych et des Musulmans,
contemporains du Message, des suggestions claires: il vise à dire
aux Quraych: le Ciel qui avait envoyé contre les envahisseurs des
bandes d'oiseaux, peut, à n'en pas douter un instant, faire la même
chose contre le nouvel ennemi: les Quraych.
Et il veut dire aux Musulmans: le Ciel qui avait anéanti l'ancien
ennemi, peut annihiler le nouvel ennemi aussi, ce qui rassure les Musulmans
et éloigne d'eux l'inquiétude qui pourrait les habiter relativement
aux complots des Quraych contre l'Islam et ses tenants.
Mais il est à remarquer que de même que le récit
a mis l'accent sur deux phénomènes à cet égard:
la nourriture et la sécurité: «Qu'ils adorent le
Seigneur de cette Maison; IL les a nourris; IL les a préservés
de la famine; IL les a délivrés de la peur», de
même il a mis l'accent sur un point particulier: «la caravane
d'hiver et d'été» en le liant à la nourriture
et à la sécurité.
La question qui se pose maintenant est de savoir quelle est l'explication
de ce soulignement (du voyage d'hiver et d'été, la nourriture,
la sécurité)?
Selon les psychologues qui étudient les motivations ou les pulsions
de la personnalité, la motivation de la nourriture et la motivation
de la sécurité figurent parmi celles dont la satisfaction
ne supporte aucun ajournement.
En effet le besoin de nourriture se place en tête des besoins
vitaux et le besoin de sécurité occupe le premier rang des
besoins psychologiques (de l'âme).
Cela signifie que le récit a choisi la plus forte motivation
de la personnalité (la recherche de nourriture) et la plus forte
motivation psychologique (la recherche de sécurité) pour
en faire un rappel à ceux qui courent, en haletant, derrière
la satisfaction de leurs motivations, et qui ignorent que les plus importantes
de celles-ci, c'est-à-dire celles dont la satisfaction est impérieuse
et inévitable, sont satisfaites effectivement. Pourquoi courir donc?
Sans doute, c'est la course effrénée vers l'obtention
de ce qui dépasse le besoin (ou la satisfaction d'un besoin purement
personnel qui n'a rien à voir avec les besoins d'autrui ou les besoins
définis par des principes) qui explique la conduite de ces gens
anormaux qui cherchent en fait la domination, la supériorité,
la possession, les plaisirs immédiats en général.
La caravane d'hiver et d'été à laquelle le récit
fait allusion constitue un indice artistique qui sert à rappeler
les bienfaits célestes accordés à ces gens qui ont
pris une position négative vis-à-vis de leur Bienfaiteur:
le Ciel.
Le récit n'évoque pas la nourriture en général,
ni la sécurité en général, mais y fait la mention
de la caravane d'hiver et d'été, ce qui laisse concevoir
(sur le plan de la structure architecturale du récit) que la caravane
est la clé principale de l'explication de tout.
Le récit lui-même n'aborde pas ces détails, se contentant
de parler de «la caravane d'hiver et d'été».
L'explication romanesque ou artistique de ce silence que le récit
a tissé autour de la caravane d'hiver et d'été comporte
un trait esthétique plaisant que la fin du récit lui-même
révélera. En effet lorsque le récit réclame
l'adoration du Seigneur de la Maison (Lequel a protégé celle-ci
contre l'invasion des Abyssins, préservé les Quraych de la
famine et les a délivrés de la peur): «Qu'ils adorent
le Seigneur de cette Maison ...», le lecteur est invité
de nouveau à méditer sur l'allusion faite par le récit
au "Seigneur de cette Maison" pour comprendre la profondeur artistique
de cette allusion riche en indications que le lecteur peut lui-même
déduire.
L'évocation de la "Maison Sacrée" rappelle au lecteur
que c'est cette Maison même que les Abyssins avaient tenté
d'envahir lorsqu'Allah les a anéantis. La Maison Sacrée rappelle
en même temps au lecteur qu'il s'agit de la même Maison à
l'ombre de laquelle vivaient ces gens dont parle le récit en soulignant
qu'ils bénéficient des bienfaits du Ciel, dont celui qui
leur procure la caravane d'hiver et d'été.
Mais la caravane d'hiver et d'été demeure encore entourée
de flou dans l'esprit du lecteur. De quelle façon va-t-elle être
signalée à l'attention de l'esprit? D'une manière
artistique indirecte: le récit se termine par «Le Seigneur
de cette Maison», qui «a nourri les Quraych, les a préservés
de la famine et les a délivrés de la peur», de
telle sorte que le lecteur déduise que la nourriture et la sécurité
sont liées à «la caravane d'hiver et d'été».
Donc, la caravane d'hiver et d'été que le récit
a rappelée aux Quraych n'est que les données qui lui sont
associées: les bienfaits de la nourriture dont ils étaient
pourvus et les bienfaits de la sécurité et de la paix qui
les mettent à l'abri de la peur.
* * *
Enfin, la mention des détails de la nourriture et de la sécurité
ne comporte pas une nécessité romanesque, étant donné
que le but romanesque est le rappel des bienfaits et non leurs détails.
De là, ce sont les textes de tafsîr qui se chargent
de cette tâche secondaire et ils nous disent approximativement ceci,
à ce propos: Le territoire Sacré est une terre stérile.
Les Quraych vivent de leur commerce extérieur. Le Ciel a assuré
à ce territoire deux caravanes: une pendant l'hiver, à destination
du Yémen, à cause du climat chaud de cette région;
l'autre pendant l'été, à destination de la Syrie,
à cause du climat frais de cette région.
Ceci concernant le besoin en nourriture.
Quant au besoin de sécurité, les textes de tafsîr
indiquent à ce propos que le Ciel a insufflé le sentiment
de révérence envers la Maison Sacrée dans les coeurs
des gens. C'est pourquoi, personne n'osait s'attaquer à ces caravanes
dès lors que les responsables de celles-ci annoncent «nous
sommes les gens de la Maison d'Allah». Même à l'intérieur
de la Presqu'île Arabe, un habitant de la Mecque, s'il est capturé,
on le libère et on lui rend ses biens, pour la même raison.
Moralité, le rappel de ces bienfaits (de la façon artistique
présentée par le récit) explique la signification
du récit, lequel vise à attirer l'attention - non pas d'un
peuple en particulier, mais de toute l'humanité d'hier et de demain
- que les bienfaits d'Allah sont innombrables et qu'il est nécessaire
que les gens les apprécient et les estiment, autrement, Allah a
le Pouvoir d'en priver quiconque tente de porter préjudice au Message
de l'Islam, et même de l'anéantir, comme furent anéantis
avant, ceux qui avaient été plus puissants.
Notes
1. Les sept Sourates dites les Hawâmîm
(qui commencent par les initiales H.M.) sont:
1- Sourate 40, Al-Mo'min (Le Croyant),
2- Sourate 41, Fuççilat (Les Versets clairement
exposés),
3- Sourate 42, Al-Chourâ (La Délibération),
4- Sourate 43, Al-Zokhrof (L'Ornement),
5- Sourate 44, Al-Dokhân (La Fumée),
6- Sourate 45, Al-Jâthiyah (Celle qui est agenouillée),
7- Sourate 46, Al-Ahqâf.
2. Hâ', Mîm: sont les noms respectifs
de la 5e et 22e lettres de l'alphabet arabe ( les consonnes H et
M).
3. Voir: "Le Coran", Essai de traduction de l'arabe,
annoté et suivi d'une étude exégétique par
Jacques Berque, éd. Sindbad, Paris 1990, pp. 503-509.
4. "Majma' al-Bayân il-'Ulûm al-Qor'ân"
d'al-Tabrasî, Tom.8, pp. 465-466.
5. Versets 23 - 25
6. Verset 25
7. Verset 25
8. Verset 26
9. Verset 26
10. Verset 27
11. Verset 27
12. Verset 23
13. Verset 28
14. Versets 28 - 29
15. Verset 29
16. Verset 28
17. Verset 29
18. Versets 30 - 33
19. Versets 34 - 35
20. Verset 34
21. Verset 36
22. Verset 35
23. Versets 38 - 39
24. Verset 29
25. Versets 41 - 44
26. "Les premiers à avoir cru et obéi
à Allah", Sourate al-Wâqi'ah (L'Echéant) 56, verset
10
27. Sourate "L'Echéant" 56, verset 10
28. Verset 41
29. Verset 44
30. Verset 44
31. Verset 45
32. Verset 28
33. Verset 29
34. Verset 28
35. Verset 44
36. Verset 45
37. Verset 45
38. Verset 44
39. Verset 45
40. Verset 41
41. Verset 44
42. Verset 44
43. Verset 46
44. Verset 46
45. Versets 47 - 48
46. Versets 49 - 50
47. Verset 47
48. "Le Coran", Essai de traduction de l'arabe annoté
et suivi d'une étude exégétique, par Jacques Berque,
Éditions Sindbad, Paris, 1990, p. 582.
49. Voir: "Majma' al-Bayân Li-'Ulûm-il-Qor'ân"
d'al-Tabrasî, Sourate "Al-Rahmân".
50. Voir: "Majma' al-Bayân Li-'Ulûm-il-Qor'ân"
d'al-Tabrasî, Sourate "Al-Rahmân".
51. Voir: "Majma' al-Bayân li-'Ulûm-il-Qor'ân"
d'al-Tabrasî, Sourate "Al-Rahmân".
52. Versets 46 - 48
53. Versets 62 - 64
54. Il est à noter que les Ahl-ul-Bayt (p)
sont les seuls interprètes ou exégètes incontestables
du Noble Coran, du fait que le Prophète (P) les a liés indissociablement
au Livre d'Allah dans le célèbre Hadith al-Thaqalayn: «Je
vous (s'adressant aux Musulmans) laisse derrière moi Deux Poids:
le Coran et Les Gens de ma Maison (Ahl-ul-Baytî); ils ne se sépareront
jusqu'à ce qu'ils reviennent à moi auprès du Bassin
(au Paradis)». Ndt
55. «Il y aura deux Jardins destinés
à celui qui redoutait le lieu où se dressera son Seigneur»
(verset 46)
56. Verset 60
57. Verset 48
58. Verset 50
59. Verset 52
60. Verset 54
61. Verset 56
62. Verset 58
63. Verset 62
64. Verset 64
65. Verset 66
66. Verset 68
67. Verset 70
68. Verset 76
69. Verset 48
70. Hamidullah
71. Verset 64
72. Jaques Berque
73. La Présidence Générale
des Directions des Recherches Scientifiques Islamiques, de l'Ifta,
de la Prédication et de l'Orientation Religieuse.
74. Hamidullah
75. Verset 50
76. Verset 66
77. Verset 62
78. Verset 68
79. Verset 54
80. Verset 76
81. Verset 76
82. Jacques BERQUE
83. Hamidullah
84. La présidence Générale
des Directions des Recherches Scientifiques Islamiques, de l'Ifta, de la
Prédication et de l'Orientation Religieuse
85. Verset 54
86. Verset 76
87. Verset 76
88. Verset 56
89. Verset 58
90. Verset 70
91. Verset 72
92. Verset 74
93. Verset 58
94. Verset 56
95. Verset 70
96. Verset 72
97. Non-mahram: quelqu'un qui ne soit pas un proche
parent avec lequel la femme n'a pas le droit de se marier: père,
frère, grand-père etc.
98. "Le Coran", Essai de traduction de l'arabe annoté
et suivi d'une étude exégétique par Jacques Berque,
Sindbad, Paris 1990, p. 588.
99. "Al-Amthal": Essai d'exégèse du
Coran, par Cheikh Naçir Makârim al-Chîrâzî,
Vol, 17, Sourate al-Wâqi'ah, p. 410.
100. Id. Ibid. Voir aussi: "Khiçâl
al-Sadûq", 4ème Partie, hadith 10.
101. "Majma' al-Bayân" d'al-Tabrasî,
vol.9, p.212, cité par "Al-Amthal", op.cit., p. 411.
102. Versets 10 - 14
103. Principe selon lequel l'Homme a été
choisi pour représenter Allah sur la Terre. Voir Sourate 2, verset
30; Sourate 38, verset 26; Sourate 6, verset 165; Sourate 10, verset 14.
NDT.
104. Versets 15 - 16
105. Verset 17
106. Versets 17 - 19
107. Versets 20 - 21
108. Verset 20
109. Verset 19
110. Versets 25 - 26
111. Verset 24
112. Versets 26 - 26
113. Sourates 27 - 38
114. Sourate "Les Fraudeurs" 83, verset 35
115. Sourate "L'Échéant" 56, verset
34
116. Sourate "Celle qui Enveloppe" 88, verset 16
117. Sourate "Le Mont" 52, verset 20
118. Verset 28
119. Verset 29
120. Verset 30
121. Verset 31
122. Verset 32
123. Verset 34.
124. Verset 45
125. Versets 41 - 43
126. Versets 52 - 53
127. Versets 54 - 55
128. "Majma' al-Bayân il-'Ulûm al-Qor'ân"
d'al-Tabrasî, Tom. 10, p. 89.
129. Id. Ibid.
130. Verset 10 - 11
131. Verset 17 - 20
132. Verset 10
133. Verset 12
134. Verset 10 - 12
135. Verset 17
136. Verset 19 - 20
137. Verset 17 - 18
138. Verset 21 - 25
139. Verset 24
140. Verset 26 - 27
141. Verset 12
142. Verset 28
143. Verset 29
144. Verset 30
145. Verset 31
146. Verset 32
147. Les Prophètes "ulû-l-'azm" sont:
Noé, Abraham (Ibrâhîm), Moïse (Mûsâ),
Jésus ('Îsâ), Mohammad (P).
148. "Tafsîr al-Amthal" de Cheikh Nâçir
Makârim Chîrâzî, Tom. 19.
149. Verset 1
150. Versets 2 - 3
151. Verset 4
152. Versets 5 - 6
153. Verset 7
154. Versets 8 - 10
155. Versets 11 - 12
156. Versets 13 - 14
157. Versets 15 - 16
158. Versets 17 - 18
159. Versets 19 - 20
160. Verset 17
161. Verset 18
162. Idem.
163. Versets 21 - 24
164. Verset 21
165. Verset 22
166. Verset 23
167. "Al-Amthal fî Tafsîr Kitâb-illâh
al-Monazzal", Cheikh Nâçir Makârim Chîrâzî,
Vol. 19, p. 75.
168. Verset 1
169. Verset 2 - 3
170. Verset 4
171. Verset 5
172. Verset 6 -7
173. Versets 8 - 10
174. Verset 11 - 15
175. Verset 13
176. Verset 13
177. "Al-Mîzân fî Tafsîr
al-Qor'ân", d'al-Allâmah Sayyed Mohammad Hussein al-Tabâtabâ'î,
Tom. 20, p. 132.
178. Versets 5 - 11
179. Versets 11 - 12
180. Versets 7 - 11
181. Verset 9
182. Verset 10
183. Verset 7
184. Verset 9
185. Verset 10
186. Verset 7
187. Verset 9
188. Verset 10
189. Verset 9 -10
190. Verset 5 - 6
191. Verset 11 - 12
192. Verset 13 - 22
193. Versets 5 - 6
194. Verset 16
195. Verset 17
196. Verset 18
197. Verset 21
198. Verset 14
199. Verset 13
200. Verset 20
201. Verset 21
202. Verset 19
203. Dans sa traduction du Noble Coran, Jacques
Berque écrit à propos de ce texte: «Stylistiquement,
le texte frappe par le cumul entre notations sensibles et concepts abstraits.
Au pittoresque des mots rares et imagés, fait pendant la subtilité
dans l'emploi des hâl (appositions dénotant un état)
et des copules». Voir: "Le Coran" traduit par le Professeur Honoraire
au Collège de France, Jacques BERQUE, pub.: éd. Sindbad,
1990, à Paris
204. Verset 27
205. Il y a deux autres versions moins retenues
par les historiens, sur la date de naissance du Prophète (P), lequel
serait né trente-trois ans après l'expédition de l'Eléphant,
selon al-Kalabî, quarante ans après cet événement,
selon Moqâtil.(Voir: "Majma' al-Bayân fî 'Ulûm
al-Qor'ân" d'al-Tabrasî, Tom. 10, pp. 503-504.
206. A propos de cet épisode les textes
exégétiques rapportent: Les avant-gardes de l'armée
d'Abraha (dit Abû Yaksoum), étaient tombés sur du bétail
appartenant aux Quraych, et s'étaient emparés de 200 chameaux
qui revenaient à Abdul Muttalib Ibn Hâchim. Lorsque celui-ci
apprit la nouvelle, il se rendit auprès de l'armée assaillante.
Comme le chambellan d'Abraha était une vieille connaissance d'Abdul-Muttalib,
il intervint auprès du Roi pour qu'il le reçoive, en lui
annonçant: «O Roi! Le maître de Quraych (...) vient
te voir». «Laisse-le entrer», fit Abraha. En voyant Abdul-Muttalib,
qui était bel homme et corpulent, Abraha répugna à
le laisser s'asseoir au pied de son lit. Et comme il n'aimait pas le faire
s'asseoir à côté de lui sur son lit, il en descendit
et s'assit à ses côtés par terre. Puis, il lui demanda:
«Que désires-tu?» «Ce que je désire, ce
sont mes 200 chameaux pris par les avant-gardes de ton armée»,
se contenta de répondre Abdul-Muttalib. Abraha dit: «Par Dieu!
Quand je t'ai vu, tu m'as plu, puis quand tu as parlé, tu m'as déplu!».
«Mais pour quelle raison, o Roi!», demanda Abdul-Muttalib.
«Parce que j'étais venu pour détruire la Maison (la
Ka'bah), qui fait votre puissance, votre citadelle auprès des Arabes,
votre supériorité sur les gens, votre honneur, votre religion
et le lieu de votre adoration. Chemin faisant, je me suis emparé
de 200 chameaux qui t'appartiennent. Or, lorsque je t'ai demandé
ce que je pouvais pour toi, tu m'as parlé de tes chameaux, à
toi, et non de votre Maison!» répliqua Abraha. «Evidemment,
je te parle de mes propres biens. Quant à la Maison, elle a Son
Seigneur qui la protège. Moi je n'y peux rien». Cette réponse
impressionna Abû Yaksûm, lequel ordonna de restituer à
Abdul Muttalib ses chameaux.
207. L'orientaliste Jacques Berques, écrit
dans l'annotation de la traduction de cette sourate, à propos de
ces pierres étranges dites sijjîl, selon l'expression
coranique que ce terme qui «reproduit probablement le mot grec revient
trois fois dans le Coran. La tradition montrait encore, à l'époque
de Muhammad, les restes de cette grêle miraculeuse: des fragments
noirs, mouchetés de rouge. Quoi qu'il en soit, ce qui pourrait être
visé ici, outre l'effet d'étrangeté, c'est la fin
d'une ère, désormais scellée». ("Le Coran..."
traduction de Jacques Berque, op. cit, p. 698.
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